Des données essentielles pour mettre en œuvre des mesures de conservation
Les hérons arboricoles ont connu ces vingt dernières années une croissance particulièrement forte de leurs effectifs reproducteurs en Europe de l’ouest. Et c’est en France, en Camargue, qu’on trouve les plus importantes populations de Héron gardeboeufs, d’Aigrette garzette et de Crabier chevelu. La Camargue accueille également depuis cinq ans une population reproductrice d’Ibis falcinelle.
Les hérons, la famille des Ardéidés, comprennent 62 espèces dans le monde. Par sa position méditerranéenne et sa mosaïque d’habitats, la Camargue accueille toutes les espèces de hérons européennes : Héron cendré (Ardea cinerea), Héron pourpré (Ardea purpurea), Grande Aigrette (Ardea alba), Aigrette garzette (Egretta garzetta), Héron garde-bœufs (Bubulcus ibis), Crabier chevelu (Ardeola ralloides), Bihoreau gris (Nycticorax nycticorax), Butor étoilé (Botaurus stellaris) et Blongios nain (Ixobrychus minutus).
Lors des cinquante dernières années, plusieurs espèces de hérons ont connu de profonds changements en Camargue. Plusieurs nouvelles espèces se sont durablement installées pour s’y reproduire. Par exemple, après avoir disparu de Camargue au 19ème siècle, le héron cendré s’installait de nouveau en 1964. Le héron gardeboeufs, alors qu’il nichait en Afrique et dans le sud de l’Espagne, a progressé vers le nord au 20ème siècle, s’installant durablement en Camargue en 1967.
En Camargue, les hérons utilisent la totalité des habitats humides, marais, roselières, sansouïres, lagunes, rizières…, auxquels s’ajoutent les milieux secs comme les pelouses pour le héron gardeboeufs. Leur régime alimentaire est très diversifié : poissons, amphibiens, mollusques, crustacés, insectes, petits mammifères,…
Ils ont des stratégies diverses. Certains comme le Crabier chevelu et le Héron pourpré passent l’hiver en Afrique subsaharienne, alors qu’une part importante des aigrettes garzettes et des hérons gardeboeufs hivernent en Camargue. Le Bihoreau gris s’alimente principalement la nuit alors que les aigrettes le font le jour. En Camargue, le Héron pourpré niche exclusivement dans les roselières alors que le Héron cendré peut également nicher sur des arbres.
LES TRAVAUX DE LA TOUR DU VALAT
Fortement stimulés par les travaux de Valverde, la Tour du Valat initiait en 1967 des études à long terme sur les hérons arboricoles. D’importants travaux scientifiques ont été menés pendant des dizaines d’années par Heinz Hafner et son équipe pour déterminer les exigences écologiques de ces espèces et les menaces qui pèsent sur elles. Leur statut de conservation très favorable, depuis les années 2000, a permis d’orienter les efforts de recherche pour la conservation sur d’autres espèces.
Toutefois, toutes les espèces continuent d’être suivies. Un dénombrement exhaustif des effectifs reproducteurs de hérons arboricoles a été effectué chaque année de 1967 à 2002, puis tous les deux ans depuis 2002 en raison du grand nombre de colonies, sur l’ensemble de la Camargue (Petite Camargue, île de Camargue, plan du Bourg). L’objectif est de détecter les grandes tendances démographiques de ces espèces. Les colonies de hérons arboricoles sont d’abord repérées par des survols en avion à une hauteur de 1000 pieds et par des recherches depuis le sol. L’estimation des couples reproducteurs est effectuée chaque année selon la même méthode par le comptage des nids.
Une évolution globalement favorable aux espèces
- Durant les années 2000, une vingtaine de colonies de hérons arboricoles se sont installées en moyenne chaque année en Camargue. Mais on note des tendances différentes : alors que l’Aigrette garzette a stoppé sa forte progression depuis maintenant plus de dix ans (figure 1). le Héron gardeboeufs continue sa progression, dépassant les 8 000 couples en 2008 (figure 2). Quant au Crabier chevelu, ses effectifs ont oscillé autour de 100 couples pendant des décennies mais a connu une très forte progression durant les dix dernières années, dépassant les 800 couples en 2010 (figure 3).
- Après plusieurs cas de reproduction sporadique dans les années 1990, l’Ibis falcinelle s’est installé de façon durable en Camargue à partir de 2006, où 14 couples se sont reproduits au Centre du Scamandre, produisant 45 jeunes à l’envol (figure 4). Cette installation fait suite à la reconquête par l’espèce de la partie occidentale du bassin méditerranéen depuis les années 1990, en Espagne, Italie, Algérie… La population camarguaise continue de croître et dépassait les 500 couples en 2011. La Tour du Valat conduit chaque année un programme de marquage qui montre notamment les échanges avec les populations espagnoles et marocaines.
Les principaux facteurs de cette croissance
Les hérons arboricoles et des ibis falcinelles ont tout d’abord profité de la mise en place du statut d’espèce protégée. En effet jusqu’au début du 20ème siècle les aigrettes et les hérons étaient tués à large échelle pour fournir l’industrie de fabrication de chapeaux et costumes de mode.
De plus en Camargue, les modifications des changements de la gestion d’eau par laquelle de plus grandes surfaces sont désormais maintenues en eau d’avril à juillet (pour la chasse ou la riziculture), ont été particulièrement favorables à ces espèces. En effet cela leur offre des ressources alimentaires durant la reproduction.
Pour s’installer ces espèces ont également besoin de vastes espaces non dérangés et la création de nouvelles réserves en Camargue, comme au marais Scamandre ou du Vigueirat, ont permis l’installation de nouvelles colonies.
Enfin ces espèces profitent de nouvelles ressources comme l’invasion de l’écrevisse de Louisiane ainsi que d’hivers plus cléments depuis quelques décades diminuant la mortalité hivernale (même si durant les années 2000, plusieurs vagues de froid ont eu lieu).
A noter ! Nouvelle revue scientifique en ligne sur les hérons
HeronConservation est le groupe mondial leader en expertise scientifique, pratique et de conservation sur la biologie, le statut et la conservation des hérons. Il s’agit d’un réseau mondial interactif qui regroupe des spécialistes des hérons, des défenseurs de l’environnement, des biologistes ainsi que des gestionnaires. Leur objectif est de promouvoir et garantir la conservation des hérons et de leurs habitats dans le monde entier. Le groupe a créé la revue en ligne « the Journal of Heron Biology and Conservation” qui sollicite des contributions sur tous les aspects de la biologie et de la conservation des hérons du monde. La revue est en accès libre.
Références bibliographiques :
*Heron conservation edited by James A. Kushlan and Heinz Hafner. Academic Press. 480 p
*Conserving Herons. A conservation Action Plan for the Herons of the World. James A. Kushlan. Heron Specialist Group & Tour du Valat Arles (FRA) 93p