Porté par la Tour du Valat jusqu’en 2027, le projet Rest-Chir’Eau mise sur une approche innovante : étudier l’activité des chauves-souris pour évaluer la fonctionnalité écologique[1] des zones humides et guider leur restauration. En mêlant suivis de terrain, sciences participatives et actions de sensibilisation, Rest-Chir’Eau vise à enrichir les connaissances encore limitées sur ce sujet, tout en encourageant l’implication des acteurs du territoire.
Ce projet contribuera à enrichir l’expertise globale sur la gestion et la restauration des milieux humides, tout en favorisant la conservation d’espèces menacées, notamment des chauves-souris. À l’échelle locale, les données collectées serviront à élaborer un plan de restauration de l’ancien Bras de Fer du Rhône en Camargue.
Les chauves-souris : baromètres de l’état écologique des zones humides ?
Les connaissances sur les chauves-souris et leurs interactions avec les milieux naturels restent encore limitées, probablement en raison des croyances entourant cet animal nocturne et des difficultés d’observation et d’étude. La chiroptérologie, science dédiée à l’étude des chauves-souris, est par ailleurs relativement récente, a connu des avancées significatives ces dernières décennies avec le développement des technologies de captation audio, telles que les détecteurs à ultrasons.
Bien que 75 % des chiroptérologues interrogés[i] reconnaissent un lien étroit entre zones humides et chauves-souris, peu d’éléments tangibles permettent de l’étayer. Par ailleurs, plusieurs études scientifiques[ii] suggèrent qu’elles pourraient se révéler d’excellents bio-indicateurs face aux changements globaux (changement climatique, aménagement du paysage, usages…).
C’est dans ce contexte qu’a vu le jour le projet Rest-Chir’Eau, piloté par la Tour du Valat et lauréat de l’appel à projets « Eau et Biodiversité 2023 » de l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse. Il s’appuie sur une approche innovante : étudier l’activité des chauves-souris pour évaluer la fonctionnalité écologique des milieux humides et guider leur restauration. Il s’agira notamment d’analyser les interactions entre les espèces et leur environnement en fonction de leurs exigences, telles que le besoin de continuités écologiques et d’une mosaïque d’habitats.
Localement, l’objectif sera de définir des priorités d’action pour restaurer et gérer durablement la Trame Turquoise[2] dans le secteur de l’ancien Bras de Fer du Rhône, aujourd’hui traversé par le canal du Japon, une infrastructure majeure pour l’irrigation en Camargue.
La collecte de données organisée sur plusieurs sites en Camargue
Pour définir un plan de restauration de la Trame Turquoise, les deux premières années de Rest-Chir’Eau sont marquées par une intense activité sur le terrain. En 2024, plusieurs campagnes de suivi ont déjà été menées sur sept sites, incluant des propriétés privées en partenariat avec leurs propriétaires, ainsi qu’un marais restauré situé sur le Domaine de Petit Badon. Ce site fera en particulier l’objet d’un suivi continu de 2024 à 2026. Ces données interannuelles permettront de mieux comprendre l’évolution de l’activité des chauves-souris face aux variations environnementales, tout en offrant un éclairage précieux sur la dynamique d’un écosystème restauré.
Des nuits à l’écoute des chauves-sourisPour représenter la diversité des habitats des marais méditerranéens (plans d’eau à hydrophytes, roselières, sansouires…), plusieurs points ont été sélectionnés sur les différents sites étudiés. À ces emplacements, des systèmes d’enregistrement sophistiqués ont été installés : des boîtiers équipés de microphones, programmés pour s’activer 30 minutes avant le coucher du soleil et s’arrêter 30 minutes après le lever. Ces dispositifs capturent les fréquences sonores hautes des chauves-souris (de 10 à 150 kHz), mais captent également d’autres sons, comme ceux des insectes. Sur chaque point, des suivis de végétation, de populations d’insectes ainsi que des variables hydrologiques et météorologiques ont également été effectués. Ce protocole expérimental, rigoureux et innovant, s’est révélé un véritable défi : installer le matériel dans des conditions parfois extrêmes — sur l’eau, au milieu de roselières denses de plus de 2 mètres de haut, ou sur des sites isolés sans voie d’accès. Ces obstacles, associés à la présence de bétail et aux caprices des éléments, ont nécessité ingéniosité et adaptabilité de la part de l’équipe.
