François Fouchier
Délégué régional PACA
Conservatoire du Littoral (CdL)
Quel est l’intérêt d’une gestion tripartite sur ce projet, entre le Parc naturel régional de Camargue, la Tour du Valat et la SNPN ? Ce type d’organisation a-t-il déjà été expérimenté auparavant par le Cdl, et qu’est-ce qui en a motivé la mise en place sur ce projet particulier ?
L’acquisition depuis 2008 des étangs et marais des salins de Camargue s’ajoute aux espaces que le Conservatoire protégeait déjà en Camargue, notamment la Réserve naturelle nationale du Vaccarès qui les jouxte, constituant ainsi le plus grand ensemble naturel du Conservatoire du littoral, avec près de 20 000 hectares d’un seul tenant. Ce site présente des enjeux écologiques importants à l’échelle de la Camargue et de la Méditerranée. La stratégie de sa conservation et de sa valorisation implique à l’évidence une véritable gestion partenariale visant à promouvoir la complémentarité entre le Parc Naturel Régional de Camargue, la Société Nationale de Protection de la Nature et de la Fondation Tour du Valat.
Il s’agit en effet d’un partenariat tout à fait exceptionnel pour un site du Conservatoire Cette démarche a été motivée par une ambition de gestion à la fois exigeante et complexe nécessitant la mise en commun des moyens et des compétences de tous.
Concernant la Tour du Valat plus particulièrement, quel est son apport dans cette gestion ?
La Tour du Valat bénéficie d’une solide expérience en matière de gestion d’espaces naturels en général et des zones humides en particulier. Son ancrage local allié à une expertise scientifique et méthodologique reconnue au niveau international en fait un partenaire incontournable pour réussir un tel projet.
En outre, la Tour du Valat s’est fortement impliquée, bien au-delà des espérances du Conservatoire du littoral, en mobilisant des moyens financiers et humains qui s’avèrent aujourd’hui déterminants. Sa contribution est à souligner dans :
- l’accompagnement scientifique de la démarche de gestion / restauration du site,
- l’amélioration des connaissances sur le patrimoine naturel du site et à la définition et mise en œuvre des suivis à long terme notamment pour la surveillance de la colonie de flamants roses,
- la modélisation du fonctionnement hydrosalin du site selon divers scénarios,
- et bien entendu la contribution à l’élaboration de la notice et du futur plan de gestion.
Concernant ce site des étangs et marais des salins de Camargue, quels sont les enjeux prioritaires sur ce site ? Quel est le poids des enjeux environnementaux, par rapport aux enjeux sociaux, économiques ou politiques ?
Ce site se caractérise par la présence d’habitats riches et diversifiés tant au niveau terrestre que maritime : baies peu profondes avec herbiers à Zostère naine, bancs de sable servant à l’hivernage de nombreuses espèces d’oiseaux, prés salés, sansouires… Les grandes orientations de gestion doivent répondre à ces enjeux environnementaux par :
- le rétablissement d’un fonctionnement hydrologique plus naturel qui passerait notamment par la reconnexion avec les hydrosystèmes alentours,
- la reconstitution des écosystèmes littoraux caractéristiques des lagunes littorales méditerranéennes et des fronts de mer sableux,
- le maintien ou l’augmentation de la capacité d’accueil des oiseaux d’eau coloniaux,
- la mise en œuvre d’une gestion adaptative à l’élévation du niveau de la mer, notamment au travers d’un retrait maîtrisé et progressif du trait de côte dans les secteurs soumis à l’érosion
Pour autant, l’intégration des enjeux sociaux, culturels et économiques locaux, notamment au regard de la situation du village de Salin de Giraud et des divers usagers au droit de la plage de Beauduc, nous mobilisent tous, collectivités locales, gestionnaires, services de l’Etat et Conservatoire. En effet, il convient de concilier les impératifs de préservation des espaces naturels et de leurs habitats, avec le maintien voire le développement, selon des modalités à préciser, de l’ouverture au public, de l’exercice des nombreux usages et d’une diversification économique maîtrisée.
Par ailleurs, la gouvernance mise en place doit encore progresser tant en terme de pilotage, de suivi que de concertation pour associer pleinement et à leur juste valeur les divers acteurs du territoire.
Comment ce site peut-il contribuer à la politique nationale du Conservatoire du littoral en termes de gestion concernant la question particulière de l’évolution du trait de côte ? S’agit-il d’un site « pilote » où de nouvelles approches peuvent être expérimentées ?
Les récentes acquisitions permettent de protéger de façon pérenne une zone humide littorale d’importance majeure, conformément à la stratégie de préservation des zones humides mise en place lors du Grenelle de l’environnement qui prévoit l’acquisition de 20 000 hectares de zones humides d’ici 2015.
Cet espace constitue un laboratoire d’expérimentation en grandeur nature des défis auxquels le Conservatoire du littoral doit faire face au niveau national tant sur le plan environnemental (biodiversité et paysages d’exception, fortes évolutions géomorphologiques du rivage,…) que pour les impacts des activités anthropiques (2500 véhicules/j stationnés sur site, jusqu’à 500 voiles de kite surf…).
C’est pourquoi, le Conseil d’Administration du Conservatoire va se prononcer cet automne sur l’extension du site par l’attribution de plus de 2 600 ha de Domaine Public Maritime –DPM. Le défi relève en effet d’une gestion cohérente et intégrée entre terre et mer permettant de constituer une véritable trame écologique et foncière. L’action publique sera plus efficiente pour préserver et restaurer les habitats naturels, maîtriser les accès et les usages sur le DPM et renforcer les moyens de surveillance.
Les nécessaires actions de concertation revêtent également un caractère d’action pilote suivi avec attention par les acteurs régionaux et nationaux.
La notice de gestion qui vient d’être rendue publique prévoit un programme d’action pour trois ans. Or, suite à des événements métérologiques récents, l’évolution naturelle du site apparaît plus rapide que prévu. Comment peut-on adapter les démarches « plan de gestion » relativement lourdes à un site évoluant aussi rapidement ?
La dynamique d’érosion du littoral va s’accélérer car elle rattrape finalement le retard accumulé par plusieurs décennies d’artificialisation de la côte. Cette évolution était de toute façon inéluctable sauf à consentir à des aménagements lourds de protection qui ne se justifient plus, faute d’impératif de protection de biens et de personnes sur ce secteur. Si l’état d’équilibre attendu à moyen terme ne constitue pas vraiment une surprise, il est vrai que certains aléas climatiques vont nous amener à modifier nos programmes d’action à court terme.
Généralement, la nature doit s’adapter aux espaces contraints que nous lui réservons ; pour une fois qu’elle dispose d’un territoire suffisamment vaste, laissons la s’exprimer librement ! Il n’y a pas lieu de s’en inquiéter et je reste confiant sur notre capacité collective à nous adapter et suis convaincu que la Camargue n’en sera que plus belle et source de multiples richesses.