Cathy-Anna Valentini, Cheffe de projet « Affaires régionales et biodiversité » à l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse, Délégation Paca et Corse, répond à nos questions sur le concept de la « Trame turquoise » et le projet Rest-Chir’Eau, soutenu par l’Agence dans son déploiement.
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L’AGENCE DE L’EAU RHÔNE MEDITERRANEE CORSE SOUTIENT DES PROJETS PORTANT SUR LA RESTAURATION DE « LA TRAME TURQUOISE », POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS SUR CE CONCEPT ?
L’agence de l’Eau porte une politique historique ambitieuse depuis 1964 en matière de biodiversité au titre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE). A travers les différents programmes, nous soutenons des projets de restauration visant à atteindre un bon état écologique et chimique des eaux. L’objectif est de préserver la biodiversité et de garantir le bon fonctionnement des processus écologiques essentiels (reproduction, déplacements, maintien des zones de nourricerie) et également de renforcer la résilience des habitats face aux changements climatiques.
De manière historique, nous travaillions uniquement sur la « trame bleue », liée aux milieux aquatiques. Depuis 2016, suite à la « Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages », l’Agence de l’Eau a élargi ses compétences et domaines d’intervention à la biodiversité terrestre et marine. C’est dans ce contexte qu’est né le concept de la Trame turquoise, défini localement par l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC), pour délimiter une nouvelle zone géographique d’intervention dédiée à restaurer et préserver la biodiversité. La Trame turquoise permet de prendre en compte les milieux terrestres en lien étroit avec les milieux aquatiques, afin de mieux protéger les espèces qui dépendent de ces deux environnements pour accomplir leur cycle de vie. Concrètement, certaines espèces inféodées aux milieux aquatiques doivent, à un moment donné, quitter l’eau pour accomplir des étapes essentielles de leur cycle de vie sur la terre, que ce soit pour se reproduire, se nourrir ou se déplacer. Parmi ces espèces figurent les amphibiens, les odonates (libellules) et certains mammifères, notamment certaines espèces de chiroptères (chauves-souris).
Fin 2024, s’achève le 11e programme de l’Agence de l’Eau (2019-2024), dans lequel nous avons développé un appel à projet « Eau et biodiversité » visant à restaurer les continuités écologiques et habitats au sein de la Trame turquoise pour favoriser la circulation des espèces cibles fréquentant les milieux aquatiques et humides. 235 projets dédiés à restaurer la Trame turquoise ont été retenus à l’échelle du bassin RMC au cours du 11e programme, avec un montant d’aides de l’ordre de 35, 7 millions d’euros sur un montant global de projets de 57,1 millions d’euros.
Dans cette continuité, le 12e programme d’intervention de l’Agence de l’Eau (2025-2030) sera adopté d’ici la fin de l’année par le conseil d’administration de l’agence. Il prévoit un taux d’aide plus avantageux (80% au lieu de 70% actuellement), permettant de mobiliser 600 millions d’euros sur les six prochaines années pour soutenir la préservation et la restauration des milieux aquatiques et humides, y compris la Trame turquoise (sous réserve de validation par le conseil d’administration). Nous sommes conscients que ces politiques nécessitent un engagement sur le long terme, d’où l’importance, pour certains acteurs, de soumettre de nouvelles demandes afin de poursuivre les actions déjà engagées.
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POURQUOI LE PROJET REST-CHIR’EAU A RETENU VOTRE ATTENTION ?
Le projet Rest-Chir’Eau est particulièrement intéressant par rapport à sa double approche : d’une part, une dimension méthodologique, permettant de mieux comprendre les enjeux et les modalités de reconnexion des zones humides pour faciliter les déplacements des chiroptères ; et d’autre part, une dimension opérationnelle, visant à définir les actions nécessaires pour restaurer la Trame turquoise.
De plus, il s’inscrit dans une démarche cohérente pour nous, car il fait suite à un premier projet financé par l’Agence de l’Eau sur le site de Petit Badon : après avoir travaillé sur la restauration des milieux humides en eux-mêmes, nous nous concentrons désormais sur leur interconnexion pour rétablir les corridors écologiques essentiels au déplacement des espèces dépendantes de ces habitats, comme les chauves-souris. Cela correspond parfaitement à nos objectifs.
