Centre de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes, la Tour du Valat se soucie également, par cohérence, de minimiser ses impacts sur le milieu naturel. C’est ainsi qu’elle a développé ces dernières années une véritable stratégie de management environnemental, structurée autour de trois axes :
- Améliorer le traitement de ses déchets (tri sélectif, épuration des effluents domestiques dans une station sur lit de roseau) ;
- Élaborer une politique de diminution des impacts en termes de transport locaux et internationaux ;
- Et procéder à la réhabilitation énergétique de ses bâtiments situés en Camargue.
Les bâtiments de la Tour du Valat, au coeur de la Camargue
Objectif Facteur 4
C’est dans le cadre de ce dernier chantier que la Tour du Valat s’est engagée en 2008 dans un chantier ambitieux : diviser par quatre la consommation énergétique de ses bâtiments et ses rejets de CO2. Un pari loin d’être facile à relever, du fait de la configuration des lieux : plus de 3000 m2 de plancher répartis en huit bâtiments, datant du milieu du 19ème siècle jusqu’aux années 1950, disséminés sur plusieurs hectares et alimentés à l’origine par huit chaudières à fuel et à gaz.
Nourrie de l’expérience du projet Life Promesse conduit sur un autre site camarguais engagé dans une démarche innovante, les Marais du Vigueirat, la Tour du Valat s’est donc d’abord engagée dès 2008 dans un diagnostic énergétique de l’ensemble de ses installations et bâtiments.
Il en est ressorti une consommation énergétique pour le chauffage de près de 200 kWh/m2/an, pour 168 tonnes de CO2/an émises.
La Tour du Valat a ensuite développé sa stratégie énergétique, basée sur les principes de l’approche “négaWatt” :
- Sobriété énergétique (investir dans des équipements plus efficients pour limiter ses besoins, et encourager des comportements vertueux) ;
- Efficacité énergétique (réduire ses consommations par une isolation optimisée de ses bâtiments) ;
- Énergies renouvelables (remplir le maximum des besoins à partir d’énergies renouvelables par la mise en place d’une chaufferie centrale valorisant la biomasse locale, ainsi que l’installation de chauffe-eaux solaires pour la production d’eau chaude sanitaire) ;
- Pertinence locale (développer des solutions faisant appel à des sources de biomasses produites sur site ou à proximité, et adaptées à l’habitat camarguais géographiquement dispersé).
La mise en œuvre de ces solutions s’est ensuite déroulée entre 2009 et 2013, en bénéficiant de soutiens financiers importants :
- Le Financement régional pour l’environnement et l’énergie (FREE, accord cadre État-Région-ADEME 2009-2013) ;
- Le programme opérationnel européen FEDER « L’Europe s’engage en région Provence-Alpes-Côte d’Azur » ;
- Le Plan local énergie-environnement porté par le Parc naturel régional de Camargue.
La réhabilitation des bâtiments a été déclinée selon trois grands axes :
- Améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments par une isolation adaptée (isolation de l’ensemble des combles des toitures avec de la ouate de cellulose), renforcement de l’isolation des façades extérieures au nord du “Mas” et du “Château” avec de la paille de riz, et amélioration de l’isolation des huisseries par le remplacement des vitrages ;
- Produire notre chauffage à partir d’une chaufferie biomasse polycombustible. Cette installation permet aujourd’hui d’utiliser et valoriser des énergies locales renouvelables (plaquettes bois et balles de riz) comme sources de chauffage ;
- Produire l’eau chaude sanitaire grâce à l’énergie solaire, via quatre chauffe-eaux solaires au-dessus des logements et de la cantine.
Isolation par l’extérieur de la face nord du mas principal avec de la paille de riz en 2013
Un bilan très positif
Le bilan final de ce chantier s’avère largement positif.
Ainsi sur le plan thermique, la consommation de la Tour du Valat pour le chauffage est passée de 196 kWh/an/m² avant les travaux (moyenne 2006-2009) à 61 kWh/an/m² pour l’hiver 2013-2014, soit 69 % d’économie. Si on compare les résultats à conditions climatiques identiques le bilan reste très favorable, avec 48 % d’économie.
Concernant le bilan économique (réalisé pour les bâtiments alimentés par le réseau de chaleur uniquement, soit 90 % des consommations totales de chauffage de la Tour du Valat), le gain estimé depuis la mise en place de la chaudière est de 88 000 €, soit 22 000 € par an en moyenne, pour un montant total d’investissement de 907 000 € TTC. Sur la base de ces premiers résultats, le temps de retour sur investissement (hors subventions publiques) de la chaufferie et du réseau de chaleur est estimé à 20 années, ou 39 années si l’on intègre les investissements réalisés pour l’isolation. Déduction faites de l’ensemble des subventions publiques, le temps de retour sur investissement devrait au final être d’environ 18 années. Cependant, l’intégration dans ces calculs de l’utilisation de fuel durant deux saisons de chauffe suite à des incidents survenus sur la chaudière, ainsi que la finalisation de l’isolation en année 3, font que les économies en régime de croisière devraient augmenter, et les temps de retour sur investissement baisser en conséquence.
