Gaëtan Ploteau, chargé de mission au Parc Naturel Régional de Camargue répond à nos questions sur le site des « Trois marais », qui englobe les zones humides situées entre les Alpilles, la Crau et le Grand Rhône, ainsi que sur les missions d’un chargé de mission Natura 2000 dans un projet tel que l’Atlas des Tourbières.
1. Le site des « Trois marais », dont vous êtes le chargé de mission Natura 2000, est actuellement impliqué dans le projet d’Atlas des Tourbières. Pouvez-vous nous en dire plus sur les spécificités de ce territoire ?
Les sites Natura 2000 des Trois Marais sont situés à l’est du Grand Rhône, entre la Camargue, la Crau et les Alpilles. Contrairement à la Camargue insulaire, alimentée en eau douce par le Rhône, ces sites dépendent principalement des eaux en provenance de la Durance.
La coexistence de deux régimes hydrologiques distincts favorise une grande diversité d’habitats et d’espèces, dont certains sont uniques en Méditerranée. D’une part, une eau acheminée par les canaux d’irrigation agricole, riche en éléments nutritifs, alimente les zones humides et crée un fonctionnement similaire à celui de la Camargue. Cette eau favorise le développement d’habitats tels que les roselières et les prés salés.
D’autre part, une eau issue des remontées de la nappe phréatique de la Crau, plus pure et fraîche, permet l’émergence d’habitats rares en Méditerranée, comme les prairies humides et les marais à Marisques. Cette nappe est alimentée à 70 % par l’irrigation gravitaire nécessaire à la culture du foin de Crau, une activité essentielle à la préservation des marais de Crau, tout comme la riziculture l’est pour la Camargue insulaire. Ces marais abritent les principaux habitats potentiellement tourbeux. Sur les Trois Marais, la tourbe a pu s’accumuler dans les prairies humides méditerranéennes, les marais à marisques et, dans certains cas, les roselières.
2. Selon votre expérience, quel est le rôle d’un chargé de mission Natura 2000 ? Quelle plus-value dans ce projet d’Atlas des tourbières ?
Être chargé de mission Natura 2000, c’est avant tout jouer un rôle de médiateur entre les politiques publiques en faveur de la biodiversité et les acteurs du territoire. Ma mission consiste à faciliter le dialogue territorial en établissant des passerelles entre les enjeux environnementaux et les réalités des différents intervenants locaux.
Sur les Trois Marais, mon rôle est de préserver les habitats et les espèces d’intérêt communautaire, tout en accompagnant les acteurs locaux dans cette démarche. Mon approche repose sur l’identification des besoins spécifiques du territoire, afin de concilier la préservation de la biodiversité avec les activités socio-économiques, telles que la chasse ou l’agriculture. Il est essentiel d’appréhender ces enjeux à travers le regard des acteurs eux-mêmes. Nous ne sommes pas toujours en accord, mais il ne faut pas perdre de vue que ce sont eux qui façonnent le territoire et que leur expérience est précieuse. Ce n’est pas moi qui passe le gyrobroyeur en plein hiver ou qui installe les clôtures dans le marais : ce sont eux qui agissent concrètement sur le terrain. Il est essentiel de rechercher des solutions ensemble sans imposer unilatéralement des contraintes. Seule une approche consensuelle et respectueuse permettra d’obtenir des résultats durables en matière de protection de la biodiversité.
Un bon exemple de cette collaboration est la gestion de l’embroussaillement. Nous avons réussi à nous accorder avec les chasseurs et les manadiers sur un objectif commun. Depuis quelques années, la prolifération des frênes entraîne la fermeture progressive des milieux naturels. Grâce à un financement du Fonds vert obtenu en partenariat avec la commune de Port-Saint-Louis, nous avons mis en place un chantier de gyrobroyage pour enlever ces frênes, avec pour objectif de restaurer un habitat d’intérêt communautaire : la prairie humide méditerranéenne. Cette action, validée par tous, bénéficie aussi bien aux chasseurs, qui gagnent en surface de chasse, qu’au manadier, qui récupère des espaces de pâturage. Ce projet illustre bien notre démarche : une action impulsée par les acteurs du territoire et construite ensemble.
Dans mes fonctions d’animateur territorial, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux agriculteurs et propriétaires privés des sites des Trois Marais. Mon rôle, dans le cadre du projet d’Atlas des tourbières, est d’agir en tant qu’intermédiaire et facilitateur pour établir un premier contact avec les différents acteurs qui participent au projet. Bien que nous ayons essuyé quelques refus, la majorité des propriétaires se montre réceptive à cette démarche. Beaucoup connaissent parfaitement leurs terres et leurs marais, et leur expertise de terrain constitue un atout précieux : elle nous permet de mieux comprendre le territoire, d’affiner notre réflexion et de gagner du temps sur le terrain.
Concernant les milieux tourbeux, l’enjeu principal aujourd’hui est de préserver ce qui subsiste. Ces écosystèmes jouent un rôle fondamental en tant que puits de carbone. D’ailleurs, les premiers retours de terrain suggèrent qu’il existe encore des tourbières actives sur le territoire. Au-delà de la préservation de ces habitats remarquables, nous constatons que les pratiques agricoles respectueuses, maintenues depuis des décennies, ont contribué à leur conservation. Sensibiliser à cet aspect, tant auprès des agriculteurs que des pouvoirs publics, pourrait favoriser une meilleure prise de conscience des liens entre agriculture, préservation des habitats et stockage du carbone.
Par ailleurs, parmi les propriétaires des terrains des Trois Marais, on compte aussi des gestionnaires publics. Il serait pertinent de créer un réseau réunissant ces différents acteurs, publics et privés, afin d’encourager le partage d’expériences, l’échange de connaissances et la diffusion des bonnes pratiques en matière de gestion des prairies humides et des cladiaies.
3. En tant que chargé de mission Natura 2000, quel est pour vous l’avantage de vous associer à ce projet ?
Le PNR de Camargue porte actuellement le projet de préfiguration d’un plan de gestion stratégique des zones humides (PGSZH) à l’échelle du territoire du delta Camargue. Son objectif est d’avoir une vision globale de l’état des zones humides, de leurs fonctions et également des pressions exercées sur ces dernières. La préfiguration de ce plan de gestion est prévue pour fin 2025. Dans cette optique, il nous apparaît intéressant d’y intégrer de nouveaux enjeux de protection qui n’ont pas été mis en lumière jusqu’ici. Concernant les sites des Trois marais, l’enjeu « tourbière » apparaît crucial.
Situés dans des zones industrialisées et à l’intersection d’enjeux agricoles et environnementaux (projet de canal d’EDF et de lignes à très haute tension…), ces sites présentent un intérêt écologique majeur. Contrairement à la Camargue insulaire très souvent mise en avant, les sites « Trois Marais » sont moins ancrés dans l’imaginaire collectif. Ils n’ont pourtant rien à lui envier en termes de « patrimoine naturel ». À l’inverse, dans la continuité du Grand Port maritime de Marseille, les marais de Crau ont souvent été impactés par les grands projets de développement, en dépit de la biodiversité exceptionnelle qu’ils accueillent. La prise en compte de cette fonction de stockage du carbone des tourbières, dans une conjoncture où la décarbonation des industries semble être une priorité des pouvoirs publics, pourrait permettre de mieux prendre en compte ce territoire, voire de débloquer des financements pour des projets de préservation.