Yann Laurans est directeur du programme Biodiversité & écosystèmes à l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI).
Il répond aux questions de la Tour du Valat concernant la 7ème réunion plénière de l’IPBES à Paris, du 29 avril au 4 mai 2019.
1) Du 29 avril au 4 mai 2019 se tiendra à Paris la 7ème session plénière de l’IPBES. Qu’en attendez-vous, et quelles sont les questions qui devront y être impérativement abordées ?
Nous en attendons la même chose que ce que les acteurs mobilisés pour le climat attendaient des rapports du groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) dans les années 1990. Les rapports du GIEC ont d’abord réussi à montrer que le consensus scientifique sur le réchauffement et ses causes devenait quasi- unanime, ce qui a réduit la capacité d’opposition des climato-sceptiques. Ils ont aussi pointé, de plus en plus précisément, les causes sous-jacentes du problème (émissions de gaz à effet de serre, déforestation, etc). Pour la biodiversité aussi il faut que la négation du problème soit rendue plus difficile, et qu’en soient tirées les conséquences politiques.
Cette 7ème session plénière de l’IPBES revêt une importance particulière : elle doit s’accorder sur un bilan mondial de la situation de la biodiversité, et produire un texte diplomatiquement négocié qui représentera ce que les gouvernements admettent, collectivement, comme vision de la crise de la biodiversité et, aussi, comme interprétation des causes de celle-ci.
On peut espérer qu’un texte fort déclenche, ou a minima favorise, des évolutions positives dans les politiques mises en œuvre par les gouvernements ; notamment, que cela fasse « remonter » sur l’agenda politique, dans chaque pays et au niveau des accords internationaux, la mise en œuvre effective des stratégies de conservation et de restauration de la biodiversité.
2) La Tour du Valat et MedWet ont publié fin 2018 le second rapport de l’Observatoire des zones humides méditerranéennes (OZHM) sur les zones humides méditerranéennes, qui confirme le déclin alarmant de ces écosystèmes et ses graves conséquences pour les populations, dans une zone déjà soumise à très fortes tensions. De quelle façon cette question particulière sera-t-elle abordée à Paris ?
Le rapport d’évaluation mondiale de la biodiversité sera en effet très complet et il devrait montrer que les zones humides sont les premières touchées, parmi les grandes unités écologiques. Il faut espérer que cela soit clairement identifié et « remonté » au niveau du texte politique (le « résumé pour décideurs », qui sera négocié et voté à l’unanimité).
Mais il faut surtout espérer, et c’est plus délicat, que les conséquences en soient tirées en matière de politiques sectorielles : développement agricole, utilisation des forêts, du littoral, artificialisation, pêche, etc.
3) D’une façon plus générale, alors que les publications du GIEC ont, ces dernières décennies, permis une véritable prise de conscience des enjeux liés au changement climatique, le déclin dramatique de la biodiversité reste encore trop mal pris en compte par les décideurs et les citoyens. Comment voyez-vous la stratégie de l’IPBES pour remédier à ce déficit d’attention politique ?
Les causes et les conséquences de la crise de la biodiversité varient beaucoup selon la géographie et recouvrent une grande diversité de questions. L’IPBES a adopté un programme de travail qui vise notamment à faire la lumière sur des sujets de préoccupation déjà présents dans l’opinion publique, (comme cela a été le cas par le passé avec les pollinisateurs), à proposer des diagnostics scientifiques complets afin de lutter contre l’ignorance, et enfin à explorer des sujets susceptibles de bloquer ou de débloquer l’action, comme l’utilisation durable de biodiversité, la multiplicité des valeurs attachées à celle-ci, etc.
La plateforme a donc fait l’effort de mettre à son propre agenda des questions pertinentes et complémentaires. Force est de constater, cependant, que pour l’instant le retentissement médiatique et politique de ses rapports n’est pas au niveau de l’urgence. Il faut intensifier cela.
4) Lors des réunions plénières du GIEC les ONG environnementalistes profitent avec succès de l’attention médiatique pour influencer les décideurs politiques et économiques. Pensez-vous que les ONG puissent faire de même sur la question de la biodiversité à Paris, et si oui de quelle manière ?
Il faut rappeler que, pour le climat, cela ne s’est pas fait en un jour. Or la crise de la biodiversité est apparue plus récemment que celle du réchauffement. Je pense en effet que les ONG environnementales ont un rôle à jouer, notamment pour compléter la dimension diplomatique de la plateforme.
Une plénière de l’IPBES, comme du GIEC d’ailleurs, c’est deux choses différentes : d’une part le texte d’un résumé pour décideur, négocié pied à pied par des délégations qui ne peuvent pas aller au-delà des équilibres et arbitrages déjà décidés au sein de chacun de leur gouvernement, et qui est donc nécessairement assez générique et général ; mais aussi un rapport scientifique écrit par les experts, qui contient une mine d’informations, de signaux, d’indicateurs, et qui, souvent, pointe assez précisément, et spécifiquement, vers les causes, les comportements, les choix politiques et techniques responsables de la dégradation des écosystèmes.
C’est donc à la société civile d’aller au-delà du résumé pour décideurs, et de se servir du rapport pour relayer ces messages et mettre en débat, parfois sous la pression, les trajectoires de développement qui sous-tendent la crise de la biodiversité.
Le public est aujourd’hui sensibilisé au problème, mais il faut faire apparaître clairement la manière dont celui-ci renvoie à des choix de société concrets.
Contact : Yann Laurans (e-mail)