Son approche est de plus assez innovante, nous n’avons pas encore accompagné d’initiatives évaluant la fonctionnalité des zones humides et de la trame turquoise sous l’angle des chiroptères. Il pourra ainsi servir de référence pour d’autres projets similaires à l’avenir. Ce retour d’expérience nous permettra également de promouvoir des initiatives similaires sur des territoires aux caractéristiques comparables, en s’appuyant sur une méthodologie éprouvée pour aborder ces thématiques.
Les sciences participatives développées dans Rest-Chir’Eau représentent également un volet particulièrement intéressant pour nous dans le cadre de ce projet. Le SDAGE 2022-2027 (qui définit le cadre de la politique de l’eau pour chaque bassin hydrographique) et le plan Eau, soulignent la nécessité de mieux associer et sensibiliser le grand public aux problématiques de préservation de l’eau, des milieux aquatiques et de la biodiversité au sens large. L’information et l’association du grand public sur les projets menés en local constitue souvent une étape clé de leur succès, en permettant en général une meilleure compréhension des enjeux et objectifs, voire un enrichissement du projet.
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POURRIEZ-VOUS NOUS DONNER D’AUTRES EXEMPLES DE PROJETS SOUTENUS PAR L’AGENCE DE L’EAU EN FAVEUR DES CHIROPTERES ?
Dans le cadre de l’appel à projets « Eau et Biodiversité » en région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, plusieurs initiatives intéressantes ont visé la restauration des habitats et des continuités de la Trame turquoise en faveur des chauves-souris, notamment par la reconstitution de réseaux de haies, reconnectant ainsi les milieux aquatiques et humides. On peut noter ces deux exemples de projets :
- Le Parc Naturel Régional du Verdon qui a participé en 2021 à l’appel à projets « Eau et Biodiversité » pour travailler sur la préservation et la restauration de la Trame turquoise le long des cours d’eau (le Colostre et le Ruisseau Notre Dame), afin de favoriser les déplacements du Petit Rhinolophe (un chiroptère) et limiter l’érosion des sols sur ces secteurs. Ce projet a rencontré un grand succès, avec une forte demande de la part des agriculteurs. En 2023, le PNR du Verdon a proposé de poursuivre la plantation de haies dans les zones concernées par la Trame turquoise du plateau de Valensole et d’étendre ces plantations aux communes du Nord du Var. L’objectif est de restaurer au moins 5 km de haies. Un suivi des chiroptères sera réalisé avant la plantation, puis trois ans après, afin d’évaluer l’impact des plantations sur l’activité de chasse ou de transit des chauves-souris ;
- Le Parc Naturel Régional de Camargue, a déposé un projet en 2024 visant à restaurer des réseaux de haies pour des chiroptères au sein de la Trame turquoise. Le projet a été retenu au jury et devrait bénéficier d’une aide de l’Agence de l’Eau. Depuis plus de 30 ans, le PNR de Camargue mène annuellement une campagne de reboisement destinée aux habitants locaux. Depuis 2018, il accompagne également la restauration de corridors boisés dans les zones humides de Camargue, en plantant des haies en bordure de parcelles agricoles. Plus de 6 km de haies ont ainsi été plantés sous l’impulsion du PNR, en partenariat avec des agriculteurs volontaires, la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône, la Tour du Valat et le Groupe Chiroptères de Provence (GCP). Le PNR Camargue souhaite poursuivre cette dynamique de reconnexion de la Trame turquoise, avec un objectif de 20 km supplémentaires de haies plantées d’ici le printemps 2027. Une réflexion est également prévue sur la restauration de mares temporaires, en partenariat avec la Tour du Valat.
Il est important de noter, qu’au-delà de l’enjeu biodiversité, ces types de projet permettent également de contribuer à d’autres objectifs, pouvant accentuer l’implication des acteurs d’un territoire, tels que :
- Améliorer la qualité des terres agricoles dans le contexte de changement climatique ;
- Préserver les ressources naturelles, maintenir l’eau dans les sols, limiter les besoins d’irrigation ;
- Éviter l’érosion des sols, favoriser l’épuration des eaux, atténuer les risques naturels ;
- Favoriser les auxiliaires des cultures, réduire ou éviter les traitements, favoriser la pollinisation ;
- Avoir un effet brise-vent, apporter de l’ombre aux troupeaux…
Pour en savoir plus sur l’engagement de l’Agence de l’Eau en faveur de la biodiversité et des milieux humides consultez le site de l’agence de l’eau RMC
📅la prochaine commission géographique PACA prévue le 30 janvier 2025 à Aubagne (13), permettra de présenter aux acteurs de l’eau et de la biodiversité, l’ensemble du 12e programme dont la politique trame turquoise.