Quelle contribution de la recherche pour une gestion adaptative du delta ?
Un delta dans un fonctionnement naturel se construit, avance ou recule, sous l’effet conjugué de la dynamique du fleuve et de la mer. Depuis un siècle et demi, l’intervention humaine en Camargue a entravé cette dynamique pour la mise en valeur économique et la sécurisation des personnes. Cet endiguement rend le fonctionnement des écosystèmes des zones humides étroitement dépendant de l’irrigation par le Rhône, principalement pour les besoins agricoles.
L’île de Camargue : une vulnérabilité croissante
Aujourd’hui le delta doit faire face à plusieurs risques :
- Le risque d’inondation : des précipitations locales extrêmes, des crues du fleuve et/ou des surcotes marines peuvent provoquer une saturation des sols et/ou la défaillance de digue de protection, augmentant ainsi le risque de submersion. Les crues du Rhône depuis 1993 montrent que le risque par défaillance des ouvrages est présent ; la défense du trait de côte est depuis des décennies un enjeu important de la gestion du littoral. De plus ces risques de submersion s’accroissent sous les effets du changement climatique : augmentation de la fréquence et de l’amplitude des évènements climatiques extrêmes et hausse du niveau de la mer.
- Le risque d’indisponibilité : le delta avec un déficit hydrique naturel important (l’évaporation annuelle moyenne représente plus du double des précipitations) implique un recours à l’irrigation pour l’activité agricole. Or sur ces sols salés, l’étiage prononcé du fleuve (période de l’année où le débit d’un cours d’eau atteint son minimum) facilite la remontée du coin salé (interface entre eau douce et eau salée) dans les deux bras, et peut rendre l’eau pompée impropre à l’irrigation des cultures.
- Le risque de pollution : les eaux pompées contiennent des polluants résultant des activités sur le bassin du Rhône (métaux lourds, pesticides, autres polluants organiques). L’agriculture intensive en Camargue génère également des flux de pesticides et d’engrais dont une partie des résidus se retrouve en aval, notamment dans la Réserve Nationale de Camargue.
La modélisation des hydro-systèmes: des outils nécessaires d’aide à la décision
Face à ces risques et aux effets du changement climatique à venir, les gestionnaires et décideurs ont besoin de modèles permettant de simuler le fonctionnement hydrologique du delta pour les guider dans les décisions concernant l’aménagement (prospective) ou la gestion de crise (inondations).
C’est pourquoi les hydrologues de la Tour du Valat travaillent pour développer des outils de modélisation hydrologique de l’Ile de Camargue. Une part importante de ce travail consiste également à élaborer des scénarios hydro-climatiques et proposer des règles de gestion évolutives en fonction des projections sur les changements globaux.
Plusieurs projets de recherche initiés et financés par le Ministère de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement Durable et de la Mer (MEEDDM) se sont succédé en Camargue. Des résultats et des recommandations ont pu être apportés avec comme objectif prioritaire de transférer des outils et des connaissances acquises vers les gestionnaires.
Quelques exemples de projets impliquant la Tour du Valat :
- dans le cadre du programme LITEAU 1, les hydrologues ont travaillé sur les conséquences de la variabilité hydro-saline d’un complexe lagunaire méditerranéen (système du Vaccarès) sur ses peuplements piscicoles (2000-2003) ;
- dans le cadre du projet IMPLIT – programme GICC2 (Gestion et Impact du Changement Climatique), l’analyse des conditions limites de la gestion hydraulique de l’Ile de Camargue dans un contexte hydro-climatique extrême a permis de proposer des perspectives et des plans d’aménagement possibles en réponse aux effets prévisibles du changement climatique (2005-2007).
- En 2009 s’est terminé le projet GIZCAM (« Gestion intégrée d’une zone humide littorale méditerranéenne aménagée : contraintes, limites et perspectives pour l’Ile de CAMargue ») du programme LITEAU 2 où la Tour du Valat, assurant la coordination du projet, a développé un modèle de simulation du fonctionnement hydrologique de l’Ile de Camargue, afin de le rendre plus modulaire et pouvoir intégrer de nouvelles options de gestion hydraulique. La quantification des flux sédimentaires et salins associés à la gestion hydraulique a également été réalisée.
La Camargue ne va pas disparaître de si tôt mais elle connait de nouvelles évolutions, sous les effets du changement global. Il appartient aux décideurs et gestionnaires, en s’appuyant sur les outils développés et les connaissances générées, d’élaborer et de mettre en œuvre des stratégies d’adaptation aux changements permettant de les anticiper, de les accompagner et de réduire la vulnérabilité des activités humaines.
Et il nous appartient à tous d’instaurer un dialogue permanent entre scientifiques, gestionnaires et décideurs, et de tenir informer les populations locales.