Qu’est-ce que l’agroécologie ?
L’agroécologie est une science qui s’applique à la production alimentaire en utilisant les connaissances de l’agronomie et de l’écologie. Elle s’inspire du fonctionnement des écosystèmes pour produire des denrées alimentaires de manière plus durable. Bien que le terme d’agroécologie soit relativement ancien (Bensin 1928), il n’a émergé et pris son sens que dans les années 1980 grâce aux recherches menées sur les systèmes agricoles d’Amérique latine. Contrairement aux approches agronomiques classiques visant à massifier des solutions standardisées, l’agroécologie considère que chaque enjeu de production agricole requiert des solutions souvent très contextuelles, différant selon les terroirs mais aussi d’une parcelle à l’autre d’une même exploitation.
Cette science considère aussi l’agriculture comme un cycle où chaque élément peut être réutilisé, les animaux et les légumineuses nourrissant le sol, les « mauvaises herbes » et les « nuisibles » devenant des aides à la production agricole. Sur le plan politique, les mouvements agroécologiques mettent en avant la souveraineté et la sécurité alimentaire, le développement rural et l’autonomie des agriculteurs. L’agroécologie ne rejette pas la mécanisation, mais privilégie la petite mécanique facilement appropriable et réparable pour éviter la dépendance aux technologies qui peuvent priver les agriculteurs de leur autonomie.
Plusieurs avantages concrets découlent de la pratique de l’agroécologie :
- Encourager la préservation de la biodiversité et de l’agrobiodiversité (diversité des plantes cultivées et des races animales)
- Favoriser la santé des sols en développant l’utilisation de pratiques qui maintiennent ou améliorent la fertilité de la terre cultivée (rotation des cultures, utilisation de compost…)
- Développer une résilience face au changement climatique (meilleure gestion de l’eau et des ressources, stockage du carbone et diminution des émissions de gaz à effet de serre tout au long de la chaîne de production)
- Promouvoir un mode de consommation local et faciliter la souveraineté alimentaire
- Réduire les consommations de carburant nécessaires au travail du sol ou au passage des engins de traitements
- Autonomiser le système agricole vis-à-vis des intrants (fertilisants, pesticides, aliments pour le bétail…) notamment via des systèmes en polyculture-élevage
La Camargue est un territoire qui se prête bien à ce type d’approche adoptée par un certain nombre d’exploitants.
L’agroécologie : des pistes de réponse aux enjeux actuels et à ceux de demain
Partant du constat de l’importance des milieux agricoles pour la biodiversité, et réciproquement de l’importance que peut avoir la biodiversité pour l’agriculture (services de production et services de régulation, notamment), nous avons choisi de développer une stratégie de recherche-action[1] impliquant autant que possible les agriculteurs dans le développement de projets ainsi que des actions de gestion et de restauration sur leurs exploitations (pose de nichoirs, restauration de haies, etc…). Ces travaux s’intéressent aussi bien à l’amont des filières qu’à l’aval. Les productions concernées vont de la vigne, aux productions céréalières (et cultures associées), et à l’élevage avec un intérêt particulier pour les approches couplant polyculture et élevage.
La Tour du Valat développe ces travaux à différentes échelles, depuis nos exploitations sur les deux domaines (la Tour du Valat et le Petit Saint-Jean) jusqu’à l’ensemble du bassin méditerranéen.
Recherche action avec nos partenaires, appliquée à l’échelle du delta
Nous avons identifié des enjeux importants auxquels l’agroécologie peut apporter des solutions : le déclin de la biodiversité en milieux agricoles, la salinisation des sols ainsi que la gestion et la qualité de l’eau. Sur ces sujets, la Tour du Valat a initié un certain nombre de recherches-actions avec ses partenaires.
Les infrastructures agroécologiques
Avec le soutien d’Alpina Savoie, Biosud, la Fondation de France, le Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, ainsi que de nos partenaires techniques – INRAe, Agribio 04, Groupe Chiroptères de Provence, Solagro – nous avons travaillé avec une quinzaine d’agriculteurs bio à l’échelle de 90 parcelles représentatives de la diversité paysagère camarguaise (champs ouverts, paysages bocagers…). Sur ces parcelles nous avons initié des suivis d’oiseaux (printemps et hiver), de chiroptères (chauves-souris) et d’odonates (libellules) pour mieux comprendre comment décliner les recommandations en termes d’aménagement paysager – haies, bandes enherbées et canaux – en fonction des spécificités de la biodiversité camarguaise.
Cette recherche a donné lieu à une thèse intitulée « Rôle des infrastructures et des pratiques agroécologiques pour la conservation de la biodiversité dans les systèmes de grandes cultures en Camargue » soutenue par Pierre Mallet en 2022. Le travail va se prolonger par un accompagnement d’une trentaine d’exploitations en agroécologie en Camargue.
