Pascal Provost, conservateur de la réserve naturelle nationale des Sept-Iles (Bretagne) depuis 10 ans répond aux questions de la Tour du Valat concernant les mortalités massives observées chez les fous de Bassan de la réserve, cet été 2022, du fait de la circulation d’une nouvelle souche hautement pathogène d’influenza aviaire H5N1.
1. Pouvez-vous nous donner un aperçu de la situation à laquelle vous avez fait face cet été du fait de la circulation d’un virus d’influenza aviaire hautement pathogène chez les fous de Bassan ?
La colonie de fous de Bassan de la réserve des Sept-Iles est le seul lieu de nidification de l’espèce en France et la colonie la plus méridionale. Elle compte 18 967 couples (SAO) en 2021 qui élèvent chacun un unique jeune chaque année. Ils sont très fidèles à leur partenaire et à leur site de reproduction sur lequel ils reviennent habituellement dès la fin du mois de janvier, la ponte ayant lieu en avril/mai et l’élevage des jeunes s’étalant de juin à septembre.
Nous observions déjà une stagnation des effectifs de la colonie depuis une dizaine d’années, avec un début de déclin en 2021. Plusieurs travaux scientifiques menés sur le long terme en lien étroit avec le CEFE-CNRS mettent en évidence plusieurs facteurs de pression sur la colonie (baisse des ressources en maquereau, baisse des taux de survie des adultes, changement climatique…). Ainsi, nous sommes passés en moyenne d’un succès reproducteur de plus de 80 % dans les années 90 à un succès de 40% en moyenne depuis une décennie.
Si en 2018, le succès le plus bas jamais enregistré était de 19%, le taux d’échec de plus de 90% observé cette année est largement supérieur à toutes les estimations récentes. Les premiers signaux d’alarme ont été pour nous l’observation d’adultes puis de poussins morts sur les nids dès début juillet. En collaboration avec le réseau SAGIR et la DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations), nous avons eu dès le 11 juillet la confirmation de la présence d’un virus influenza H5N1 hautement pathogène dans la colonie. Cette souche s’avère selon les analyses en cours, être spécifique aux fous de Bassan et également observée dans d’autres colonies jusqu’en Amérique du Nord.
2. Comment avez-vous suivi la situation et quels sont les premiers bilans ?
Notre responsabilité dans la conservation d’un tel patrimoine naturel est immense. Habitués au terrain difficile et à œuvrer de concert avec le monde de la recherche, et grâce au soutien financier de notre DREAL, nous avons mis en place plusieurs protocoles durant 4 longs mois, pour 1-évaluer les effets de l’épidémie, tout particulièrement sur la colonie de fous de Bassan et 2-tenter de comprendre les origines d’une épizootie unique depuis l’installation de la colonie sur l’île Rouzic en 1939.
Ainsi, nous avons décidé de maintenir les suivis scientifiques que nous avions prévus sur la saison de reproduction et d’y ajouter des sessions de prélèvements biologiques. Nos collaborations scientifiques et techniques de longue date avec des équipes de recherche telles que celles du CEFE (CNRS/université de Montpellier) et du LIENS (CNRS, Université de La Rochelle), de l’OFB (SD22) et de nouveaux liens avec des vétérinaires et épidémiologistes nous ont été précieux pour nous aider dans cette situation. Durant toute la saison de reproduction, plusieurs missions sur l’île, en mer et en aérien ont eu lieu pour réaliser des suivis photographiques et des prélèvements (31 individus analysés, 15 équipés de GPS-GSM).
Nous avons ainsi pu documenter la baisse importante de la densité de la colonie au fur et à mesure que nous observions des mortalités sur site. En parallèle, des centaines de particuliers signalaient la présence de fous morts ou mourants en mer, sur le rivage mais aussi à terre, ce qui est tout à fait inhabituel pour une telle espèce pélagique. En parallèle du dispositif SAGIR piloté par l’OFB avec l’aide des collectivités et associations, nous sommes en train de faire le bilan de cette saison dramatique mais il est clair que des milliers de poussins et d’adultes sont morts. Ces observations font écho à celles rapportées ailleurs, notamment en Ecosse sur l’île de Bass-Rock.
3. Comment envisagez-vous l’avenir de la colonie ?
Beaucoup de questions se posent. Combien d’adultes vont revenir s’installer l’hiver prochain ? Comment la colonie va-t-elle se structurer spatialement ? Avec un ou plusieurs noyaux ? Nos dispositifs de suivis resteront-ils pertinents ou faudra-t-il les adapter ? Nous nous posons notamment la question de la capacité de persistance du virus sur l’île en l’absence des fous. Pourrait-elle être suffisante pour que des individus revenant dès fin janvier puissent s’infecter ? Ou bien n’y a-t-il pas d’inquiétude à avoir sur ce point ? Les adultes qui reviendront auront-ils développé une immunité suffisante pour ne pas être aussi durement frappés par une éventuelle seconde année de circulation locale d’un virus H5N1 hautement pathogène ? Passé l’émotion que peut susciter une telle perte massive, nous poursuivons sans relâche, notre travail d’évaluation par une approche rigoureuse et scientifique. En mémoire à nos prédécesseurs et aux pionniers du début du XXème siècle qui ont œuvré à la protection de l’archipel des Sept-Iles, nous nous efforcerons de faire la lumière sur l’origine de cette épizootie, c’est dans cette esprit qu’est né ce film de 3 minutes : https://www.youtube.com/watch?v=zptYpb1Eyos
C’est avec responsabilité et par une approche scientifique et pragmatique et à une échelle internationale que nous pourrons mieux analyser et mieux nous préparer face à cette récente pression qui peut mettre à mal des décennies de conservation. Elle doit réveiller les consciences et rappeler l’importance du patrimoine naturel et des aires protégées dans nos sociétés. Des millions de touristes ont visité la colonie de fous de Bassan de l’île Rouzic, un véritable fleuron national de notre biodiversité qui a contribué à forger l’identité de notre territoire de la côte de Granit Rose.