Dania Abdul Malak est la Directrice du Centre Thématique Européen de l’Université de Malaga (ETC-UMA) en Espagne. Elle a plus de 15 années d’expérience en évaluation et gestion environnementale. Ses recherches sont centrées sur l’établissement de règles transférables pour appliquer une gestion basée sur les écosystèmes à la conservation de la nature et à la protection de la biodiversité à l’échelle régionale, y compris en Méditerranée et en Europe.
Elle répond ci-dessous aux questions de la Tour du Valat concernant la cartographie au service de la restauration des zones humides méditerranéennes.
1. Quels sont les principaux défis et obstacles pour développer une plateforme de données et de connaissances harmonisée et exhaustive sur les écosystèmes humides méditerranéens ?
La mise en place d’une plateforme de connaissances méditerranéennes sur les écosystèmes humides est une étape essentielle pour atteindre une compréhension commune sur leur étendue spatiale, leur répartition géographique et leur état de conservation à l’échelle régionale. Une telle base de connaissances harmonisée peut être un excellent outil d’aide à la décision et à la gestion, qui appuierait des actions concrètes, visant à maintenir les zones humides méditerranéennes en bonne santé.
Malgré divers efforts déployés ces dernières décennies, de nombreuses lacunes subsistent encore en terme de connaissances sur les zones humides méditerranéennes, notamment leur répartition géographique, leur étendue spatiale et l’état de la biodiversité qu’elles abritent.
Afin de surmonter ces défis, il est nécessaire de trouver des moyens efficaces de collaboration pour combler les lacunes, améliorer les connaissances actuelles, construire, maintenir et enrichir une base de données à l’échelle régionale. Il existe différentes situations et différents niveaux de défis en Méditerranée :
o Le Sud et l’Est de la Méditerranée manquent encore de moyens pour réaliser et/ou mettre à jour des inventaires locaux et nationaux consolidés de zones humides et ont besoin d’un financement approprié pour maintenir les systèmes de suivi en place. Les accords sur les bases de données ouvertes et les politiques de partage pour soutenir les efforts régionaux de compilation et d’harmonisation des connaissances à l’échelle méditerranéenne sont également insuffisants.
o D’autre part, la partie européenne du bassin méditerranéen dispose d’une base de connaissances plus complète et accessible, mais des lacunes subsistent encore en termes d’harmonisation des définitions utilisées et d’affinement des processus de cartographie et de suivi, afin que les résultats puissent être plus comparables à l’échelle régionale.
2. Comment relever ces défis ?
La collaboration entre les scientifiques pour se mettre d’accord sur une base commune pour la définition, la délimitation et la catégorisation des habitats humides, afin de faciliter la mise en place d’une base de connaissances régionale est essentielle. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra devenir une référence pour soutenir les actions de gestion et de restauration, ainsi que les décisions en faveur d’une meilleure conservation de ces milieux à l’échelle de la région.
Les accords sur les politiques de partage des données sont essentiels pour s’assurer de leur disponibilité et de leur bon usage en faveur de la conservation des zones humides en Méditerranée.
Des mises à jour et des mises à niveau régulières des connaissances existantes et nouvellement développées aux différentes échelles sont également nécessaires. En effet, bien souvent les données sont déjà disponibles localement, mais ne sont pas harmonisées aux niveaux national et pan-méditerranéen et très faiblement partagées et diffusées.
Il est essentiel d’investir de manière plus ciblée dans des dispositifs de coordination pour assurer le développement et la mise à jour des inventaires nationaux des zones humides dans l’ensemble du bassin. Un tel dispositif opérationnel réduirait le grand déficit de données et de connaissances entre les rives nord et sud de la Méditerranée.
If faut inciter à des actions de collaboration entre les gestionnaires de zones humides, les chercheurs et les partenaires institutionnels dans l’ensemble du bassin, afin de convenir de normes communes pour harmoniser les rapportages internationaux concernant ces milieux.
Une « collaboration vers un objectif commun », entre l’ensemble des parties prenantes (scientifiques, gestionnaires et institutionnelle) reste clé.
3. Comment pensez-vous qu’une telle plateforme de données et de connaissances pourrait nous aider à améliorer la gestion et la restauration des zones humides méditerranéennes ?
La cartographie réalisée des zones humides méditerranéennes est complétée par une évaluation de l’état de leur biodiversité, visant à mettre en évidence les zones prioritaires pour des actions de conservation et/ou de restauration et à soutenir les efforts régionaux de plaidoyer pour une gestion plus efficace de ces écosystèmes, en tant que Solutions fondées sur la Nature (SfN).
Elle permet d’aider à localiser les points chauds, où les enjeux de conservation (ex. fort taux d’endémisme), croisés avec les pressions sont élevés et, donc, à mieux orienter les efforts de conservation et de restauration et à guider les aspirations pour un développement plus durable et plus respectueux des milieux humides dans l’ensemble de la région.
Les différentes typologies d’habitats humides identifiées et différenciées dans cette base de connaissances permettent d’inclure tous les types de zones humides, naturelles et artificielles, ainsi que les zones humides dégradées, ayant perdu tout ou partie de leurs fonctions écologiques. Ces connaissances sur les habitats humides, leur sensibilité biologique ainsi que leur état et les pressions qu’ils subissent, combleront un important manque et pourront alors être directement intégrées dans les politiques de gestion et de restauration de ces milieux.
Enfin, les plans, schémas et politiques de gestion, à différentes échelles géographiques, doivent être adaptables, incluant le plus possible les données et connaissances issues de cette plateforme, afin de promouvoir la conservation des zones humides méditerranéennes et leur utilisation rationnelle, en s’appuyant sur l’approche écosystémique intégrant les contextes hydro-écologiques de ces milieux.
4. Après la publication du rapport « Cartographie et évaluation de l’état des écosystèmes humides : une perspective méditerranéenne » en 2022, comment la communauté scientifique peut-elle contribuer à sensibiliser les décideurs, et la société en général, à l’importance de préserver les zones humides et la biodiversité qu’elles abritent ?
Les zones humides sont vitales pour les économies méditerranéennes. Cependant, leur importance est souvent largement sous-estimée par la société et les décideurs et elles sont souvent considérées comme des habitats inutiles remplis de moustiques.
Le succès des plans de conservation visant à garantir une amélioration de l’état des zones humides doit être guidé par des éléments factuels basés sur la science et orienté par les connaissances et les conseils des communautés locales.
Il est donc pertinent de sensibiliser à leur importance en s’appuyant sur les éléments apportés par ce rapport récemment publié en collaboration entre des institutions régionales clés, dont la Tour du Valat.
La communauté scientifique doit consolider les liens avec les communautés locales qui connaissent le mieux l’importance des zones humides et chercher à les impliquer dans la sensibilisation à la nécessité de conserver et d’utiliser durablement ces milieux.
Sensibiliser pour changer cette vision, convaincre, et promouvoir l’utilisation et la gestion durables des zones humides est crucial pour leur avenir. La sensibilisation des plus jeunes est souvent négligée, mais elle devrait être mise en place à grande échelle afin d’accroître la reconnaissance de l’importance de la biodiversité des zones humides et de la protection de leurs habitats contre les menaces qui pèsent sur eux, afin de limiter leur perte et dégradation en Méditerranée.
Enfin, la sensibilisation des communautés au rôle important des zones humides en tant qu’alliées pour lutter contre le changement climatique, est tout aussi nécessaire et requière un travail éducatif important à tous les niveaux.