Luc Hoffmann avait coutume de dire qu’une société humaine qui ne respecte pas la nature porte en elle-même les germes de son auto-destruction.
Chaque année, chaque semaine, de nouvelles preuves tangibles viennent étayer son analyse. Notre modèle de développement, basé sur la croyance d’une croissance infinie dans un monde aux ressources limitées, a démontré depuis longtemps la faillite de ce postulat. Pourtant nous persistons à appréhender le vivant et le non-vivant uniquement comme des ressources dévolues au seul usage de l’homme… et nous en payons les conséquences.
Les rapports successifs de l’IPBES[1] et du GIEC[2], comme les rapports « planète vivante » du WWF confirment la dégradation massive et accélérée de l’état de la biodiversité et ses impacts majeurs sur nos sociétés, fournissent des projections toujours plus alarmantes quant à l’ampleur et aux effets des changements climatiques. Et les faits corroborent ces analyses : records de température, sécheresses exceptionnelles, méga-feux de forêts, tempêtes dévastatrices…
Pourtant, il apparaît de plus en plus clairement que face aux défis croissants auxquels doivent faire face nos sociétés – changement climatique, santé, approvisionnement en eau, sécurité alimentaire, risques d’inondation… – la nature propose de formidables solutions, souvent très efficaces et peu coûteuses.
Un concept qui inverse notre perspective et s’adresse à tous les acteurs
Alors que la protection de la nature est encore perçue par beaucoup comme une contrainte au développement, un coût pour la société, un luxe de pays nantis, le concept de « Solutions fondées sur la Nature (SfN) » inverse l’approche. La nature devient une alliée efficace, accessible à tous y compris aux plus démunis.
Ce concept de SfN s’est développé sous l’impulsion de l’UICN, qui les définit comme « des actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les enjeux de société de manière efficace et adaptative, tout en assurant le bien-être humain et des avantages pour la biodiversité ».
Il n’oppose pas biodiversité et avantages pour les hommes, mais vise à satisfaire les deux à la fois. Il se focalise sur des solutions concrètes, multifonctionnelles, durables et accessibles aux décideurs comme aux citoyens.
Les zones humides, tellement détruites et pourtant si utiles
Parmi tous les écosystèmes de la planète, les zones humides connaissent un sort paradoxal. Alors qu’elles constituent l’écosystème le plus productif, celui qui contribue le plus à la subsistance et au bien-être de l’humanité, elles ont au cours des derniers siècles connu une régression sans pareil[3]. Longtemps considérées comme insalubres ou comme une entrave à notre développement, elles ont été massivement détruites, conduisant à la disparition de plus des 2/3 d’entre elles depuis le début du XX° siècle.
Et là où elles ont été rayées de la carte, les effets n’ont pas tardé à se faire ressentir : diminution des ressources vivrières, dégradation de la qualité de l’eau, augmentation des inondations et des sécheresses…
Aujourd’hui, ces zones humides sont nos plus puissantes alliées pour relever ces défis sociétaux. Leur restauration et leur gestion durable représentent des SfN offrant de multiples bénéfices collatéraux. A nous d’apprendre à changer de regard sur elles, à les considérer comme notre meilleure « assurance-vie » face aux enjeux croissants.
Le bassin méditerranéen au cœur de tous les défis
Le bassin méditerranéen est l’une des régions du monde connaissant le plus de tensions en raison de la relation historique entre l’homme et la nature, de la forte évolution démographique, de l’énorme pression sur des ressources en eau limitées, de la concentration des activités économiques et l’urbanisation dans les régions côtières, et la dépendance à une agriculture sensible au climat.
Il est l’un des 36 points chauds de la biodiversité mondiale, mais également l’une des régions du monde les plus vulnérables au changement climatique. Les températures en Méditerranée devraient augmenter de 2 à 3 ° C en 2050 et de 3 à 5 ° C en 2100 (GIEC, 2013). Cela provoquera une augmentation des vagues de chaleur, des tempêtes et des périodes de sécheresse. Le niveau de la mer augmentera probablement de plus d’un mètre d’ici 2100 et affectera 1/3 des populations méditerranéennes.
Les systèmes de production alimentaire actuels en Méditerranée sont les principaux moteurs de la perte de biodiversité et de la dégradation des écosystèmes.
Les Solutions fondées sur la Nature au cœur des réponses
Face à cette situation, les SfN peuvent atténuer les effets de tels événements, avec des effets positifs sur les écosystèmes, la conservation de la biodiversité, l’économie et le bien-être humain. Elles apparaissent comme des approches efficaces, flexibles et peu coûteuses, qui offrent une opportunité sans précédent d’accroître la résilience de la société méditerranéenne face au stress climatique et aider à accélérer sa transition vers une économie durable.
Par exemple, la restauration des zones humides côtières constitue des SfN très efficaces pour créer des zones tampons capables d’atténuer les submersions marines, mais également pour soutenir le stockage du carbone.
Les pratiques agroécologiques contribuent à une nutrition de bonne qualité et une amélioration de la santé des hommes, tout en relocalisant les productions, en replaçant une agriculture respectueuse de la nature au centre des terroirs et des bassins de vie.
Dans les villes, les milieux aquatiques et les espaces arborés sont des solutions très efficaces pour atténuer les ilots de chaleur.
La Tour du Valat expérimente et promeut les Solutions fondées sur la Nature
Convaincue que ce concept de SfN a un fort potentiel, la Tour du Valat s’engage pour une société réconciliée avec la nature, solidaire et respectueuse du reste du vivant et expérimente cette approche SfN depuis plusieurs années, en collaboration avec divers partenaires : Gestion adaptative du littoral à l’élévation du niveau des mers, gestion en libre évolution des ripisylves, projets agroécologiques, outils interactifs pour la gestion de l’eau dans les marais… Autant d’approches qui ont été imaginées, mises en œuvre, évaluées et capitalisées par les équipes de la Tour du Valat et ses partenaires.
Ci-dessous les fiches SfN « Retours expériences de la Tour du Valat » :
Enfin, la Tour du Valat promeut activement ces approches, au niveau international avec une motion sur la « mise en œuvre des solutions fondées sur la nature dans le bassin méditerranéen » soumise à l’Assemblée Générale de l’UICN et une contribution à un document à l’attention des décideurs politiques, et au niveau national avec une motion sur les SfN portée par l’association Ramsar France avec le soutien de tous les réseaux français d’espaces protégés.
Contact : Jean Jalbert, Directeur général de la Tour du Valat (email)
[1] Plateforme Intergouvernementale pour la Biodiversité et les Services Ecosystémiques
[2] Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat
[3] Millenium Ecosystem Assessment, 2005