Lorsque les zones humides sont correctement gérées et conservées, elles fournissent une multitude de services écosystémiques. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour de nombreuses zones humides et il est souvent nécessaire d’apporter des changements dans leur gestion ou d’entreprendre des interventions supplémentaires pour restaurer leur fonctionnalité, car près de 50 % des zones humides méditerranéennes ont disparu depuis 1970 et la surface des zones humides côtières méditerranéennes a diminué de 10 % au cours de la dernière décennie (Observatoire des zones humides méditerranéennes, 2012). La restauration des zones humides consiste à maintenir les caractéristiques physiques, chimiques ou biologiques d’une ancienne zone humide ou d’une zone dégradée afin de lui rendre ses fonctions naturelles. La restauration des zones humides peut avoir de multiples avantages, sur la biodiversité, le bien-être humain, l’adaptation au changement climatique et les conditions socio-économiques, pour n’en citer que quelques-uns.
Les avantages des zones humides peuvent être à la fois collectifs et individuels, ayant un impact sur les valeurs personnelles, écologiques, culturelles et socio-économiques. Aujourd’hui ces valeurs sont reconnues par différents agendas, notamment la Décennie des Nations unies pour la restauration des écosystèmes 2021-2030, l’Agenda 2030 pour le développement durable et le Green Deal de l’Union Européenne. Afin de transformer ces programmes en actions concrètes, il est nécessaire d’adopter une approche holistique de la restauration des zones humides, avec une stratégie claire de planification, de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation.
L’importance donnée à la restauration à l’échelle internationale au travers de l’agenda de restauration de la Commission Européenne et la décennie de restauration de l’Organisation des Nations Unies a eu un impact à la Tour du Valat, avec une réorientation de notre travail sur nos activités de restauration. Cette nouvelle orientation nous a permis de mettre considérablement en valeur certains de nos projets en cours, notamment la renaturalisation des anciens salins de Camargue, et de lancer de nouveaux projets tels que la reconversion d’anciennes terres agricoles en zones humides sur les domaines du Petit Badon et du Cassaïre. Ces projets en cours de réalisation utilisent l’expertise de la Tour du Valat, intégrant la recherche scientifique et son application sur le terrain, construisant ainsi une véritable vitrine pour la Camargue. Les projets impliquent des activités de restauration passives et actives dans une mosaïque d’habitats de zones humides qui peuvent éventuellement être transférées et partagées avec d’autres sites autour du bassin méditerranéen.
Voici quelques-uns des projets de restauration de la Tour du Valat :
Étangs et Marais des Salins de Camargue (EMSC)
Le projet de restauration des anciens salins est un exemple de la manière dont l’Homme peut contribuer à réorienter la reconversion de ces écosystèmes, grâce à une restauration adaptative, jusqu’à ce que la nature puisse retrouver sa fonctionnalité et restaurer sa résilience. Les anciens salins (6 500 ha de lagunes, de marais salants et de dunes) ont été vendus au Conservatoire du littoral. Le Parc Naturel Régional de Camargue, la Réserve de Camargue et la Tour du Valat se sont vus confier le rôle de co-gestionnaires du site. Les principaux objectifs étaient de restaurer les caractéristiques et les processus naturels de l’écosystème afin d’assurer la connectivité entre les différentes masses d’eau, d’augmenter la résilience naturelle et de réduire les effets du changement climatique et les risques de catastrophes naturelles. Les interventions ont été mises en œuvre selon l’approche des Solutions fondées sur la Nature (SfN) et comprenaient la restauration des flux d’eau gravitationnels et l’abandon des digues en bord de mer, conduisant à la création d’une côte maritime plus naturelle. Ce projet a contribué à la restauration des lagunes et de la végétation des marais salants (Salicornia) et a eu un impact positif sur les différentes espèces et populations de poissons.
Domaine du Cassaïre
Lors de son acquisition par le Conservatoire du littoral en 2004, ce site était composé de 6,5 ha de milieux naturels et de 63,5 ha de terres agricoles (riz, blé et prairies artificielles pâturées) implantées sur une ancienne dune fluviale. En 2009, la Tour du Valat et l’Association des Amis des Marais du Vigueirat ont initié un ambitieux projet de restauration visant à réhabiliter près de la moitié du site en marais (30 ha). D’importants travaux d’ingénierie ont été réalisés de 2012 à 2016 afin de recréer la topographie qui avait été arasée pour développer les activités agricoles. Afin de favoriser l’installation de communautés végétales typiques de ces milieux, des transferts de graines ou de sédiments ont été réalisés à partir d’échantillons prélevés sur des sites de référence. L’objectif de ces actions était de favoriser le développement de macrophytes immergés dans les zones profondes du marais (refuges pour les macro-invertébrés aquatiques et nourriture pour les canards), de scirpe en bordure des marais (plante émergente adaptée aux milieux temporaires pâturés de Camargue, attractive pour les oiseaux d’eau), de prés salés en périphérie des marais, et de prairies méditerranéennes sur les plus hautes altitudes (50 à 100 cm). Le site est actuellement utilisé par des éleveurs de chevaux locaux, des chasseurs et des structures d’éducation à l’environnement.
