Les tourbières, caractérisées par un sol très riche en matière organique, constituent l’un des principaux réservoirs de carbone à l’échelle planétaire, mais ces écosystèmes sont aujourd’hui menacés par les activités humaines, entraînant des émissions de gaz à effet de serre estimées à près de 5 % des émissions mondiales.
Résultat d’une accumulation plurimillénaire, ce stock de carbone représente près de 30 % du carbone des sols, soit 75% de la totalité du carbone contenue dans l’atmosphère. Il est fortement fragilisé par l’assèchement de ces espaces : drainage, abaissement des nappes phréatiques, pompage, changements climatiques, etc. À l’échelle française, les données sur ces milieux manquent, tant et si bien que les émissions des tourbières ne sont aujourd’hui pas intégrées au bilan carbone national. C’est notamment pour combler cette lacune que l’Université de Besançon a monté un projet d’inventaire national des tourbières. À l’échelle méditerranéenne, les informations déjà récoltées ne sont d’ailleurs pas intégrées aux données nationales de l’Atlas des tourbières de 1949.
Objectif du projet
Pour pallier à ce manque, un projet d’étude dans le delta du Rhône a été lancé, avec pour objectif de :
- Localiser les espaces tourbeux du delta du Rhône
- Quantifier les stocks de carbone et les états de conservation des tourbes sur les différents sites.
- Étudier la dynamique de ces sites (historique et actuelle).
Actions et méthodologie
Le projet s’organise entre trois axes :
Axe 1 – Analyse bibliographique
La première étape de ce travail consiste à compiler l’ensemble des données existantes sur le territoire permettant de définir des zones au potentiel tourbeux. Ce travail est réalisé à partir des :
- Échanges avec les gestionnaires (et éventuellement des usagers) de sites du delta du Rhône ;
- Documents divers (articles scientifiques, rapports, …) ;
- Données pédologique / géologique existant (BDD du BRGM, rapports d’études pédologiques, cartes géologiques, …) ;
- Données floristiques (cartographie d’habitats / pointage d’espèces caractéristiques, …).
L’ensemble de ces données a permis d’établir une cartographie de la probabilité de présence de tourbe. Deux secteurs principaux ressortent, à savoir les sites à l’Est du delta, majoritaires, et liés à la nappe de la Crau. Et de l’autre côté, les sites à l’Ouest du delta, alimentés par la nappe des Costières. De manière à valider ou non la présence de tourbe, des sondages pédologiques seront réalisés sur place. Ce travail permettra d’aboutir à une cartographie des tourbières du delta.
Axe 2 – État de dégradation des tourbes et stocks de carbone.
Une fois les espaces tourbeux connus et leurs limites identifiées, il sera possible d’estimer les stocks de carbone. Ces derniers dépendent de deux grands paramètres : le volume et la teneur en carbone du sol tourbeux. Si l’axe 1 permettra d’estimer une surface de chaque site, la profondeur est nécessaire pour estimer un volume, et sera mesurée en réalisant des sondages profonds (jusqu’à 8m manuellement). La teneur en carbone sera mesurée sur des échantillons de sol, à différentes profondeurs (établissant les profils pédologiques), et en différents points.
Ce travail étant chronophage, seuls les principaux sites pourront être étudiés finement (4 à 5 sites maximum). La priorité sera donnée aux sites de grandes surfaces. Ce travail est réalisé en partenariat avec les Amis des Marais du Vigueirat sur les marais de Raphèle, où les épaisseurs de tourbe dépassent les 7 mètres en certains points.
Axe 3 – Caractériser le fonctionnement et les trajectoires écologiques pour prioriser la restauration
Une fois les tourbières du delta du Rhône localisées et leurs stocks de carbone estimés, de nombreuses questions restent en suspens. Ainsi, afin d’estimer l’état de dégradation des tourbières du delta, un travail complémentaire est prévu sur la base de deux approches :
- Évolution de la végétation des sites tourbeux du delta. Ce qui permettra de caractériser les changements de la flore de ces espaces ;
- Mesure des niveaux piézométriques dans les tourbières du delta. Ce point est essentiel car la piézométrie définie le comportement d’une tourbière dans le cycle du carbone. Un site drainé émet du CO2 en quantité très importante, tandis qu’un site avec des niveaux de nappes élevés peut stocker du carbone. Ces mesures permettront d’estimer comment se comportent les différents sites du delta du Rhône dans ce contexte.
