Questions à Bijan Azmayesh du cabinet OStraka, architecte sur le chantier « énergie » de la Tour du Valat
Vous avez été l’architecte sur le chantier « énergie » mené à la Tour du Valat ces dernières années ; en quoi à consisté votre rôle plus précisément, et en quoi votre expertise sur les questions de développement durable s’est-elle avérée précieuse ?
Mon rôle dans un premier temps à été de coordonner les maîtres d’oeuvre sur cette opération, puisque nous étions trois à ce assurer ce rôle, en charge de trois volets différents : le volet « architecture » (pris en charge par OSTRAKA), le volet « fluides dans les bâtiments » pris en charge par un bureau d’études, et le volet « chaufferie » pris en charge par un troisième prestataire.
Le travail a commencé par les études de tous les travaux nécessitant le dépôt d’une demande d’autorisation de travaux afin de lancer l’instruction du dossier dans les meilleurs délais, et produire pendant ce temps les documents techniques pour les entreprises. Cela concernait notamment l’installation de panneaux solaires thermiques, l’Isolation par l’extérieur des façades nord, et le changement des menuiseries extérieures. Ont suivi la constitution des dossiers de consultations des entreprises, puis la sélection des prestataires pour la réalisation des travaux.
Je suis donc intervenu à plusieurs titres et sur plusieurs niveaux :
- En temps que maître d’oeuvre pour la réalisation des travaux du silo de stockage des plaquettes forestières et la réhabilitation de l’ancienne chaufferie, qui a nécessité une nouvelle organisation des installations intérieures des chaudières, tandis qu’en parallèle j’ai également suivi les travaux d’isolation des toitures et des combles de l’ensemble des bâtiments du site en vue d’isoler le plancher des combles avec 40 cm de ouate de cellulose et les rampants avec de la fibre de bois.
- Dans un second temps mon intervention a consisté à diriger les travaux de l’isolation thermique par l’extérieur (ITE) et le changement des menuiseries du bâtiment principal de la Tour du Valat. L’ITE a consisté en l’installation d’une ossature en bois, fermée par des panneaux de fibre de bois semi-dense, remplie de paille de riz en vrac, l’ensemble étant revêtu d’un enduit à base de chaux. Les menuiseries, quant à elle, ont été remplacées par des menuiseries performante en chêne.
Notre expertise sur les questions de développement durable provient d’une part d’expériences acquises lors de réalisations antérieures avec des matériaux biosourcés peu transformés (bottes de paille, chanvre, roseaux…), et par notre implication dans le réseau de la construction écologique comme ENVIROBAT-BDM. Je participe également à des ateliers de travail pour le compte de la région PACA, sur la prise en compte de la biodiversité dans la construction et l’aménagement. Sur le plan personnel cette expertise repose sur une expérience professionnelle de sept ans au sein du Parc naturel régional du Luberon dans le service architecture et patrimoine, où j’ai côtoyé et travaillé avec les services environnements naturels (faune, flores).
Alors que sa première phase principale touche à sa fin, avec du recul comment avez-vous perçu ce chantier ?
Il s’agit d’une opération exemplaire dans le domaine de la réhabilitation énergétique. Voilà un chantier qui traduit bien l’engagement du maître d’ouvrage dans la prise de conscience que tous les actes, notamment dans la construction, doivent participer de la réduction des impacts sur l’environnement.
Quels ont été ses principaux points positifs ainsi que les difficultés rencontrées, et en quoi vous paraît-il exemplaire par rapport à d’autres chantiers sur lesquels vous avez pu également intervenir ?
Le principal point positif de cette opération est la qualité d’investissement et d’engagement du maître d’ouvrage et des maîtres d’oeuvre, ainsi que leur persévérance. La recherche d’une boucle vertueuse sur ce chantier doit notamment être portée à connaissance. La volonté d’utiliser comme carburant la balle de riz local, par le choix d’une technologie adaptée, est un point positif de haut niveau à faire aboutir prochainement.
La difficulté principale a été la préparation du mode de conduite des travaux, puisqu’il a été question au début d’auto-construction, puis de chantier d’insertion mais aussi d’un chantier école avec la Région, avant que finalement le choix se porte sur la mise en concurrence d’entreprises. Cela a surtout eu un effet sur le montage et la présentation des dossiers de consultation, pédagogiques et largement illustrés. Ils ont finalement été utiles aux entreprises qui, comme souvent dans ces projets expérimentaux, n’avaient pas d’expérience en la matière.
Au final, l’exemplarité de cette opération réside dans une évolution remarquable. Pour ce qui me concerne, c’est en effet le premier chantier de ce type, faisant appel à des matériaux biosourcés et peu transformés, qui soit réalisé par des professionnels du bâtiment, alors que jusque là nos expériences étaient menées en collaboration avec des organismes d’insertions. Il me semble que c’est un grand pas. Depuis des entreprises se forment à la mise en oeuvre de matériaux non-conventionnels, et la réglementation évolue dans ce sens.
