Depuis 2007, la Tour du Valat coordonne le comptage des grues cendrées hivernantes en Camargue. Ce dénombrement repose sur une quarantaine de personnes, bénévoles ou employés de la Tour du Valat, des Réserves naturelles nationales de Camargue et des marais du Vigueirat, du Parc naturel régional de Camargue et du Syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise, qui se déploient le même jour à l’aube à proximité des dortoirs (zones de regroupement nocturnes) des grues pour les compter lors de leur envol vers leurs zones d’alimentation.
Ces comptages nous indiquent que l’effectif des grues en Camargue est en augmentation forte avec plus de 26 000 grues comptées en 2023 contre à peine 300 en 2007. En quelques années, la Camargue est ainsi devenue le principal site d’hivernage des grues en France devant le lac du Der-Chantecoq en Champagne ou le site d’Arjuzanx en Aquitaine. Alors que cette augmentation constitue un potentiel pour le développement éco-touristique et économique de la région en hiver, elle soulève également des craintes sur les dégâts que ces oiseaux pourraient causer dans les cultures.
Les grues constituent un allié de l’agriculteur lorsqu’elles se nourrissent dans les chaumes de riz : elles y consomment les résidus de récolte mais aussi les graines d’adventices, tout en amendant la terre avec leurs fientes. En revanche, lorsqu’elles se posent dans les semis d’hiver (blé, colza ou féveroles), elles sont susceptibles de causer des dégâts par leur piétinement ou la consommation des graines.
Afin d’identifier les facteurs de présence des grues dans les cultures, la Tour du Valat a mené une étude avec le soutien de la Fondation Prince Albert II de Monaco (Initiative Homme-Faune Sauvage) sur un échantillon de 254 parcelles, visitées 14 fois chacune, au cours de l’hiver 2021-2022. Bien que les surfaces de parcelles en chaumes de riz et de blé échantillonnées soient similaires, il apparait que les chaumes de riz sont fréquemment visités (20% sont occupés en moyenne) en particulier au cœur de l’hiver, en janvier. En revanche les parcelles en blé sont rarement visitées par les grues (dans moins de 2% des cas). Ces rares visites interviennent majoritairement sur les semis tardifs de blé, occasionnant alors parfois des dégâts significatifs.
Le 27 mars dernier, une réunion d’information sur les grues cendrées s’est tenue au centre de découverte du Scamandre, réunissant une vingtaine d’acteurs et partenaires. Organisée par le CEFE-CNRS, le Syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise, le Parc naturel régional de Camargue et la Tour du Valat, et réunissant des représentants des agriculteurs du Gard et des Bouches-du-Rhône, elle a d’abord permis de partager la connaissance des agriculteurs, gestionnaires d’espaces protégés et représentants des services de l’Etat et de l’Office Français de la Biodiversité quant aux causes et aux conséquences de la présence des grues cendrées en Camargue. Ensuite, les résultats de l’étude des déterminants de la distribution des grues ont été présentés et discutés avec les agriculteurs afin d’élaborer des pistes de solutions pour faciliter la cohabitation entre grues et agriculteurs.
Ainsi, retarder le travail du sol des chaumes de riz permettrait de garder les grues sur ces terres attractives où leur présence est plutôt bénéfique pour les agriculteurs. Le surcoût ou le manque à gagner liés au retard de préparation du sol pour les cultures suivantes pourrait faire l’objet de mesures agro-environnementales et s’inscrire dans une politique de valorisation touristique. Des méthodes d’effarouchement ont été discutées, qui pourraient faire l’objet d’une dérogation après demande auprès des autorités administratives, comme c’est le cas depuis plusieurs années pour le flamant rose.
Cette étude a été réalisée avec l’aide financière de la Fondation Prince Albert II de Monaco dans le cadre de l’Initiative Homme-Faune. Le contenu de cet article relève de la seule responsabilité de la Tour du Valat.