Résumé du rapport :
Les étangs et marais des salins de Camargue (EMSC), acquis par le Conservatoire du Littoral entre 2008 et 2012, constituent une nouvelle voie de migration potentielle pour la faune aquatique entre la mer et l’hydrosystème du Vaccarès. Pendant 5 années consécutives, depuis octobre 2016, la Tour du Valat a conduit un suivi ichtyologique mensuel en différents points du site, afin d’évaluer le degré de connexion de cette nouvelle voie de migration pour la macrofaune aquatique. De 2016 à 2019, un suivi complet du peuplement piscicole a été mené d’octobre à mai-juin. D’octobre 2019 à mars 2020, un protocole plus allégé a été appliqué, ciblant spécifiquement le recrutement en civelles. La dernière année de suivi, d’octobre 2020 à mai 2021, le recrutement en civelles a également été suivi chaque mois et la totalité du peuplement a été traitée uniquement aux mois d’octobre, novembre, avril et mai. En parallèle des échantillonnages piscicoles, l’évolution des conditions hydrologiques et physico-chimiques ont été suivies grâce à un réseau d’enregistreurs continus et de relèves manuelles maintenu par les trois co-gestionnaires du site : le Parc Naturel Régional de Camargue, la Société Nationale de Protection de la Nature et la Tour du Valat.
Au total, une cinquantaine d’espèces piscicoles ont été recensées. Une structuration du peuplement piscicole transparaît entre les différentes stations d’échantillonnage, marquées au Sud par l’influence proche de la mer, et au Nord, par l’apport saisonnier d’eau douce depuis le canal du Versadou. À toutes les stations, ont été observées des espèces lagunaires telles que les athérines ou le gobie tacheté, des espèces marines migratrices, telles que les muges, la sole commune ou la dorade royale, ou encore l’anguille européenne, une espèce migratrice amphihaline. Ces résultats indiquent que des échanges biologiques avec la mer s’effectuent et qu’une partie du territoire peut à nouveau jouer un rôle de nourricerie pour des espèces migratrices d’origine marine.
Pour trois taxons présélectionnés, les athérines, les juvéniles de sole commune et les civelles, le degré de connexion de la voie de migration des EMSC a été plus précisément examiné à partir de i) la description des patrons de distribution obtenus au travers des différentes stations d’échantillonnage, ii) l’évaluation théorique du franchissement de 4 ouvrages de connexion, et iii) les résultats de modèles statistiques utilisés pour tester l’influence de facteurs abiotiques sur leur présence et leur abondance (CPUE).
Soumises à un climat méditerranéen, les conditions de circulation dans les EMSC sont peu propices à la circulation de la macrofaune aquatique entre la mer et l’hydrosystème du Vaccarès durant la période estivale. En effet, les périodes de sécheresse prolongée engendrent, notamment dans les étangs peu profonds et éloignés de la mer, des niveaux d’eau très faibles avec des températures et des salinités très élevées, souvent incompatibles avec la survie de la plupart des espèces aquatiques.
Les mesures hydrologiques réalisées en continu témoignent du fort hydrodynamisme des EMSC. Le plus souvent, les conditions de circulation apparaissent favorables aux espèces euryhalines, du moins aux athérines qui tolèrent des conditions d’hypersalinité jusqu’à 70g/L. Pendant leur période de recrutement, de février à juin, les juvéniles de soles semblent éviter les zones hypersalines et apparaissent plus souvent présentes lorsque de forts débits se maintiennent plusieurs jours d’affilés. Les civelles, qui ont une capacité de nage limitée, sont significativement moins présentes lorsque les vitesses de courant sortant sont élevées. Les civelles sont également moins capturées lorsque les températures de l’eau sont inférieures à 6°C, du fait du ralentissement de leur métabolisme.
Depuis 2015, l’hydrologie du site a beaucoup évolué. Les brèches dans les digues du front de mer situées au sud du site se sont accentuées et les entrées de mer intermittentes et permanentes se sont multipliées, favorisant les échanges hydrobiologiques avec la mer. Certaines connexions intermittentes peuvent court-circuiter le cheminement jusqu’aux étangs de la Réserve naturelle nationale de Camargue, en créant des connexions plus directes avec la mer, notamment au niveau de l’étang des Batayolles, à l’Ouest de l’étang du Tampan. Les nombreux travaux de décloisonnement à l’intérieur des EMSC ont contribué également à améliorer les flux hydrauliques et à limiter l’intensité des épisodes de sursalure estivale. La création du nouvel ouvrage de connexion entre les étangs du Galabert et du Tampan durant l’été 2019 a déjà conduit à des améliorations des échanges hydrologiques dans le secteur Nord des EMSC. Il sera intéressant de reprendre le suivi dans quelques années afin d’observer si ces évolutions hydrodynamiques ont des répercussions sur le peuplement piscicole, de même si les évolutions météorologiques et climatiques interfèrent sur les échanges, et enfin si l’arrivée de nouvelles espèces telle que le crabe bleu impacte le peuplement en place.
Pour citer ce rapport :
Nicolas, D., Contournet, P., Hilaire, S., Crassard, T., Luna-Laurent, E., Milesi, D., Leborne, F., Boulongne, P., Parent, M., Boutron, O., Poulin, B. et Thibault, M. 2021. Etude de la connectivité hydrobiologique entre le milieu marin et le complexe lagunaire du Vaccarès via les étangs et marais des salins de Camargue, suivis ichtyologiques 2016-2021. Rapport final, Tour du Valat.