Les questions énergétiques deviennent de plus en plus prégnantes tant sur le plan environnemental qu’économique, en premier lieu dans le bâtiment. Comment avez-vous vu les choses évoluer ces dernières années à ce sujet ?
J’ai commencé ma vie professionnelle il y a presque vingt ans dans un Parc naturel du sud de la France, par la restauration du patrimoine non inscrit aux titres des monuments historiques, avec les matériaux traditionnels comme, la pierre, la terre, le bois, le sable et la chaux. Ces restaurations s’appliquaient aux bâtiments publics pour la majorité non chauffés. L’aspect économie d’énergie n’était donc abordé que sous l’aspect de l’utilisation de matériaux naturels.
Depuis une dizaine d’années, nous nous appliquons dans l’Atelier OSTRAKA à lier performances énergétiques et utilisation de matériaux biosourcés, le moins transformés possible. Au début, forts de notre expérience d’ancien salariés d’un Parc naturel, nous étions peu nombreux à porter ces valeurs et concrétiser nos engagements par des réalisations. Les premières années, nous assistions à bons nombres de conférences sur le sujet, mais nous ne voyions quasiment jamais de réalisations; le temps était encore à la théorie ou à des effets d’annonces. Depuis 5 à 6 ans des projets contextualisés, avec une vision globale, voient désormais le jour. Mais cela ne représente encore que peu de chantiers, par rapport au nombre de réalisations qui voient le jour chaque année !
Vous semble-t-il que la tendance générale va dans le bon sens, et si non que faudrait-il pour cela ?
Je ne saurai généraliser et dire que ça va dans le bon sens. Il manque encore une véritable prise de conscience des acteurs du bâtiment et de l’aménagement quant à l’impact que génèrent leurs activités ; et il y a encore une grande marge de manœuvre dans l’évolution des pratiques, qui pourrait s’appuyer sur des exemples concrets portés par les législateurs. La région PACA notamment s’intéresse à cet aspect de la construction, et recherche des exemples de réalisations permettant de sensibiliser les acteurs de l’économie locale.
Il faudrait pour cela :
- Que les instances accompagnent davantage les projets vertueux par une prise en charge d’un volet communication et démonstration, sur la faisabilité et la reproductibilité des opérations déjà entreprises et visibles par le plus grand nombre ;
- Éviter le piège du bâtiment énergétiquement performant dont le but premier serait l’économie d’énergies (principalement fossile), mais qui s’appuierait uniquement sur des matériaux issus de l’industrie pétrochimique. Il serait logique d’arrêter de consommer du pétrole pour fabriquer des isolants dont l’objectif premier est justement d’en économiser… Pourquoi puiser dans cette réserve pour la conserver, alors qu’on pourrait faire appel à d’autre matériaux qui sont utilisables tels quels et sans transformation supplémentaire comme la paille, la botte de paille et autres produits issus de l’agriculture ?
Dans les pays en développement du sud du bassin méditerranéen l’énergie est une question essentielle, entre autres pour des raisons économiques et démographiques. Or, c’est également une région où le potentiel renouvelable est très élevé, du fait de ses caractéristiques climatiques. Vous semble-t-il que le chantier de la Tour du Valat pourrait servir d’exemple à ce niveau, par exemple pour l’utilisation de ressources locales ?
La réponse est oui et c’est ce que tout le monde, partout sur la planète, a toujours fait. Mais comment faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on utilise les ressources naturelles locales qu’on est dans le Moyen-Âge ?
Il faut montrer qu’une structure comme la Tour du Valat, qui oeuvre sur la protection des zones humides depuis des décennies, a fait le choix de moderniser ses bâtiments et ses installations par l’appel au territoire, au local. Qu’une institution à la pointe dans son domaine fasse le choix du local et des matériaux naturels ne peut que convaincre, par l’exemple et le concret, de la pertinence de sa vision à long terme.
Comment faire admettre aux maîtres d’ouvrages, architectes, bureau d’études des pays émergents que le progrès ne passe pas par la mise en oeuvre de matériaux utilisés dans les pays industrialisés ? Comme souvent, ces matériaux prennent une nouvelle vie dans les pays émergents alors qu’ils sont en perte de vitesse dans l’hémisphère Nord !
Nous sommes ici, comme souvent, dans un phénomène de « recyclage » à ces pays de notre savoir-faire d’ancienne génération, alors que nous passons nous-même aux nouvelles générations. Il faut comprendre par exemple que les performances énergétiques visées aujourd’hui impliquent des épaisseurs d’isolants telles, qu’il faudrait vraiment se pencher sur les ressources locales. Il ne faut pas attendre la technologie des pays industrialisés, mais se servir des recherches et expérimentations dans les pays voisins afin d’asseoir un savoir-faire local, pour un développement vertueux.
La production d’énergie solaire quant à elle va évidemment de soi dans tous les pays, et d’autant plus encore dans les pays du pourtour méditerranéen !