Lestes macrostigma (Fig. 1) est une demoiselle classée « En danger » en France et « Vulnérable » en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Son aire de répartition est large mais très fragmentée. Cette espèce sténoèce dépend d’habitats rares pour sa reproduction : les eaux temporaires saumâtres, caractérisées par l’alternance de phases d’inondation et d’assèchement au cours de l’année. Elle est également connue pour les fortes fluctuations de ses effectifs d’une année à l’autre.
Pour comprendre ces variations, nous avons modélisé sa dynamique de population en Camargue en étudiant si, indépendamment des précipitations, la gestion mise en place dans les aires protégées avait un effet sur l’occurrence et l’abondance de l’espèce.

Regrouper les données
Ce travail repose sur des données de suivi collectées au cours des 16 dernières années (2009-2024), par des protocoles standardisés ou dans le cadre de sciences participatives, comme Faune-PACA et Faune-Occitanie. Nous avons utilisé les données de présence de L. macrostigma (1 490 données) ainsi que, là où nous n’avions pas de données de présence, celles d’autres espèces d’odonates observées durant mai et juin (période de vol de L. macrostigma) afin d’approximer son absence (16 261 données).
L’ensemble des données a été confronté à des facteurs explicatifs comme le bilan hydrique (différence entre précipitations et évaporation), l’intégration de l’espèce dans les plans de gestion des aires protégées et le type de gestion hydraulique mis en place dans les sites (i.e. les unités hydrauliques) de ces aires protégées.
Trois modalités de gestion ont été distinguées : (i) absence de gestion hydraulique, (ii) gestion hydraulique favorable à L. macrostigma (inondation de la fin de l’automne à la fin du printemps), et (iii) gestion hydraulique ne ciblant pas l’espèce (ex. : gestion cynégétique, avec inondation débutant l’été, période de déficit hydrique en climat méditerranéen).
Analyses
Nos modélisations ont d’abord mis en évidence l’influence des conditions climatiques sur la probabilité de présence de L. macrostigma. En effet, l’espèce était davantage observée si l’automne précédent était sec (inondation des milieux temporaires débutant bien après l’assec estival) ou si le printemps était humide (prolongation de l’inondation). Ainsi, les années écologiques (i.e. d’un été à l’autre) présentant ces deux caractéristiques climatiques à la fois étaient particulièrement favorables à l’espèce, et ce par rapport à des années ayant un automne humide et un printemps sec. Ensuite, indépendamment des conditions climatiques, cette probabilité de présence restait plus élevée et régulière dans les aires protégées dont le plan de gestion ciblait L. macrostigma comme enjeu de conservation (Fig. 2).
Ce ciblage se traduit souvent par la mise en place d’une gestion hydraulique active, favorable à l’espèce. Celle-ci vient atténuer les bilans hydriques printaniers défavorables, et permet de maintenir une présence régulière de l’espèce, même lors de printemps secs. En dehors de ces aires protégées ciblant L. macrostigma, cette espèce n’était observée que lors de printemps très humides.
Toutefois, à l’échelle des sites compris dans ces aires protégées, l’effet positif de la seule gestion hydraulique favorable à l’espèce n’a pas été détecté. Cela pourrait être lié à un compromis de gestion. En effet, les sites gérés où se reproduit L. macrostigma peuvent également présenter des enjeux de conservation qui concernent d’autres taxons, comme les oiseaux d’eau qui apprécient des inondations plus précoces à l’automne, ce qui est défavorable à L. macrostigma. Par ailleurs, l’abondance des adultes a suivi une dynamique similaire, influencée par la triple interaction entre le plan de gestion et les bilans hydriques automnal et printanier. Ainsi, dans les aires protégées ciblant l’espèce, son abondance était plus élevée après un automne sec et lors d’un printemps humide.

Ces résultats montrent l’importance des aires protégées et de leurs plans de gestion pour la conservation de L. macrostigma en Camargue.

Les cœurs de population de L. macrostigma se trouvent dans les réserves naturelles de la Tour du Valat et des Marais du Vigueirat mais aussi au sein de la couronne agri-environnementale du Grand Port Maritime de Marseille. Ces secteurs et leur gestion hydraulique apparaissent cruciaux face aux changements climatiques, auxquels pourraient être associées un renforcement de l’imprévisibilité des précipitations en climat méditerranéen ainsi qu’une augmentation de l’évaporation en raison de celle des températures.
En garantissant la présence d’eau à des moments clés, même en cas de conditions météorologiques défavorables (Fig. 3), la gestion active de l’eau permet d’assurer la reproduction de l’espèce et donc la pérennité de ses cœurs de population.
Remerciements
Nous tenons à remercier toutes les personnes qui ont bien voulu mettre à disposition les données odonatologiques et cartographiques utilisées pour cette étude, notamment : Stéphane Berthelot (CEN Occitanie), Silke Befeld (SNPN), Mathieu Bourgeois (LPO Occitanie), Jocelyn Champagnon (Tour du Valat), Damien Cohez (Tour du Valat), Amine Flitti (LPO PACA), Émilie Laurent (Tour du Valat), Bastien Louboutin (Opie Occitanie), Alexia Monsavoir (Opie), Michel Papazian (Opie Provence-Alpes du Sud), Christophe Pin (Amis des Marais du Vigueirat), Isabelle Quoniam (Grand Port Maritime de Marseille) et Yolan Richard (CEN PACA).
Et surtout, un grand merci aux naturalistes, trop nombreux pour les citer tous ici, qui s’intéressent aux odonates et alimentent les bases recueillant les données que nous avons utilisées.
Auteur·ices
Sibylle Roger1,2, Elie Gaget2 et Philippe Lambret2
1 Master DYCOB, Université Bourgogne Europe
2 Tour du Valat, Institut pour la conservation des zones humides méditerranéennes
Pour en savoir plus
Sibylle ROGER (2025) Dynamique de population de Lestes macrostigma en Camargue. Rapport de Master 2, Université de Bourgogne | Tour du Valat, 30 pages + annexes. https://tourduvalat.org/wp-content/uploads/2024/12/Roger-S.-2025-Dynamique-Lmacrostigma-Camargue.pdf
Écologie de la conservation d’une espèce de demoiselle menacée : le Leste à grands stigmas. https://tourduvalat.org/
publications/ecologie-de-la-conservation-du-lestes-a-grands-stigmas/
| À propos du Plan national d’actions en faveur des libellules menacées 2020-2030
La DREAL PACA a confié à la Tour du Valat la coordination du Plan régional d’actions 2023-2032 en faveur des libellules menacées, déclinaison en PACA du Plan national d’actions (PNA) éponyme, qui est animé par l’Office pour les insectes et leur environnement et coordonné par la DREAL Hauts-de-France. Cette déclinaison (https://tourduvalat.org/wp-content/uploads/2024/12/DeclinaisonPACA-PNAlib-2023-32_csrpn.pdf) propose 14 fiches actions distribuées en quatre thèmes : connaissances pour l’action ; gestion, protection et conservation ; réseaux et dynamiques d’échanges ; sensibilisation et formation. Ces fiches ont été élaborées de manière à constituer des « guides » de développement de projets. Plusieurs projets pourront servir une action et, réciproquement, un projet pourra servir plusieurs actions. Les fiches constituent également des arguments dans la recherche de financements pour la mise en œuvre des projets. Dans une approche biogéographique des actions, la Tour du Valat échange régulièrement avec la déclinaison Occitanie de ce PNA (animée par le CEN Occitanie et l’Opie, et coordonnée par la DREAL Occitanie), notamment dans le cadre du Groupe de travail dédié à la conservation de Lestes macrostigma. |