Selon une nouvelle étude de la Tour du Valat et du CNRS publiée aujourd’hui dans le Journal of Applied Ecology, gouvernements et chercheurs doivent accorder plus d’attention au développement des pathogènes antibiorésistants – également dénommés “super-microbes” – dans la faune sauvage et dans les milieux naturels.
Les menaces que représentent les super-microbes pour la santé humaine sont déjà bien connues ; mais selon l’étude, les données concernant l’antibiorésistance au sein de la faune sauvage sont rares.
Selon l’auteure principale le Dr Marion Vittecoq, chargée de recherche en écologie de la santé à la Tour du Valat, “Les super-microbes ne sont pas limités aux humains et aux animaux domestiques, les antibio-résistances se retrouvent presque partout dans l’environnement et la faune sauvage. À moins de le prendre en compte, nous ne serons pas en mesure de contrôler efficacement le développement des résistances”.
La surconsommation d’antibiotiques chez les humains et le bétail a conduit à une augmentation des résistances aux traitements des bactéries pathogènes. En 2014, un rapport indépendant commandé par le gouvernement du Royaume-Uni a conclu qu’en l’absence de contrôle, les super-microbes pourraient tuer chaque année 10 millions de personnes, et coûter plus de 100 000 milliards de dollars d’ici à 2050.
Marion Vittecoq a passé en revue avec une équipe de chercheurs, principalement du CNRS, la littérature scientifique sur les antibiorésistances dans la faune sauvage. Ils n’ont trouvé que 210 articles, révélant des lacunes importantes dans les connaissances mais amenant aussi à des conclusions importantes.
La plupart des études se focalisent sur les oiseaux et les mammifères en Europe et en Amérique du Nord, avec très peu de données pour les pays en développement et concernant seulement trois groupes de bactéries, à savoir les pathogènes humains Escherichia coli, Salmonella spp et Enterococcus spp.
Selon Marion Vittecoq il faudrait effectuer des recherches sur une plus grande variété de bactéries et d’espèces hôtes, du fait de la complexité avec laquelle les bactéries peuvent acquérir et échanger des mécanismes de résistance : “Les mécanismes de résistance, susceptibles de diminuer notre capacité à traiter certaines maladies graves, sont potentiellement développés et propagés via une grande variété de groupes de bactéries, dont certains non-pathogènes. Si nous nous focalisons uniquement sur les pathogènes humains en cherchant des résistances chez les bactéries véhiculées par la faune sauvage, nous n’arriverons pas à acquérir une vision globale des mécanismes à l’œuvre dans un habitat donné”.
L’étude formule aussi quelques recommandations clés. Elle révèle que l’eau joue un rôle majeur dans les échanges de super-microbes au sein de la nature, chez les humains et chez les animaux domestiques, et qu’aquaculture et systèmes d’assainissement sont des voies de communication majeures par lesquelles les antibiotiques et les bactéries résistantes peuvent contaminer les milieux aquatiques.
Pour le Dr Vittecoq, “Limiter la contamination de l’eau peut être une action clé pour contrôler le développement des antibiorésistances dans les écosystèmes, notamment par l’amélioration du traitement des eaux usées”.
Selon l’étude, les super-microbes sont plus nombreux et plus variés dans les environnements les plus affectés par les activités humaines, tandis que les espèces sauvages omnivores et carnivores sont davantage susceptibles d’en véhiculer et d’en propager.
L’étude recommande donc davantage de recherches concernant la propagation des super-microbes, par exemple en utilisant la chasse pour obtenir des échantillons d’espèces de gibier. Elle préconise également de mener des études multidisciplinaires qui se focaliseraient en parallèle sur les humains, le bétail et la faune sauvage, pour une meilleure compréhension du système global au sein duquel les mécanismes d’antibio-résistances sont échangés.
L’étude préconise aussi une approche “One Health”, un concept qui considère la santé humaine, animale et des écosystèmes comme interconnectées, et qui a déjà été utilisé avec succès pour l’étude de certains virus tels que ceux de la grippe et du SRAS.
En conclusion, selon Marion Vittecoq : “Si nous contrôlons la propagation des antibiorésistances au sein des populations humaines et du bétail, mais que nous ne nous intéressons pas à la limitation de la contamination des milieux naturels par les antibiotiques, ces derniers peuvent devenir des réservoirs de mécanismes d’antibiorésistances où ils peuvent demeurer, même une fois éliminés des hôpitaux et des exploitations agricoles”.
Plus d’informations : voir le blog de Applied Ecologist (ci-contre)
Notes :
1) Pour plus d’information contacter le Dr Marion Vittecoq, Institut de recherche pour la conservation des zones méditerranéennes de la Tour du Valat (tel +33 (0)6 42 93 47 05, e-mail). Cette étude est issue d’une collaboration entre la Tour du Valat et le CNRS-INEE.
2) Pour obtenir une copie de l’article contacter Becky Allen, chargée des relations presse à la British Ecological Society (tel. +44 (0)7949 804317, e-mail)
3) Selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé de 2014, les antibiorésistances coûtent chaque année au système de santé américain entre 21 et 34 milliards de dollars. Selon un rapport du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies de 2009, les infections imputables à des bactéries multi-résistantes ont conduit à des dépenses supplémentaires de santé et des pertes de productivité de plus de 1,5 milliard d’euros par an dans l’Union européenne.
4) Le Journal of Applied Ecology est publié par Wiley-Blackwell pour la British Ecological Society (www.journalofappliedecology.org)
5) La British Ecological Society, fondée en 1913, est la plus ancienne société d’écologie scientifique au monde. Société érudite et association caritative officiellement reconnue, la BES soutient l’écologie scientifique via ses cinq journaux académiques, d’autres publications, des événements, des subventions et des prix. Pour plus d’information www.britishecologicalsociety.org
Photo : poussins de goélands leucophées (© Marion Janczyszyn-Le Goff)