Sebkhet Sejoumi est une zone humide d’une grande valeur écologique en plein milieu urbain (banlieue sud-ouest du Grand Tunis). Son importance, notamment pour les oiseaux d’eau migrateurs, a été reconnue par l’attribution de plusieurs statuts internationaux : Zone Humide d’Importance Internationale (Convention Ramsar), Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux (ZICO) et Zone Clés pour la Biodiversité (ZCB). C’est également le 4ème le plus important site pour l’hivernage des oiseaux d’eau dans toute l’Afrique du Nord (Sayoud et al., 2017).
Cet écosystème humide, dont la plupart des fonctions naturelles sont encore préservées à ce jour malgré les nombreuses dégradations subies, offre également de multiples services aux populations riveraines : protection contre les crues, pâturage, collecte de fourrage, atténuation de certains effets liés au changement climatique, ou encore des services récréatifs. La zone humide de Sebkhet Sejoumi se place donc, de facto, parmi les sites naturels prioritaires pour la conservation en Tunisie.
Un territoire fortement anthropisé et en perpétuel mouvement
L’analyse, par l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes de la Tour du Valat (OZHM/TdV), des dynamiques spatiales de la zone humide et de son bassin versant, à l’aide d’images satellites couvrant les 30 dernières années, révèle que l’eau de surface de la sebkha a considérablement diminué depuis la fin des années 80 et que celle-ci s’asséchait fortement (Figure 1). Ces changements semblent être directement liés au système de pompage automatique, mis en place par les autorités publiques à partir de 2004, comme réponse au problème des inondations répétées touchant certains quartiers riverains de Sebkhet Sejoumi.
Figure 1 : Images satellites montrant l’évolution de l’eau de surface au sein de Sebkhet Sejoumi entre 1987 (en haut à gauche), 2000 (en haut à droite), 2010 (en bas à gauche) et 2018 (en bas à droite). Les quatre images sont issues des séries chronologiques Landsat et Sentinel-2 ont été prises au mois de juin.
Néanmoins, des questions subsistent encore quant à l’impact de ce mécanisme sur les autres compartiments écosystémiques de Sebkhet Sejoumi (ex. sa biodiversité), sur son efficacité réelle et, au-delà de cela, sur le fait de savoir si d’autres solutions (notamment celles basées sur la Nature) peuvent être apportées. En effet, sur cette dernière question en particulier, les analyses des données d’Observation de la Terre (OT) montrent aussi que la récurrence des inondations, ainsi que les dégâts importants qu’elles provoquent, sont surtout une conséquence directe d’un développement urbain rapide et mal planifié dans l’ensemble du bassin versant. Le fait est que, durant les trois dernières décennies, l’urbanisation a grignoté des centaines d’hectares de terres arables et de milieux naturels, le plus souvent dans les plaines fortement inondables, ceinturant les rives nord et ouest de la sebkha et qui n’auraient jamais dues être construites ni abriter des populations humaines (Figure 2).
Figure 2 : Cartes des dynamiques spatiales des enjeux socio-économiques face aux risques de crue (1987 à gauche et 2018 à droite)
Quelles réponses à apporter ?
Malheureusement, l’expansion urbaine, la pollution et les remblaiements (la sebkha aurait perdu 20% de ses habitats humides naturels entre 1987 et 2018) continuent dans le silence, tandis que les locaux considèrent encore la zone humide à l’origine des inondations, des nuisances olfactives et des moustiques.
De plus, avec l’augmentation rapide de la démographie, une urgence socio-économique est apparue ces dernières années, poussant à l’élaboration d’un Plan d’Aménagement et de Valorisation du site (PAV). Ce dernier est en passe d’être évalué par les autorités compétentes, notamment pour ses impacts sur l’environnement et la biodiversité. Cependant, il est important de souligner que, dans sa forme actuelle, il semble totalement inadapté à la hauteur des enjeux identifiés et met dangereusement en péril le caractère écologique exceptionnel de la sebkha.
En effet, selon les récentes études menées par la TdV, avec l’appui de ses partenaires locaux (l’association Réseau Enfants de la Terre et celle des Amis des Oiseaux) et de MedWet, les propositions d’aménagement à apporter devraient être moins centrées sur la sebkha elle-même, mais davantage orientées vers une meilleure gouvernance du territoire à l’échelle de l’ensemble du bassin versant, avec un contrôle plus rigoureux de l’urbanisation et une amélioration significative de la gestion de l’eau en amont. Celles-ci recommandent donc de :
- Inciter vivement les autorités à stopper toute progression des constructions sur les rives de la sebkha (notamment nord-ouest, ouest et sud-ouest) ;
- Mettre en place des systèmes plus efficaces pour l’évacuation des eaux de pluie, en particulier dans les quartiers les plus impactés par les inondations récurrentes ;
- Améliorer le système de pompage automatique des eaux de la sebkha, afin qu’il puisse protéger les riverains contre les inondations, tout en respectant au mieux les cycles naturels de la zone humide ;
- Améliorer les systèmes de collecte des eaux résiduelles dans tous les quartiers riverains de la sebkha et les connecter systématiquement à des stations d’épuration ;
- Promouvoir les pratiques agricoles locales et respectueuses de l’environnement, en valorisant au mieux leurs produits, afin de mettre un frein à la spéculation immobilière sur ces terres ;
- Mener des actions de sensibilisation et de plaidoyer auprès des riverains et des décideurs (locaux, mais également nationaux), en faveur de la conservation de la zone humide ;
- Promouvoir les activités d’écotourisme et de loisir dans la nature (ex. celles basées sur le birdwatching), pour générer des revenus aux populations locales, mais aussi mieux sensibiliser les visiteurs à la conservation du site ;
- Mettre en place un système de suivi de l’écosystème de Sebkhat Séjoumi ;
- Proposer et tester des solutions alternatives et écologiques pour lutter contre les moustiques (ex. les pièges à moustiques) et éviter de polluer davantage les eaux et les sols de la sebkha avec l’épandage de produits chimiques à la toxicité élevée ; et
- Penser un vrai projet d’urbanisation autour de Sebkhet Sejoumi et dans son bassin versant, en concertation avec l’ensemble des acteurs concernés et en mettant la conservation de l’écosystème dans son état naturel au centre, car ce dernier pourrait justement faire partie des solutions.
Contact : Anis Guelmami, Chef de projet à l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes (OZHM) – (e-mail)