Dr. Shane Mc Guinness, biologiste de la conservation, est le coordinateur adjoint du projet WaterLANDS à l’University College de Dublin (UCD). WaterLANDS est un projet européen lancé récemment visant à piloter la restauration à grande échelle des zones humides européennes. Il répond ci-dessous aux questions de la Tour du Valat concernant la restauration des zones humides.
- Quels sont les principaux obstacles qui empêchent une restauration efficace des zones humides en Europe ?
Les zones humides sont des écosystèmes extrêmement importants, pour la séquestration de carbone, la préservation de la ressource en eau et les services qu’elles fournissent, sans oublier l’incroyable biodiversité qu’elles abritent. Bien qu’elles n’aient pas la même biodiversité que les forêts tropicales humides (et certains diront qu’elles sont moins fascinantes !), les zones humides du monde stockent beaucoup plus de carbone que les forêts tropicales humides et soutiennent beaucoup plus de moyens de subsistance. Néanmoins, 35 % des zones humides mondiales ont disparu depuis 1970, alors qu’en Europe, leur diminution fut amorcée bien avant cette période. Les perceptions du public constituent un enjeu majeur. Bien que les zones humides stockent et capturent de vastes quantités de carbone, ce dernier est séquestré dans le sol ou dans l’eau sans qu’on ne le voit. De même, la plupart des nurseries de poissons, la protection des côtes ou la filtration de l’eau passent inaperçues. En conséquence, le soutien à la protection ou à la restauration des zones humides est bien moindre, car ces zones sont encore souvent considérées comme improductives ou gênantes. Plusieurs obstacles majeurs en découlent. Premièrement, cela signifie que les communautés déjà défavorisées sur le plan socio-économique sont beaucoup moins susceptibles de s’engager dans la protection, plutôt que dans le drainage et le défrichage, car la voie immédiate vers un revenu n’est pas évidente. Deuxièmement, en raison de cette faible priorité, l’engagement des parties prenantes est insuffisant et le soutien du gouvernement fait défaut. Troisièmement, il y a un manque de financement pour réaliser une restauration à grande échelle, car d’autres priorités de restauration prennent souvent le dessus. Quatrièmement, la politique agricole a également été un obstacle à la restauration des zones humides, tout en les affectant. Enfin, il y a un manque de plateformes d’échanges de connaissances en raison de cette moindre priorité, par rapport aux bases de données bien développées pour les forêts ou les ressources marines. De ce fait, la restauration de zones humides a majoritairement été réalisée jusqu’à présent à petite échelle ou limitée à un seul propriétaire foncier, ou menée strictement à des fins conservatoires.
- Comment pouvons-nous surmonter ces obstacles ?
La clé pour surmonter ces obstacles est le « changement de perception » ; en démontrant les valeurs de ces écosystèmes, en incitant à soutenir davantage la conservation (du point de vue social et politique) et en suscitant un changement radical dans les systèmes économiques, la gouvernance et les incitations financières. Ce n’est pas une tâche facile, cependant, car il faut une compréhension combinée non seulement de l’écologie en jeu, mais aussi des valeurs locales existantes, des structures de gouvernance favorables (ou non) et des futures opportunités d’investissement. Par exemple, la prochaine réforme de la PAC pourrait permettre aux propriétaires terriens de recevoir davantage de soutien pour la mise en valeur d’actifs naturels tels que les zones humides, mais les tendances à l’intensification de la production se poursuivent, y compris dans ces espaces importants entre les zones humides ou au sein de leur bassin versant d’origine.
- Quel rôle la société civile peut-elle jouer dans la restauration des zones humides ?
Il serait naïf de penser que toutes les collectivités peuvent restaurer seules leurs zones humides localement, ou que tous les propriétaires privés souhaiteront ramener l’utilisation de leurs terres à un état plus naturel. Certes les initiatives telles que la « science citoyenne » et la « gestion collective » favorisent la restauration et permettent un soutien local puissant et un meilleur plaidoyer politique. Cependant, elles doivent rester complémentaires aux engagements à grande échelle des gouvernements et des investisseurs privés. C’est ainsi que la société civile peut vraiment changer la trajectoire de la restauration des zones humides, en démontrant aux décideurs locaux que leur zone humide est appréciée, qu’elle peut apporter des avantages économiques tangibles et que les progrès actuels en termes de restauration sont trop lents pour devenir une solution viable. En outre, de nombreuses zones humides sont fragmentées entre de nombreux propriétaires fonciers. La collaboration au sein de la société civile est donc fondamentale pour étendre la restauration et s’assurer qu’elle soit effectuée au niveau de l’échelle cohérente du paysage : les bassins versants ne s’arrêtent pas aux clôtures !
- Pouvez-vous expliquer comment le nouveau projet Horizon 2020 « WaterLANDS » prévoit de contribuer à la restauration des zones humides à grande échelle ?
Afin de réaliser ce changement transformationnel, une réponse coordonnée transcendant les aspects écologiques, socio-économiques et de gouvernance est nécessaire. WaterLANDS a été conçu pour réaliser exactement cela. Ce projet, coordonné par l’University College Dublin, implique un total de 32 organisations partenaires dans 14 pays, couvrant la société civile, le monde universitaire, des organismes gouvernementaux, des organisations environnementales à but non lucratif et des entités commerciales. Il est très ambitieux par nature et vise une restauration évolutive à long terme. Le projet est soutenu à 96 % par le fonds Horizon 2020 Green Deal de la Commission européenne, avec un budget global de 23,6 millions d’euros, et vise fondamentalement à faire évoluer la restauration en co-créant un nouveau modèle de restauration des zones humides qui prend en compte les défis (et les opportunités) de l’écologie, des acteurs socio-économiques, de la gouvernance et des finances. En explorant les processus de transposition à plus grande échelle, la restauration des zones humides du projet WaterLANDS permettra d’atteindre une étape à laquelle les Solutions fondées sur la Nature apporteront une multitude de bénéfices cumulatifs. Les connaissances acquises sur 15 « sites de connaissances » à travers l’Europe seront regroupées et appliquées à six « sites d’action », où une restauration tangible sera mise en œuvre. Cette action ne se limite pas simplement à l’arrêt des drainages, à la remise en eau ou à l’élimination des espèces envahissantes, mais vise à co-créer un nouveau paradigme pour les zones humides sur chaque site, en formant les acteurs, en influençant les politiques et en mobilisant des financements. En d’autres termes, il dépasse le seul cadre de l’écologie. Cette initiative devrait avoir des effets durables au-delà de la durée de vie du projet (2026), notamment en catalysant de nouvelles sources de financement pour soutenir des activités économiques diversifiées et en permettant de mieux tirer parti des services écosystémiques fournis par ces habitats vitaux.
Vous trouverez de plus amples informations sur WaterLANDS sur le site www.waterlands.eu ou en suivant @WaterLANDS_EU sur Twitter.