Sébastien Moncorps est Directeur du Comité français de l’UICN. Il répond aux questions de la Tour du Valat concernant les Solutions fondées sur la Nature.
- Depuis 2015, le Comité français de l’UICN se mobilise pour promouvoir les Solutions fondées sur la Nature. En quoi sont-elles novatrices ?
Les Solutions fondées sur la Nature (SfN) sont novatrices car elles permettent de relier les enjeux de préservation de la biodiversité avec d’autres grands défis de nos sociétés comme la lutte contre les changements climatiques, la gestion des risques naturels, la santé, l’approvisionnement en eau ou la sécurité alimentaire. En engageant des actions de protection, de gestion durable ou de restauration d’écosystèmes, qui sont les trois grands types de SfN, nous pouvons en effet à la fois relever directement un ou plusieurs de ces défis de société de manière efficace et adaptative, tout apportant des bénéfices pour la biodiversité. C’était notre principal message lors de la préparation de la COP21 à Paris en 2015 : nous devons compter sur la nature pour faire face aux enjeux du changement climatique. Les écosystèmes jouent un rôle fondamental dans la séquestration du carbone, car ils en constituent de grands réservoirs naturels, à la fois sur terre et en mer. Or leur dégradation représente aujourd’hui une part importante des émissions de gaz à effet de serre dans le monde (12% pour la déforestation). Donc en les protégeant, nous apportons une solution efficace à la fois à la lutte contre le changement climatique et à la préservation de la biodiversité. Et en restaurant les écosystèmes dégradés, nous augmentons les capacités de captage et de stockage de carbone. Une étude scientifique internationale a estimé que 37% des efforts d’atténuation nécessaires pour répondre à l’objectif de 2° de l’Accord de Paris sur le climat d’ici 2030 pouvaient être réalisés par des Solutions fondées sur la Nature.
- Face aux défis croissants auxquels font face nos sociétés, les décideurs et aménageurs ont encore massivement recours aux approches classiques, basées sur la technologie. Quels arguments pourraient les convaincre de la pertinence des Solutions fondées sur la Nature ?
Les principaux arguments à mettre en avant sont leur efficacité, leur caractère adaptatif dans le temps, les avantages qu’elles apportent pour la biodiversité et d’autres enjeux, et enfin leur rapport coût/bénéfice. Par exemple, pour réduire les risques naturels, qui augmentent en intensité et en fréquence sous l’effet du changement climatique, de nombreuses solutions d’aménagement basées sur le génie civil contribuent à l’artificialisation des milieux naturels, sont de moins en moins efficaces, et même parfois ne font que reporter ou aggraver le problème ailleurs. C’est le cas par exemple de l’endiguement des fleuves ou des rivières pour lutter contre les inondations ou des digues construites pour lutter contre l’érosion côtière. Il faut trouver en priorité des solutions avec la nature et non plus contre la nature.
Le Comité français de l’UICN a réalisé des recueils d’expériences qui montrent que de nombreux projets de SfN en France apportent des résultats concrets à travers la restauration des zones humides ou des dunes littorales. Comme ce sont des projets qui se déroulent dans le temps, ils peuvent être adaptés à l’évolution de la situation, contrairement à des constructions définitives, et apportent des bénéfices pour la biodiversité et le territoire, notamment pour le tourisme, les loisirs ou d’autres activités. En étudiant des données en Aquitaine, nous avons constaté que le coût d’un brise-lame était d’environ 4 à 6000 € par mètre linéaire (ml) puis environ 200 €/ml/an pour son entretien alors que le coût de gestion d’une dune était d’environ 5 €/ml/an. En conséquence, nous disons aux décideurs : ayez d’abord le réflexe « nature » pour identifier des solutions de gestion des risques naturels.
- Parmi les nombreuses initiatives de SfN liées à l’eau et aux zones humides que le Comité français de l’UICN a recensées, pouvez-vous mentionner celles que vous trouvez les plus pertinentes ou inspirantes ?
Dans notre dernière publication sur les SfN et les risques liés à l’eau, nous avons identifié 21 projets qui répondent à la définition internationale de l’UICN et que nous avons analysés. Parmi ceux-ci, nous pouvons en relever 3 qui ont retenu notre attention. Le premier est un projet de reconnexion des zones d’expansion de crues dans la vallée du Thérain, dans l’Oise, qui a permis, durant les crues de l’hiver 2018, de stocker 500 000 m3 d’eau dans les zones humides restaurées et ainsi d’éviter tout dégât. Le second est un projet de restauration de la rivière Allaine, en Franche-Comté, qui va permettre de gérer l’intensité une crue centennale au lieu d’une crue trentennale tout en réhabilitant le fonctionnement d’une prairie humide riche en biodiversité. Le troisième est un projet de suppression des plans d’eau permanents de la Bièvre, un affluent de la Seine en Ile-de-France, qui a permis de reconnecter le cours d’eau avec ses zones humides adjacentes, et qui a eu pour résultat d’augmenter d’environ 30% le volume de stockage de l’eau et donc de réduire le risque d’inondation pour les populations avec un coût très faible (moins de 20 000€)
Nous suivons également avec une grande attention le projet de restauration des anciens salins de Camargue que mène la Tour du Valat avec ses partenaires. Le Comité français de l’UICN va prochainement publier un nouveau recueil d’expériences sur les SfN et les risques littoraux. Nous souhaitons ainsi continuer à inspirer de futurs porteurs de projets et décideurs pour une utilisation plus généralisée des SfN dans les territoires et continuer de démontrer que des écosystèmes préservés et diversifiés sont nos alliés dans la lutte contre le changement climatique et la gestion des risques naturels.