Mélanie BILZ, Responsable de programme à l’UICN – Département Biodiversité Eaux douces – Unité “Programme Liste Rouge Espèces”
1) Quelles sont vos principales fonctions et activités dans le programme “espèces” de l’UICN ?
Je collecte principalement des informations sur les espèces de plantes d’Europe et de Méditerranée concernant leur distribution, leurs populations, leurs conditions d’habitat, les menaces potentielles et réelles qui pèsent sur elles, et les mesures de conservation qui sont en place ou qui auraient besoin de l’être. Une fois ces informations recueillies, nous utilisons les catégories et les critères de la Liste Rouge UICN pour déterminer si une espèce est menacée d’extinction. Pour ce travail, je suis en réseau avec des experts dans les différentes régions. Donc, mon travail quotidien est divisé principalement entre communiquer avec les experts et traiter les données.
2) Pourriez-vous nous parler du projet d’évaluation de l’état de conservation des espèces de plantes aquatiques dans le bassin méditerranéen, mené en collaboration avec la Tour du Valat ?
L’objectif du projet était de déterminer de quelle manière les plantes aquatiques sont menacées dans la région méditerranéenne. Nous savons que les zones humides font l’objet d’un grave déclin et nous voulions savoir comment cela affecte les espèces végétales et quelles sont les principales causes du déclin. Une liste de 473 espèces de plantes a été identifiée, principalement en Afrique du Nord et dans la partie Europe de l’Ouest de la Méditerranée. Sur ce total, 150 sont endémiques à la région méditerranéenne. Nos résultats ont montré que 73 des 473 espèces de plantes aquatiques sont menacées d’extinction, dont 15 sont « en danger critique d’extinction ». Parmi celles-ci on trouve l’Armeria helodes, une espèce endémique italienne avec moins de 50 plantes isolées à l’état sauvage, ou le Lotus benoistii, une espèce endémique du Maroc qui s’étend sur moins de 3 km². Une espèce, Laurembergia tetrandra, s’est éteinte dans la région en raison de l’extraction de l’eau et des incendies. 58 autres espèces de plantes aquatiques sont classées comme « quasi menacées ». La liste des espèces n’a pas encore été étudiée complètement pour la Méditerranée et il y a encore du travail également pour la partie orientale, en particulier dans des pays aussi riches en biodiversité que la Turquie et la Grèce.
3) Quelles sont les principales menaces actuellement pour les espèces de plantes aquatiques ?
La perte et la dégradation d’habitats sont les principales menaces pour les espèces en Méditerranée. La construction d’infrastructures de logement ou de tourisme, et la conversion de zones humides en terres agricoles entraînent une perte directe d’habitat. Ces constructions vont souvent de pair avec le drainage des zones humides, et plus particulièrement des mares temporaires. Le tourisme a un effet important sur les zones humides côtières : non seulement avec la construction d’hôtels, mais aussi en raison du développement d’activités de loisirs et d’une plus grande demande en eau pour répondre aux besoins des visiteurs. Les sécheresses à répétition comme résultat des changements climatiques sont une menace supplémentaire pour les plantes aquatiques ; elles deviendront encore plus sérieuses à l’avenir et augmenteront la demande en eau et donc la pression sur les zones humides.
4) Quelles sont les actions urgentes à mettre en place ?
Une série d’actions est nécessaire pour arrêter le déclin. La gestion de l’eau, liée à la surexploitation pour l’agriculture et la consommation humaine, doit être améliorée. Et c’est un point sur lequel nous – en tant qu’individus – nous pouvons agir en utilisant l’eau avec précaution. Les zones humides ont besoin d’une protection et d’une gestion adéquate qui devraient aller de pair avec une sensibilisation du grand public sur l’importance des écosystèmes d’eau douce et des services qu’ils fournissent. Une « bonne » gestion des zones humides est en outre importante pour s’adapter aux impacts du changement climatique. Enfin et surtout, plus de recherches et de travaux sur le terrain sont nécessaires pour améliorer notre compréhension des zones humides et des espèces qui les habitent.
Chaque évaluation d’espèce donne des informations sur les mesures de conservation qui sont en place ou qui ont besoin d’être mises en place urgemment ; elle peut être utilisée comme guide pour des actions spécifiques.
5) Pouvez-vous nous en dire plus sur le nouvel outil « liste rapide » ?
L’outil « liste rapide » a été créé pour évaluer de façon préliminaire l’état des menaces des espèces et est étroitement liée aux Catégories et Critères de l’UICN pour la Liste Rouge. Un ensemble de questions fondamentales classe les espèces en trois catégories : « probablement menacé », « probablement pas menacé » et « probablement données insuffisantes ». Cela a été développé pour faciliter la réalisation de l’objectif 2 de la Stratégie mondiale pour la conservation des plantes en regard de la Convention sur la Diversité Biologique qui est d’avoir « une évaluation préliminaire de l’état de conservation de toutes les espèces végétales connues, au niveau national, régional et international ». L’avantage est que pour les grands groupes d’espèces, même avec des ressources limitées, les évaluations préliminaires peuvent aider à hiérarchiser les espèces qui devraient subir une évaluation approfondie Liste Rouge afin de déterminer leur risque d’extinction. L’outil « liste rapide » est publique et disponible en ligne (http://rapidlist.iucnsis.org).
6) Vous souhaitiez mettre en avant le rôle des experts avec qui vous travaillez ?
En effet évaluer le risque d’extinction d’une espèce est une lourde tâche et nous ne pourrions pas le faire sans tous les experts volontaires qui sont passionnés de plantes et consacrent leur temps libre à nous fournir des informations. Ce sont les experts de la Méditerranée qui font de ce travail, une réussite.