Une étude menée en Camargue a comparé la contamination des anguilles européennes entre différents sites.

Espèce emblématique des estuaires et des lagunes, l’anguille européenne est un animal surprenant : ainsi, son tout premier voyage, effectué à l’état larvaire, couvre plusieurs milliers de kilomètres pour atteindre le continent européen depuis la mer des Sargasses. Là, elle grandira pendant plusieurs années avant de faire le chemin inverse pour se reproduire. L’anguille est une espèce amphihaline, c’est-à-dire qu’elle est capable de vivre tant en eau salée qu’en eau douce. Mais cette espèce fascinante est en danger critique d’extinction : victime, entre autres, de la perte des zones humides et de la surpêche, elle est également fortement touchée par la contamination et le parasitisme.
Une équipe de chercheurs ont évalué la qualité d’une soixantaine d’anguilles capturées sur trois sites différents, à l’intérieur du complexe lagunaire méditerranéen de la Camargue. Cette évaluation a été menée d’un point de vue écotoxicologique (quantification de polluants organiques persistants – POPs – et d’éléments traces – TEs) et épidémiologique (infestation par le parasite Anguillicola crassus), tout en tenant compte des caractéristiques individuelles des anguilles (longueur, âge, taux de croissance et sexe).
Des contaminations variables selon les sites
Leurs résultats, publiés dans la revue Environmental Science and Pollution Research, démontrent que la qualité des anguilles diminue de manière globale avec l’âge. La contamination des anguilles par les POPs et les TEs varient en fonction du site où elles ont été capturées. Ainsi, elle est plus forte dans un canal qui draine des terres agricoles, ainsi que dans le grand étang du Vaccarès, que dans un bassin moins exposé aux intrants d’origine agricole. Selon Amélie Hoste, première autrice de l’article, doctorante au M.I.O. d’Aix-Marseille Université et à la Tour du Valat : « La variabilité spatiale que révèle cette étude suggère que diminuer la pollution industrielle et agricole entraîne une amélioration de la qualité des anguilles européennes présentes dans ces milieux. »
Sensibilité au parasite A. crassus
Du côté parasitaire, les taux d’infestation par le nématode A. crassus augmentaient également avec l’âge de l’anguille. Pourtant, ce parasite est connu moins bien survivre dans les eaux saumâtres comme celles de l’étang du Vaccarès. Pour Delphine Nicolas, chargée de recherche biologie de la conservation des poissons à la Tour du Valat : « Il a été observé que dans certains cas la contamination aux POPs pouvait affaiblir le système immunitaire des anguilles, augmentant ainsi leur sensibilité aux maladies infectieuses et aux parasites. Par exemple, dans l’étang du Vaccarès, les anguilles qui sont contaminées par les POPs seraient plus vulnérables au parasitisme par le nématode A. crassus, malgré leur plus faible prévalence. »
La contamination des anguilles reflète celle de leurs habitats
Les mêmes contaminants que ceux retrouvés dans les sédiments prélevés sur les sites de capture ont été détectés dans les anguilles. De plus, les analyses des anguilles ont révélé la présence d’autres contaminants non détectés dans les sédiments comme les PCBs. Delphine Nicolas, chargée de recherche biologie de la conservation des poissons à la Tour du Valat, conclut : « Il est difficile de déterminer l’impact de l’ensemble des contaminants sur la biologie de l’anguille, surtout qu’il peut y avoir des effets « cocktails ». Il est urgent de limiter les apports chimiques dans les milieux aquatiques, en particulier ceux déjà clairement identifiés comme dangereux. »
Hoste A., Lagarde R., Amilhat E., Bouchard C., Bustamante P., Covaci A., Faliex E., Migne E., Poma G., Tetrel C., Verbrugghe K., Vey Payre H., Nicolas D. 2025. Investigating the quality of European silver eels by quantifying contaminants and parasite infestation in a French Mediterranean lagoon complex. Environ Sci Pollut Res [Internet] [cited 2025 Jan 27]. doi: 10.1007/s11356-024-35815-0