Comment concilier la conservation de l’environnement et les risques sanitaires ?
Le monde actuel fait face à deux crises majeures, indissociables : l’une écologique, l’autre sanitaire. En cause : l’augmentation des perturbations environnementales. Comment alors améliorer à la fois la conservation des espèces sauvages et la santé publique et vétérinaire ? Des récents travaux entre scientifiques et acteurs de tous horizons tentent d’apporter des réponses.
Après une phase d’optimisme victorieux au 20ème siècle en particulier suite au développement des traitements antibiotiques et l’éradication de la variole par la vaccination, les dernières décades ont vu l’émergence ou la réémergence de maladies infectieuses et de résistances aux molécules de lutte (pesticides, antibiotiques…). Dans les populations humaines trois quarts des maladies infectieuses émergentes proviennent d’animaux, dont une majorité sauvages, comme celles induites par les virus du syndrome respiratoire aigu sévère, de la fièvre West Nile (1) ou de la fièvre Ebola (2). Dans ce contexte, la nature est souvent de nouveau perçue comme un danger à maîtriser.
En parallèle, le monde fait également face à une crise écologique, marquée par une perte de biodiversité sous l’effet des actions de l’Homme. La biologie de la conservation tente de donner des explications et des réponses à cette crise. Mais cette discipline scientifique n’a pris son essor qu’à partir de la fin des années 1970 et la prise en compte des parasites et des pathologies associées reste encore très limitée.
La santé humaine et la santé vétérinaire indissociables de celle des écosystèmes
Ces deux crises, sanitaire et écologique, sont donc liées par leur origine, en partie commune : l’augmentation des perturbations environnementales dues aux activités humaines. Ces perturbations touchent l’ensemble du globe : modification et destruction des habitats, intensification des modes d’élevage et de culture, mondialisation des échanges, changements climatiques, pollutions, usages massifs de molécules de lutte.
Les gestionnaires d’espaces naturels, comme les praticiens médicaux, sont confrontés, dans leurs activités à la recrudescence des problèmes sanitaires issus de l’environnement. Par exemple, les populations de lapins du littoral méditerranéen se sont écroulées face à deux maladies exotiques introduites, la Myxomatose et la Maladie hémorragique virale, posant des problèmes de conservation à la fois pour leurs prédateurs, le lynx pardelle en Espagne et l’Aigle de Bonelli en France, mais aussi pour les habitats que les lapins structurent.
Face à ces défis émergents, des ponts étroits entre la santé et l’écologie, jusqu’alors éloignées par la grande spécialisation de la science ou par l’absence d’intérêts réciproques, se mettent progressivement en place. Tournés historiquement vers une approche diagnostique et de traitement rapide (e.g. vaccination, médication), les mondes de la santé, humaine et vétérinaire, se sont tournés récemment vers l’environnement et l’écologie pour appréhender les mécanismes évolutifs et écologiques sous-jacents, pour anticiper les émergences et adapter leurs moyens de contrôle sur le long terme.
Les travaux de la Tour du Valat
En collaboration avec des équipes d’écologie évolutive, de virologie et d’épidémiologie, la Tour du Valat a développé depuis plusieurs années des recherches en écologie de la santé, notamment pour aider à concilier la conservation de la biodiversité des zones humides méditerranéennes et la présence et le bien-être des populations humaines. Cependant la nécessité, maintenant largement admise, de conserver la biodiversité pour sa valeur intrinsèque mais aussi pour le bien-être humain se heurte parfois à des nécessités immédiates de santé. La Camargue est ainsi confrontée à plusieurs pressions. Par exemple, la présence du virus West Nile et la future arrivée du moustique tigre sont utilisés, à tort, comme argument pour promouvoir la démoustication des espaces naturels ; les oiseaux sauvages migrateurs et la Camargue ont été vus comme des dangers lors de la dispersion du virus de la grippe aviaire H5N1.
Les travaux de la Tour du Valat portent ainsi sur l’écologie du virus West Nile et des virus Influenza aviaires (« grippes ») pour comprendre quels facteurs peuvent expliquer leur évolution ou leur émergence en tant que problèmes sanitaires. Des travaux récents ont montré comment des bactéries humaines porteuses de résistances aux antibiotiques avaient contaminé des oiseaux sauvages en Camargue, pointant ainsi les problèmes de traitement des eaux et des déchets. De nouvelles recherches sont actuellement initiées sur l’impact de la démoustication sur les malaria aviaires.
Enfin un livre collectif « Ecologie de la Santé et Biodiversité (3) » réunissant de nombreux chercheurs de disciplines variées – écologie, biologie de la conservation, épidémiologie, sociologie, sciences politiques… – vient de paraître aux éditions De Boeck à destination des étudiants, enseignants-chercheurs et professionnels de l’environnement et de la santé.