Wolfgang Cramer est directeur de recherche du CNRS et professeur d’écologie globale à l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (IMBE).
Il répond aux questions de la Tour du Valat concernant la conservation des zones humides méditerranéennes dans un contexte de changement climatique.
1) En tant que chercheur à l’IMBE et co-président du Comité national français des changements globaux et contributeur du GIEC, que pouvez-vous nous dire de l’impact du réchauffement climatique sur les zones humides méditerranéennes, à long-terme mais aussi dès aujourd’hui ?
Si une évaluation globale fait toujours défaut, la situation est cependant simple : les zones humides non-côtières risquent toutes d’être directement impactées par le réchauffement, qui va entraîner un bilan hydrique réduit, et par conséquent des sécheresses plus longues et/ou plus longues. Quant aux zones humides côtières elles risquent tout simplement de disparaître, du fait de l’élévation du niveau de la mer qui s’oriente pour être encore plus importante que ce que le GIEC a constaté il y a quelques années.
Concernant le bilan hydrique, il faut prendre en compte que le bassin méditerranéen est une des régions du monde où non seulement tous les modèles climatiques constatent un réchauffement important (bien plus élevé que la moyenne globale), mais également où une baisse des précipitations est prévue par la majorité des modèles – un niveau de cohérence rare pour ce qui concerne les précipitations. La combinaison de températures plus élevées et de pluies plus faibles va donc logiquement entraîner des conditions beaucoup plus sèches.
Concernant les systèmes côtiers, le problème trouve son origine loin de la Méditerranée, en Arctique (Groenland) et en Antarctique, où le phénomène de fonte des glaces s’accélère d’une façon bien plus importante que ce qui était prévu il y a encore quelques années. Ces eaux se distribuent ensuite sur l’ensemble du globe, entraînant une élévation du niveau de la mer qui risque, pour la Méditerranée, de dépasser 1 mètre au cours du 20ème siècle. L’impact le plus important viendra des inondations liées aux tempêtes, qui provoqueront un flux plus important des eaux salées dans les lagunes et les autres zones humides, avant que la submersion de certaines zones deviennent inévitable. Les digues pourront être renforcées dans certains cas, mais il y a aura des limites techniques et financières.
2) Comment la communauté scientifique peut-elle contribuer à une meilleure prise de conscience de la société sur cette problématique cruciale ? À quels niveaux pensez-vous qu’il est le plus efficace d’intervenir ?
La communauté scientifique s’est d’abord engagée depuis des années dans la recherche fondamentale, qui reste évidemment une base primordiale pour orienter les décisions. Certains d’entre nous se sont également engagés pour une meilleure communication avec les « décideurs », à savoir les décideurs politiques au niveau local, national et international, mais aussi les décideurs privés que sont les entreprises et les citoyens. Cet engagement peut et doit être renforcé, d’abord en assurant que les informations données par les publications scientifiques soient placées dans un contexte d’analyse des risques très concret pour les décideurs, qui ne doit pas être confondue avec la « communication » à destination du grand public.
Une fois les risques quantifiés il faut ensuite faire un important travail de communication, via des conférences publiques etc, mais également par l’intermédiaire des structures qui sont à l’interface sciences/politique telles que le GIEC, l’IPBES et le MedECC.
Toutefois de nombreux scientifiques se posent aujourd’hui la question de savoir si ces activités d’analyse des risques et de communication sont suffisantes. C’est une décision personnelle à chacun, mais je remarque que de plus en plus de collègues sont désireux de changer leurs habitudes personnelles pour contribuer à la baisses des émissions de GES, comme moins utiliser la voiture ou l’avion pour leurs déplacements, voire même en se déplaçant moins. Certains commencent aussi à s’engager politiquement, soit dans des ONG, soit dans des partis politiques ouverts à ces questions, des associations, ou mêmes des actions de désobéissance civile. Mon avis est qu’on ne peut plus exiger que les scientifiques, pour maintenir leur crédibilité, soient « impartiaux » ou même « désintéressés » ; nous n’avons plus de temps pour ce type de posture.
3) La Tour du Valat a développé l’outil de simulation Mar-O-Sel, pour mieux appréhender l’impact direct des variables climatiques sur l’hydrologie des zones humides. Que pensez-vous de la pertinence et de l’intérêt des résultats récemment publiés par la TdV utilisant les simulations issues de Mar-O-Sel, notamment dans la gestion et l’aménagement des territoires ?
J’attends de mieux prendre connaissance de l’outil Mar-O-Sel. Mais si une chose est la gestion et l’aménagement des zones humides, une autre est de faire comprendre au grand public et aux décideurs qu’avec la trajectoire actuelle des émissions de GES, une grande partie de ces territoires ne sera plus du tout ni gérable, ni aménageable par les prochaines générations. Idéalement, tout outil d’analyse doit donc permettre de bien faire comprendre ces risques aux personnes intéressées.
Contact : Wolfgang Cramer (e-mail)