Travaux de restauration ©L. Ernoul/Tour du Valat
Domaine du Petit Badon
Ce projet du domaine du Petit Badon a été initié en 2020 sur une propriété privée située en Camargue. Après des études initiales intensives et d’importants travaux de terrassement, plus de 14 ha de marais saumâtres temporaires (gazons méditerranéens amphibies halonitrophiles (Heleochloion)) ont été créés. Quelques îlots, buttes et digues ont été également restaurés sur le site qui peuvent être bénéfiques pour les oiseaux d’eau nicheurs.
Marais du Verdier
La Tour du Valat a mis en œuvre un projet de gestion concertée avec les villageois depuis plus de 20 ans dans le hameau du Sambuc, en Camargue (détails du projet). Le projet a permis de restaurer 120 ha de zones humides naturelles qui avaient été converties en pisciculture dans les années 1960. L’objectif de conservation était de retrouver une mosaïque de zones humides camarguaises remarquables par leur biodiversité en passant d’un étang artificiel permanent à une gestion hydraulique différenciée et inspirée des cycles hydrologiques méditerranéens. Aujourd’hui, cette mosaïque de milieux – roselières, prés salés, tamariçaie, scirpaie, etc, est favorable à une faune et une flore variée dont certaines espèces devenues rares comme le Crypsis en aiguillon (Crypsis aculeata, plante protégée régionale), la Salicaire à trois bractées (Lythrum tribracteatum, plante protégée nationale). De même, la salicorne rameuse, qu’on croyait disparue de Camargue, s’est développée dans le secteur des Enganes. Le site accueille une variété d’activités pour les villageois, notamment le pâturage, la chasse, la pêche, la randonnée, l’observation des oiseaux et les visites éducatives. Les nouveaux habitats sont propices aux activités éducatives et récréatives, avec une moyenne de plus de 1 000 visiteurs par an.
Domaine de la Tour du Valat (projet Resist)
Le Butor étoilé (Botaurus stellaris) est une espèce en déclin au niveau européen, et vulnérable en France. C’est une espèce d’oiseau emblématique des roselières, qui abritent une faune diversifiée et menacée. Les roselières sont l’un des écosystèmes emblématiques des zones humides littorales en général, et de la Camargue en particulier. Elles rendent de nombreux services écosystémiques, notamment en améliorant la qualité de l’eau grâce à leur fonction épuratrice, en jouant le rôle d’éponge en restituant l’eau en période de sécheresse estivale, en atténuant la charge des vagues sur les digues côtières et en contribuant à freiner le déclin de la biodiversité par le maintien d’espèces spécifiques.
Ce projet vise à restaurer les roselières du domaine de la Tour du Valat et des marais du Verdier par des actions de restauration hydraulique afin d’améliorer la fonctionnalité et la circulation de l’eau (sur environ 25 Ha). Ces travaux visent à 1) retrouver la maîtrise des niveaux d’eau pour assurer la bonne qualité des sites de reproduction du butor ; 2) limiter l’apport de polluants pour assurer la qualité de l’alimentation des espèces cibles (amphibiens, petits poissons, invertébrés aquatiques) et 3) réduire l’envahissement des ligneux (Tamaris).
Projet MediCyn (vers une gestion hydraulique durable conciliant biodiversité méditerranéenne et usages cynégétiques et pastoraux)
Les espaces naturels situés dans la zone industrielle du Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) présentent une biodiversité exceptionnelle. Afin de la préserver, le GPMM en collaboration avec la Tour du Valat, a initié en 2019 un projet de restauration de zones humides. Ce projet vise à améliorer l’état de conservation de la biodiversité méditerranéenne en restaurant des mares temporaires dans deux sites Natura 2000. Par le passé, la gestion de l’eau était essentiellement basée sur la nécessité de répondre aux activités socio-économiques traditionnelles, conduisant à une banalisation de la faune et de la flore ainsi qu’à l’eutrophisation. Considérées comme un habitat à part entière, ces mares temporaires sont rares et ont une très grande valeur de conservation. Ce projet vise à restaurer les mares temporaires tout en maintenant les pratiques traditionnelles de chasse et de pâturage.
En 2022, la Tour du Valat a également commencé à travailler sur deux nouveaux projets européens de restauration de zones humides de grande envergure : Waterlands et REST-COAST. Ces projets auront un rôle important dans nos activités e restauration dans les années à venir.
Contact : Lisa Ernoul (e-mail), chargée de recherche – Responsable du thème Gestion et restauration des écosystèmes naturels et agricoles.