La salinisation des sols et la gestion de l’eau
Du fait de l’allongement des rotations autour du riz, de la baisse de la surface cultivée en riz et de conversions au maraîchage intensif, les entrées d’eau par l’irrigation sont en forte diminution dans le delta avec un impact possible sur la salinisation des sols mais aussi sur les milieux naturels. Afin de mieux comprendre ce phénomène, d’en cerner l’ampleur et de proposer des pratiques permettant de lutter contre la salinisation, nous avons démarré à l’automne 2022, en partenariat avec l’INRAE, une thèse visant à mener une modélisation hydrosaline de la Camargue et sa biodiversité. Les modèles, centralisés sur la plateforme Maelia, nous permettrons d’améliorer nos connaissances du système hydrosalin mais aussi de développer les échanges avec la communauté d’acteurs concernés (riziculteurs, manadiers, gestionnaires de milieux naturels, pêcheurs…).
Accompagner l’agroécologie en Camargue
Plus généralement, nous échangeons avec les acteurs agricoles camarguais, Centre Français du Riz, Chambre d’agriculture, Agribio 04, Arvalis, ainsi qu’avec le Parc Naturel Régional de Camargue pour accompagner les exploitations dans leurs expérimentations sur des changements de pratiques (e.g. conservation des sols) ou la replantation de haies, afin de mieux appréhender les freins et les opportunités pour cette transition agroécologique.
Et à l’échelle de la Tour du Valat
Polyculture-élevage sur le domaine de la Tour du Valat
Nous développons un projet de polyculture-élevage en agriculture biologique, intégrant une production végétale sur les terres des Faïsses (20 ha de friches agricoles à l’est du domaine) et une conduite innovante de la manade de taureaux et de chevaux en lien avec la gestion des milieux naturels.
Concernant la production végétale sur les Faïsses, nous envisageons de diviser la conduite culturale en deux :
- Une partie mimant une rotation culturale longue mais traditionnelle en Camargue (riz, blé, luzerne).
- Une partie avec des cultures expérimentales.
Le retour du riz se fera de façon simultanée dans les deux conduites du fait de la configuration des terres en un seul îlot hydraulique. Dans cette même dynamique, la manade de taureaux est en cours de reconfiguration pour être de taille plus modeste et moins impactante sur certaines terres du domaine. Enfin, nous réfléchissons à un mode d’élevage extensif[2] de chevaux sur quelques centaines d’hectares au nord du domaine.
Concernant l’aval de la production, la visibilité est encore restreinte mais le circuit court sera privilégié, de même que le travail en collaboration avec des partenaires présentant des philosophies compatibles avec nos engagements.
Viticulture en agroforesterie sur le domaine du Petit Saint-Jean
Sur le Petit Saint-Jean, domaine de 101 hectares constitué de pinède, marais, vignes, pré-vergers, agroforesterie et pâturages, nous nous inscrivons entièrement dans la dynamique d’expérimentation agroécologique de la Tour du Valat, avec une ambition forte : optimiser l’usage de l’eau, limiter l’utilisation des intrants et ressources non renouvelables, favoriser les performances agricoles et environnementales et expérimenter des adaptations aux changements climatiques.
Le but est de faire du domaine du Petit Saint-Jean un exemple, une vitrine qui serve à d’autres exploitations et organismes, concernant par exemple la vie du sol et le recours aux auxiliaires de culture comme les chiroptères. Une analyse économique sera menée afin d’évaluer la rentabilité de l’approche pour la partager et la valoriser auprès de la profession agricole.
Globalement, nous chercherons à nous inspirer de dynamiques d’agricultures faisant la part belle à l’hospitalité active pour la biodiversité (pratiques et dispositifs), comme Réensauvager la ferme ou Paysans de nature. Ces derniers sont tous deux des pionniers en termes d’agroécologie et représentent une large source d’idées et de concepts que l’on peut s’approprier et développer en y intégrant agrémentant le contexte camarguais.
Avec le soutien de nos partenaires, et sur la base de nos travaux, beaucoup de solutions émergent, permettant une montée en puissance des dynamiques agroécologiques sur le territoire. La situation géographique de la Tour du Valat, et les nombreuses ressources scientifiques et techniques dont elle dispose, semblent être un bon moyen de contribuer à renforcer le mouvement de transition vers l’agroécologie, et ce à une échelle plus large que celle du delta camarguais. Bien entendu, le but n’est pas d’imposer une quelconque pratique, mais plutôt de partager les savoir-faire développés avec d’autres acteurs agricoles de part et d’autre de la Méditerranée.
[1] Étude qui allie théorie et mise en pratique tout en développant des connaissances générales sur un sujet.
[2] Mode d’élevage économe en intrants qui ne recherche ni une forte productivité individuelle par animal, ni par unité de surface
Contact : Arnaud Béchet (e-mail) , Directeur de recherche – Responsable de l’axe agroécologie