Un autre défi, mais également une véritable plus-value, réside dans la multiplicité des sessions de suivi réalisées tout au long de l’année. Cette approche permet de capter l’activité des chauves-souris à différentes étapes de leur cycle phénologique[3], tout en observant les variations environnementales propres aux marais. L’étude de ces habitats méditerranéens s’est d’ailleurs avérée particulièrement pertinente, leur caractère saisonnier, les gradients de végétation et la diversité des espèces qu’ils abritent pouvant influencer la présence de certaines chauves-souris et leur type d’activité. L’analyse acoustique, un travail de précision mais essentielUne fois les enregistrements récoltés, débute une phase d’analyse minutieuse. Les ultrasons émis par les chauves-souris, inaudibles à l’oreille humaine, nécessitent un traitement informatique complexe. Les fichiers passent d’abord par un logiciel de pré-analyse utilisant l’intelligence artificielle pour identifier les espèces selon les caractéristiques des ondes sonores. Mais ces systèmes ne sont pas infaillibles : chaque résultat doit être vérifié manuellement pour éviter les erreurs. « Une seule nuit d’enregistrement peut nécessiter entre 3 et 12 jours de traitement, selon la complexité de l’analyse. Pour donner un ordre d’idée, une nuit peut contenir de 200 à 3 000 bandes sons. En 2024, nous avons enregistré 168 nuits, ce qui représente plus de 250 000 fichiers à traiter ! » – Pauline Rocarpin, cheffe de projet Rest-Chir’Eau Pourtant, il en faudrait plus pour décourager l’équipe Rest-Chir’Eau ! Ces enregistrements offrent une mine d’informations : notamment, la forme des ondes permet de savoir si une chauve-souris se nourrit ou se déplace, et permet ainsi de mieux comprendre la dynamique écologique de chaque site. |
Les sciences participatives, un atout pour enrichir la récolte de données et pour l’appropriation du projet par les acteurs du territoire
L’une des ambitions de la Tour du Valat au travers de Rest-Chir’Eau est d’encourager les acteurs locaux à s’approprier le projet et ses enjeux sur le territoire, en leur permettant de participer activement aux actions menées comme la récolte de données.
En 2024, des bénévoles — qu’ils soient grand public, partenaires ou acteurs locaux — ont déjà été mobilisés pour aider l’équipe à installer et récupérer les équipements de suivi. Dès 2025, des séances d’observation seront proposées, et un protocole de suivi participatif lancé, via une enquête en ligne ouverte aux habitants de Camargue. Chacun pourra transmettre ses observations pour enrichir les connaissances sur l’activité des chauves-souris et identifier des sites clés à proximité de l’ancien Bras de Fer du Rhône qu’il sera important de préserver, notamment ceux abritant des gîtes de chauves-souris, ainsi que les corridors écologiques permettant leurs déplacements.
Plusieurs partenaires locaux ont déjà rejoint l’aventure pour aider à faire vivre le projet et sensibiliser le plus grand nombre, comme le PNR de Camargue, avec l’organisation cet été de la Nuit Internationale de la Chauve-Souris à la Tour du Valat ou encore le CPIE Rhône Pays d’Arles, avec des actions prévues auprès des scolaires.
En associant activement citoyens et acteurs locaux, Rest-Chir’Eau aspire à tisser des liens solides avec les parties prenantes du territoire et à sensibiliser un large public à l’importance de la préservation des zones humides, éléments clés pour assurer la préservation à long terme de ces écosystèmes.
VOUS SOUHAITEZ PARTICIPER ?
- Contribuez à l’enquête participative pour le suivi des chauves-souris en Camargue en suivant ce lien
- Inscrivez- vous à la newsletter du projet Rest-Chir’Eau pour recevoir les prochaines dates de suivis participatifs
- Retrouvez l’équipe du projet Rest-Chir’Eau, le dimanche 4 février 2025, à l’occasion des Journées Portes Ouvertes de la Tour du Valat (programme complet à venir).
GLOSSAIRE
[1] Fonctionnalité écologique : capacité d’un écosystème à assurer les cycles biologiques (reproduction, repos, nourriture, déplacement…) et à fournir des services écologiques (pollinisation, épuration naturelle des eaux, source de nourriture…).
[2] Concept clé développé par l’Agence de l’Eau, la Trame Turquoise désigne l’ensemble des milieux la terre et l’eau sur un secteur donné et qui permettent la réalisation complète du cycle de vie de nombreuses espèces. En savoir plus (lien http vers l’article Agence de l’Eau)
[3] Cycle phénologique : regroupe les étapes du développement d’un organisme vivant, influencées par les saisons et les conditions environnementales, et constitue un indicateur précieux pour comprendre les interactions entre organismes et milieu.
Bibliographie
[i] Mas M, Flaquer C, Rebelo H, López‐Baucells A (2021) Bats and wetlands: synthesising gaps in current knowledge and future opportunities for conservation. Mam Rev 51:369–384. https://doi.org/10.1111/mam.12243
[ii] Jones G, Jacobs DS, Kunz TH, et al (2009) Carpe noctem: the importance of bats as bioindicators. Endangered Species Research 8:93–115. https://doi.org/10.3354/esr00182
Russo D, Salinas-Ramos VB, Cistrone L, et al (2021) Do We Need to Use Bats as Bioindicators? Biology 10:693. https://doi.org/10.3390/biology10080693
Tuneu-Corral C, Puig-Montserrat X, Flaquer C, et al (2020) Ecological indices in long-term acoustic bat surveys for assessing and monitoring bats’ responses to climatic and land-cover changes. Ecological Indicators 110:105849. https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2019.105849
Contact
Pauline Rocarpin, Cheffe de projet Rest-Chir’Eau, Tour du Valat
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