L’analyse environnementale globale est également encourageante puisque grâce à l’usage de la biomasse (plaquettes forestières) comme combustible, les émissions de CO2 émis ont chuté de 87 % entre 2009 et 2014, soit un résultat sensiblement au-delà des objectifs. Concernant les oxydes d’azote (NOX), bien que le bois en produise plus que le fioul à tonnage équivalent, leur émission a été réduite de plus de 25 % du fait de la baisse drastique de la consommation de combustible.
Alimentation de la chaudière principale à partir de plaquettes forestières
Des résultats prometteurs, mais à améliorer
Grâce à ces aménagements, la Tour du Valat a pu :
- Diviser par 2 sa consommation énergétique. C’est un résultat probant, mais encore éloigné de l’objectif initial d’une consommation réduite des 3/4 ;
- Diviser ses émissions de CO2 par 6 (diminution de 87 %), dépassant ainsi l’objectif initial ;
- Diviser ses coûts de chauffage par 3 (diminution de 70 %). Cette économie très importante, résultant de la diminution de la consommation énergétique et de la substitution des énergies fossiles par des plaquettes forestières, devrait être encore améliorée lorsque pourront être brûlées des balles de riz de Camargue ;
- Réaliser en moyenne une économie annuelle de 22 000 €.
La clé du succès : s’armer d’une volonté sans faille et mettre en place des indicateurs de suivi
Au-delà des chiffres, se lancer dans une telle démarche nécessite une volonté sans faille de la part du maître d’ouvrage. Il est en particulier impératif de s’entourer d’une maîtrise d’œuvre spécialisée et de corps de métier compétents dans ce domaine. Une assistance à maîtrise d’ouvrage peut également se révéler précieuse. Il faut également communiquer en interne afin de bien informer et sensibiliser les salariés, et les inciter à des comportements vertueux. Faire adhérer l’ensemble de salariés et les accompagner dans cette démarche de sobriété est une charge importante et quotidienne ; mais cet aspect n’est pas à négliger car il conditionne l’acceptation des travaux entrepris, tout autant que les performances des installations. Et nous avons pu constater que, même dans une structure œuvrant dans le secteur de l’environnement, les mentalités peuvent être longues à changer !
La mise en place de systèmes de comptage (calories, eau, température, etc) et de suivis est également indispensable pour permettre un bilan en continu des performances de l’installation et des économies qui en découlent. Cela rend également plus facile le transfert ultérieur des expériences vers d’autres porteurs de projets intéressés.
Les obstacles rencontrés
Bien que son bilan soit largement positif, le chantier mené ces dernières années à la Tour du Valat a rencontré quelques obstacles au cours de sa mise en œuvre. Citons notamment :
- Les limites d’un projet de réhabilitation : ce type de projet est souvent plus difficile à mettre en place qu’en cas de nouvelle construction, car il ne permet pas d’utiliser toute la gamme des possibilités techniques aujourd’hui disponibles. Par ailleurs et pour la même raison, les phases de travaux se sont montrées très contraignantes, du fait de l’occupation continue des bâtiments et de la durée des travaux.
- Les tâtonnements inhérents à un projet pilote : le fait d’utiliser des matériaux locaux peu communs (tels que la balle de riz) et de tester un certain nombre d’installations techniques innovantes (par exemple l’isolation à partir de paille de riz) nécessite davantage de temps d’adaptation, voire des modifications ultérieures une fois la mise en place achevée. Par ailleurs, peu d’artisans sont aujourd’hui formés et compétents pour des techniques novatrices, au niveau local comme national. Mais gageons que ce surplus de temps consacré aux tests et à la réalisation des travaux ne sera pas perdu, et pourra être mis à profit lors de prochaines visites et retours d’expériences auprès d’autres porteurs de projets intéressés.
Les perspectives à moyen et long-terme
Bien que la phase de mise en place opérationnelle soit désormais achevée, la Tour du Valat ne considère pas pour autant ce chantier comme terminé. Trois objectifs seront ainsi poursuivis dans les années à venir :
- Continuer à améliorer les performances de l’installation : ces résultats préliminaires correspondent à une phase où les travaux d’isolation finalisés au cours de l’hiver 2013-2014 (changements d’huisseries, substitution des plaquettes forestières par de la balle de riz, travail sur les comportements des usagers) devraient permettre d’améliorer sensiblement les performances énergétiques lors des prochaines saisons de chauffe ;
- Valoriser nos ressources : grâce au nouveau partenariat conclu avec la Caisse d’Épargne Provence-Alpes-Corse, un broyeur permettant de valoriser une partie du bois de la Tour du Valat en plaquettes de chauffage a pu être acquis. Un autre volet du partenariat permettra l’aménagement d’un système d’extraction et de stockage des cendres de balles de riz, en vue de l’utilisation de ce combustible.
- Partager notre expérience : malgré les freins mentionnés, il est particulièrement motivant de mettre en place ce type de projet novateur et d’en mesurer très rapidement les bienfaits. Il est aussi très stimulant de se dire que ces expérimentations ont finalement abouti assez rapidement, avec des résultats concrets convaincants. Charge à la Tour du Valat désormais de s’en faire écho et de les transférer. Plusieurs porteurs de projets publics et privés intéressés par la démarche nous ont déjà contactés, et plusieurs visites de chantiers et échanges ont pu avoir lieu ; nous continuerons bien sûr à œuvrer dans cette direction afin de favoriser la généralisation de ce type de démarches.