Jusqu’à récemment très rare en Camargue pour ne pas dire quasi-absente, la Grue cendrée (Grus grus), dont l’aire de répartition s’étend de l’Europe occidentale à la Russie orientale, y connaît une expansion spectaculaire depuis la fin des années 2000.
Comptées chaque année en hiver depuis 2003-2004 par un réseau d’observateurs coordonnées par la Tour du Valat, sur une dizaine de sites en Grande Camargue et en Camargue gardoise, les chiffres de la population de grues hivernantes font en effet état d’une progression très rapide.
De quelques dizaines d’individus au maximum entre les années 1950 jusqu’à la fin du siècle dernier, ce furent 200 oiseaux qui ont été comptés début 2004, 300 en 2006, 3600 en 2012, plus de 14 000 en 2017, et environ 15 500 en janvier 2018.
En l’espace d’à peine plus d’une décennie la Camargue est ainsi devenue un site d’importance majeure pour l’hivernage des grues cendrées en Europe, sur la période s’étendant de novembre à début mars.
Cette évolution est sans doute directement liée à l’augmentation très nette du nombre de grues empruntant la voie de migration ouest-européenne entre leurs sites d’hivernage méridionaux et les sites de reproduction, majoritairement situés en Europe du Nord (Finlande notamment, Danemark, Allemagne). Ainsi, alors que 35 000 oiseaux environ étaient observés sur cette voie au début des années 1980, ce chiffre était d’environ 350 000, soit dix fois plus, en 2015.
Comme dans les autres sites d’hivernage, les grues camarguaises profitent majoritairement des grandes zones agricoles de la région, notamment des rizières asséchées pendant la période hivernale, alors que les milieux naturels (sansouïres) sont comparativement délaissés. Il est néanmoins plausible que, dans les prochaines années, les changements actuels d’affectation des sols en Camargue, au détriment de la riziculture mais au profit de cultures maraîchères, peu attractives pour les grues, finissent par mettre un terme à l’expansion de l’espèce en hiver dans le delta du Rhône.
Cependant du fait de la présence en Camargue de nombreuses zones humides bénéficiant d’un excellent niveau de protection, et qui constituent pour les grues des dortoirs très attractifs, il est à parier que la présence de l’espèce en hiver y est vouée à perdurer et devenir aussi commune qu’elle l’est déjà dans le Nord-Est de la France depuis plusieurs décennies.
Référence bibliographique : Kayser Y., Gauthier-Clerc M., Blanchon T., Vandewalle P., Befeld S., Petit J., Tiné R., Flitti A. & Champagnon J. (2018). L’hivernage de la Grue cendrée Grus grus en Camargue : historique et statut récent. Ornithos 25-1 : 4-13 (parution printemps 2018)