Une étude menée en Camargue révèle que les spatules blanches utilisent aussi bien les zones humides modérément protégées que celles fortement protégées. La complémentarité des modes de gestion en Camargue semble profiter à l’espèce, en particulier la gestion des marais chassés et des réserves naturelles protégées selon le cycle annuel.

La fragmentation des paysages représente un défi majeur pour la conservation des espèces mobiles et spécialisées comme les oiseaux d’eau. Face à cette problématique, les zones protégées jouent un rôle essentiel pour la préservation de la biodiversité. Une récente étude menée en Camargue sur la spatule blanche (Platalea leucorodia) révèle que cette espèce parvient à bénéficier des changements globaux actuels grâce à sa capacité à exploiter des habitats appropriés, qu’ils soient gérés de façon plus ou moins interventionniste. Le suivi de 91 spatules équipées de balises GPS entre 2016 et 2023, met en évidence des différences significatives dans l’utilisation spatiale du territoire selon l’âge des individus, tout en soulevant la question de la dépendance des espèces à des espaces naturelles fortement gérés par l’humain.
Des préférences spatiales liées à l’âge
L’analyse des données de géolocalisation démontre que les spatules blanches juvéniles et immatures ont tendance à plus fréquenter les zones au statut de protection modéré que les zones fortement protégées, contrairement aux adultes qui ne montrent pas de préférence marquée et utilisent aussi bien ces zones. De fait, les jeunes spatules adoptent également un comportement plus exploratoire que les adultes, en utilisant un plus grand nombre de sites différents tout au long de l’année.
Selon Hugo Ferreira, premier auteur de l’étude : « Ce comportement différencié entre les jeunes et les adultes pourrait s’expliquer de plusieurs manières, potentiellement cumulables : comme une stratégie d’évitement de la compétition pour la nourriture avec des adultes plus expérimentés, comme une phase d’exploration nécessaire à l’acquisition de connaissances sur leur environnement, ou tout simplement comme un manque d’expérience pour l’identification des zones les plus favorables. »

Espaces naturels privés et zones fortement protégées : une complémentarité fonctionnelle
Parmi les zones protégées plébiscitées par les jeunes spatules blanches et également fréquentées régulièrement par les adultes, on retrouve de nombreuses zones humides gérées par le secteur privé, notamment pour la chasse. A travers des pratiques comme l’inondation en été et le maintien des niveaux d’eau, leur gestion vise à augmenter l’attractivité de ces zones humides pour le gibier d’eau, ce qui favorise indirectement la présence de nourriture en abondance pour les spatules.
Dans un contexte de fragmentation des paysages et de dégradation globale des zones humides, ces espaces naturels, bien que moins protégés, jouent un rôle important pour des populations d’espèces non chassées telles que les spatules blanches mais potentiellement aussi comme les ibis falcinelle, les barges à queue noire ou autres limicoles. Car si les zones de protection forte garantissent un taux de dérangement minimum pour les spatules blanches, leur mode de gestion vise souvent à permettre à l’écosystème de persister dans son rythme naturel méditerranéen avec des assecs prolongés en fin d’été, ce qui peut réduire l’abondance de nourriture disponible à certaines périodes de l’année pour les oiseaux d’eau.
Conclusion
Cette étude illustre comment la Spatule blanche, une espèce modérément spécialiste, parvient à bénéficier des changements globaux actuels grâce à sa capacité à exploiter des habitats appropriés au sein de paysages fragmentés.
Cependant, Jocelyn Champagnon, Directeur de recherche à la Tour du Valat et co-auteur de l’étude pointe que « le rôle des espaces protégés avec une priorisation des enjeux de biodiversité visant la conservation d’espèces prioritaires souvent plus spécialistes du climat méditerranéen joue un rôle irremplaçable, non seulement pour ces espèces, mais également pour celles moins spécialisées comme les spatules. En effet, leur statut et la mise en place de plans de gestion dédiés sur 5 à 10 ans permet de garantir à l’ensemble des espèces patrimoniales un accès à des espaces stables au sein de paysages fragmentés et sujets à de rapides transformations. »
Ferreira, H.R.S., Alves, J.A., Jiguet, F. et al. Role of protected areas for a colonial-breeding waterbird in a fragmented landscape throughout its annual cycle. Landsc Ecol 40, 6 (2025). https://doi.org/10.1007/s10980-024-02017-5