Nouvelle étude de l’OZHM sur l’évolution de l’occupation du sol dans les zones humides littorales méditerranéennes sur 30 ans
Bien qu’essentielles pour la biodiversité et les Hommes, les zones humides régressent partout dans le monde. C’est notamment le cas en région méditerranéenne, où elles ont perdu environ 50 % de leur superficie au cours du 20ème siècle. Les zones humides littorales en particulier, parmi les plus importantes en termes de superficie et de biodiversité, sont soumises à de très fortes pressions du fait de la forte densité de population et du regroupement des activités humaines sur la côte.
C’est dans ce contexte que l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes (OZHM) présente un nouveau rapport intitulé « Occupation du sol : dynamiques spatiales de 1975 à 2005 dans les zones humides littorales méditerranéennes », qui fait suite au premier dossier thématique de l’OZHM « Biodiversité : état et tendances dans les zones humides méditerranéennes » paru en 2012. Il sera diffusé dans l’ensemble du bassin méditerranéen en français et en anglais à des chercheurs, gestionnaires et/ou décideurs impliqués dans la protection ou la gestion des zones humides littorales, et est disponible en version électronique sur le site de l’OZHM et celui de la Tour du Valat (téléchargement ci-contre).
Cette étude a été réalisée selon une méthodologie développée par le projet GlobWetland-II, lancé en 2010 par l’Agence spatiale européenne (ESA) afin d’aider à la mise en place d’un système mondial d’information sur les zones humides dans le cadre du plan stratégique de la Convention de Ramsar sur les zones humides. Des cartes de 214 zones humides littorales, réparties dans 22 pays méditerranéens, ont été établies à partir d’images satellites pour les années de référence 1975, 1990 et 2005. Plusieurs indicateurs ont ensuite été calculés à partir de ces cartes, qui renseignent sur l’évolution de la superficie des différents milieux qui les composent (voir les exemples ci-contre pour le complexe de zones humides du Bas-Loukkos au Maroc).
Une perte constante des habitats humides naturels pendant 30 ans, non compensée par une augmentation des habitats humides artificiels
L’étude montre que la superficie des habitats humides naturels méditerranéens a diminué de façon constante de 10 % entre 1975 et 2005, soit une perte cumulée de 1248 km² pour les 214 sites. Les marais et les prairies humides notamment apparaissent comme des habitats particulièrement touchés, mais les grands plans d’eau ne sont pas épargnés : les lagunes égyptiennes du delta du Nil par exemple, très importantes pour la biodiversité, ont connu un recul spectaculaire de 398 km2.
Dans le même temps, la superficie des habitats humides artificiels a augmenté de 54 %, soit 661 km² pour les 214 sites. Cette artificialisation a surtout eu lieu entre 1975 et 1990, notamment via un très fort développement des réservoirs d’eau artificiels (+ 700 %).
L’agriculture et l’urbanisation, principales causes de disparition des habitats naturels
Irrigation dans le delta de la Neretva, Croatie (© Laurent Chazée / Tour du Valat)
L’agriculture est la première cause directe de perte d’habitats humides naturels : 7 % des habitats humides naturels, présents en 1975 dans les sites étudiés, avaient été convertis en milieux agricoles en 2005. L’agriculture irriguée notamment a fortement progressé pendant cette période : les zones humides, planes, fertiles et par nature riches en eau, sont privilégiées pour cet usage.
L’urbanisation a un impact direct moindre sur les habitats humides naturels, puisque seulement 0,75 % des habitats humides naturels présents en 1975 dans les sites étudiés ont été urbanisés. Elle semble en revanche être le principal moteur des changements observés depuis 1990, et consomme surtout des milieux agricoles périurbains.
Enfin agriculture et urbanisation entrainent aussi une augmentation des prélèvements et l’intensification de la gestion de l’eau, ressource aussi rare qu’inégalement répartie en région méditerranéenne, avec un impact majeur sur les habitats humides naturels.
Quel futur pour les habitats humides naturels du littoral méditerranéen ?
Si la tendance observée est préoccupante concernant les habitats humides naturels du littoral méditerranéen, il y a néanmoins des actions à mettre en œuvre pour assurer leur conservation.
Embouchure de la Gravona et du Prunelli, Corse (© Thomas Galewski)
Les efforts en termes de conservation doivent ainsi porter prioritairement sur les habitats qui ont le plus reculé, comme les marais et les prairies humides. De plus, si l’étude montre que l’inscription d’un site sur la liste Ramsar n’est pas suffisante pour assurer la conservation de ses habitats humides naturels, cela plaide pour qu’un statut légal de protection soit donné aux sites Ramsar, et que des moyens de gestion leur soient alloués afin d’assurer la préservation de leur fonctionnement naturel et le maintien de leurs habitats caractéristiques. Les habitats humides artificiels peuvent aussi être renaturalisés afin d’accueillir plus de biodiversité, tandis qu’en dernier recours la restauration des habitats humides naturels dégradés peut permettre de retrouver un certain niveau de biodiversité.
Par ailleurs, la conservation des habitats naturels humides ne pourra se faire sans une gestion durable des prélèvements en eau dans les habitats naturels, notamment en modifiant les choix de développement agricoles et industriels et en limitant les pertes le long des réseaux hydrauliques.
Notre étude montre aussi que l’impact du changement climatique est déjà bien visible en région méditerranéenne. Le recul du trait de côte, conséquence de la combinaison de l’augmentation du niveau de la mer et du déficit des apports sédimentaires par les fleuves, a d’ores et déjà entraîné la disparition de certaines zones humides littorales et la salinisation de terres devenues impropres à l’agriculture. Mais cette dynamique, qui impacte les milieux naturels et les activités humaines littorales, peut être une opportunité pour repenser collectivement l’aménagement du littoral et restaurer des milieux naturels “ tampons ” avec les zones à enjeux humains ou économiques.
Brèche dans la digue de l’étang de Sainte-Anne, Camargue (© Marc Thibault)
Un outil d’aide à la décision, bientôt appliqué à d’autres zones en Afrique
Cette nouvelle étude de l’OZHM apporte une première vision générale de l’état des zones humides littorales méditerranéennes pour améliorer leur conservation et leur gestion par l’ensemble des pays du bassin. L’ESA lancera d’ailleurs bientôt le projet Globwetland-III qui, avec des moyens technologiques plus performants et sur la base des mêmes méthodologies désormais validées par l’OZHM et les pays associés au projet, s’intéressera à l’évolution des zones humides du continent africain.
En savoir plus :
- Perennou C., Beltrame C., Guelmami A., Tomas Vives P. & Caessteker P. 2012 – Existing areas and past changes of wetland extent in the Mediterranean region: an overview. Ecologia Mediterranea 38: 53-66.
- Prigent C., Papa F., Aires F., Jimenez C., Rossow W.B. & Matthews E. 2012 – Changes in land surface water dynamics since the 1990’s and relation to population pressure. Geophysical Research Letters 39: L08403.