Résultats
Le projet est encore en cours de réalisation. Les premiers résultats ont permis de mettre en évidence des épaisseurs de tourbe très importantes, notamment au marais de Raphèle où elles peuvent dépasser 7m sur d’importantes surfaces. A l’échelle du delta du Rhône, les surfaces de tourbières pourraient occuper entre 2000 et 3000 hectares, avec des tourbes qui semblent particulièrement dégradées (notamment la vallée des Baux) et d’autres dans un bon état de conservation (partie Sud du plan du Bourg). La poursuite des investigations va permettre d’affiner ces chiffres et ces observations.
Équipe
Responsable du projet : Antoine Gazaix
Membres impliqués : Violette Perret, Samuel Hilaire, Morgane Garnodon, Hugo Fontès, Julie Régie, Loic Willm, Simon Galmiche, Arsène Marquis-Soria et Elodie Stamm.
Équipes impliquées : Gestion et Restauration des écosystèmes naturels et agricoles, Dynamiques des zones humides et gestion de l’eau.
Date du projet : 02/09/2024 au 31/12/2025
Partenaires
Partenaires techniques : Les Amis des marais du Vigueirat. Le projet est également réalisé en lien avec le CEN Occitanie, le CEN PACA, le GPMM, le PNR des Alpilles, le PNR de Camargue, , le SMCG et le SYMCRAU.
Partenaires financiers : FEDER et Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse
Références
Dellery, B, L. Damiani, G. Juncy, et G. Toro. 1987. « Etude sommaire des possibilités d’un gisement de tourbe dans les marais de Meyranne et des Chanoines Commune d’Arles (Bouches-du-Rhône) ». 87 SGN 179 PAC.
Eisemann, Lea. 2021. Submission under the United Nations Framework Convention on Climate Change and the Kyoto Protocol 2021. Umweltbundesamt. https://www.umweltbundesamt.de/publikationen/submission-under-the-united-nations-framework-6.
Eulry, M. 1983. « Recherches de gisements de tourbes en Languedoc-Roussillon – Sitologie et données économiques – Etude de quatre tourbières du plateau d’aubrac (Lozère) ». 83 SGN 851 LRO.
Janowiak, M., W. J. Connelly, K. Dante-Wood, G. M. Domke, C. Giardina, Z. Kayler, K. Marcinkowski, et al. 2017. « Considering Forest and Grassland Carbon in Land Management ». General Technical Report, Washington Office 95. https://doi.org/10.2737/WO-GTR-95.
Joosten, Hans. 2016. « Peatlands across the globe ». In Peatland Restoration and Ecosystem Services: Science, Policy and Practice, 19‑43. https://doi.org/10.1017/CBO9781139177788.003.
Parish, F, A Sirin, D Charman, Hans Joosten, T Minaeva, et M Silvius. 2008. Assessment on peatlands, biodiversity and climate change. Global Environment Centre, Kuala Lumpur and Wetlands International Wageningen.
Payne, Richard. 2016. « Peatlands of the Mediterranean Region ». In The Wetland Book, édité par C. Max Finlayson, G. Randy Milton, R. Crawford Prentice, et Nick C. Davidson, 1‑12. Dordrecht: Springer Netherlands. https://doi.org/10.1007/978-94-007-6173-5_111-2.
Scharlemann, Jörn PW, Edmund VJ Tanner, Roland Hiederer, et Valerie Kapos. 2014. « Global soil carbon: understanding and managing the largest terrestrial carbon pool ». Carbon Management 5 (1): 81‑91. https://doi.org/10.4155/cmt.13.77.
Sicard, Ninon, Thomas Legay, Jérémy Cuvelier, Pascal Fenart, Hervé Gomila, et Sébastien Chazot. 2023. « Etude des besoins d’alimentation en eau des zones humides de la Crau (OSMOSE 2) – rapport final ». A00772.
Triat-Laval, Hélène. 1979. « Contribution pollenanalytique a l’histoire tardi et postglaciaire de la végétation de la basse valle du Rhône ».
Yu, Zicheng, Julie Loisel, Daniel P. Brosseau, David W. Beilman, et Stephanie J. Hunt. 2010. « Global Peatland Dynamics since the Last Glacial Maximum ». Geophysical Research Letters 37 (13). https://doi.org/10.1029/2010GL043584.