Une délégation française s’est rendue fin mars 2018 dans les marais de Mésopotamie, à l’invitation de Iraqi Green Climate.
Les vastes marais du sud de l’Irak, qui couvraient entre 9000 et 20 000 km2 selon les saisons, berceau de la civilisation sumérienne, constituaient l’une des zones humides majeures mondiales, tant sur le plan culturel qu’environnemental. Mais au cours des années 1990, le drainage massif de ces marais par le régime de Saddam Hussein, à des fins politiques, a conduit à la disparition de plus de 90% de leur surface, constituant l’un des pires désastres environnementaux du XX° siècle, générateur de lourdes conséquences socio-économiques.
Voilà une quinzaine d’années, un plan de restauration des marais a été entrepris en les reconnectant à l’Euphrate et au Tigre. Par ailleurs, plusieurs désignations internationales sont venues reconnaître le caractère exceptionnel de ce site : en 2007 adhésion de l’Irak à la convention de Ramsar, suivie de la désignation de plusieurs sites au sein de ce complexe de marais ; désignation en 2016 des marais comme site du Patrimoine Mondial de l’UNESCO (bien mixte, naturel et culturel).
Aujourd’hui, il est estimé que suite à leur restauration, les marais ont couvert jusqu’à environ 40% de leur surface initiale et le gouvernement irakien ambitionne de porter cette surface à 75% à l’horizon 2035, nécessitant d’allouer aux marais un volume de 5,25 milliards m3 d’eau douce par an. Or, les barrages toujours plus nombreux construits sur les cours du Tigre et de l’Euphrate, essentiellement en Turquie, additionnés aux effets du changement climatique, compromettent gravement ces objectifs, menant même à une régression importante des surfaces en eau au cours des dernières années.
C’est dans ce contexte qu’une délégation française s’est rendue fin mars 2018 dans les marais de Mésopotamie, à l’invitation de Iraqi Green Climate, une ONG très investie dans la sauvegarde de ces marais de Mésopotamie et qui s’est dépensée sans compter pour la réussite de cette visite, la première de français dans cette région depuis 2003, hors militaires et diplomates. Constituée de deux sénateurs, par ailleurs présidents de Ramsar France et de Climate Chance, du vice-président de la LPO et de sa compagne, initiatrice du projet, du président de Réserves Naturelles de France et du directeur de la Tour du Valat, cette délégation a pu prendre la mesure des défis. Elle a pu constater, à travers un aperçu de trois des principaux marais de ce complexe mésopotamien (marais central, marais de Hammar Ouest et Est), la très forte valeur écologique de ces sites, tant d’un point de vue de l’abondance et de la diversité des espèces présentes que du caractère endémique de certaines d’entre elles.
Mais elle a également constaté que, faute de quantité suffisante d’eau douce, une partie des marais s’est récemment fortement salinisée, conduisant à une perte massive de biodiversité et des divers usages qui y sont liés, pêche, chasse, et pâturage par les buffles d’eau, composante essentielle de la culture des « arabes des marais », l’agriculture irriguée en périphérie des marais est en forte régression. Il est attendu que le barrage d’Ilisu, en Turquie, qui vient d’être achevé et est en cours de remplissage, diminue de 40% le débit du Tigre. Et la forte sécheresse qui sévit actuellement (il est tombé 60mm d’eau en 2017, contre 100 à 200 mm en moyenne) s’ajoute à ces pressions et aux meurtrissures des guerres successives depuis 1991.
Il est clair que le déterminant essentiel de la durabilité de ces marais réside dans la gestion de l’eau du Tigre et de l’Euphrate dans l’ensemble de leur bassin versant et en particulier en amont, en territoire turc. Ce sujet géopolitique délicat, est bien entendu hors de portée des acteurs impliqués dans cette mission. Diverses rencontres avec le vice-ministre de l’environnement, le gouverneur de la province de Thi Qar, l’ambassadeur de France en Irak, mais également avec divers acteurs locaux, permettent cependant d’envisager des pistes d’actions, de nature beaucoup plus modeste, visant à améliorer significativement les caractéristiques environnementales du site comme les conditions d’existence des populations résidentes par une collaboration accrue entre acteurs français et irakiens.