En 2025, la Tour du Valat vous propose un nouveau format pour découvrir les coulisses du terrain de ses salariés et mieux connaître les activités de la Tour du Valat.
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Episode 1 – Une journée de pêche sur le canal de Fumemorte avec Pascal Contournet
Embarquez avec Pascal Contournet, technicien de recherche à la Tour du Valat, sur le canal du Fumemorte, un canal de drainage des eaux rizicoles qui se jette dans l’étang de Vaccarès en Camargue. Depuis 1993, il y mène un suivi des populations de poissons de cet écosystème au fil des saisons, avec une attention particulière portée à l’anguille européenne.
Hugo Ferreira, doctorant à la Tour du Valat depuis 2020, a soutenu sa thèse et obtenue la mention honorifique le 13 mars 2025 à Aveiro au Portugal, intitulée :
«Processus démographiques de la Spatule blanche face aux changements globaux »
Hugo a réalisé son doctorat sous la supervision scientifique du Dr José Alves, chercheur principal au CESAM, Université d’Aveiro, le co-encadrement de Jocelyn CHAMPAGNON, directeur de recherche à la Tour du Valat et avec la collaboration de Tamar Lok, NIOZ Royal Netherlands Institute for Sea Research.
Les changements globaux se produisent à un rythme alarmant en raison du développement humain continu et croissant. Les activités anthropiques entraînent une perte directe et significative des habitats, et donc de la biodiversité, mais elles influencent également, de manière indirecte, la capacité des espèces à répondre aux changements globaux. Les oiseaux migrateurs, qui connaissent actuellement un déclin important et rapide à l’échelle mondiale, font partie des taxons les plus touchés par les changements climatiques mondiaux et la perte d’habitat. Cependant, toutes les espèces de ce groupe ne sont pas en déclin et certaines semblent se rétablir, au moins localement, comme l’atteste plusieurs espèces d’oiseaux d’eau en Europe. Étudier la manière dont ces espèces en voie de rétablissement s’adaptent aux changements actuels, que ce soit au niveau du climat ou de leur habitat, peut fournir des indications sur la capacité de résilience des espèces d’oiseaux migrateurs.
Un exemple notable d’une croissance de population après des années de déclin est celui de la Spatule blanche, une espèce partiellement migratrice qui s’étend de la côte est de l’Atlantique à l’Asie du Sud-Est. Dans cette thèse, Hugo a étudié le rôle des conditions environnementales, du comportement et de l’expérience dans l’influence de la réponse de cet oiseau d’eau aux changements globaux et locaux induits par des facteurs anthropiques directs et/ou indirects. Plus précisément, cette thèse comprend six chapitres visant à (i) explorer la façon dont le succès de reproduction est associé aux conditions environnementales rencontrées localement ; (ii) évaluer l’impact des facteurs anthropiques tout au long du cycle annuel et selon l’âge ; et (iii) comprendre l’effet du comportement migratoire sur la survie et la productivité.
Cette thèse explore comment une espèce d’oiseau d’eau modérément spécialisée peut bénéficier des changements globaux actuels en exploitant de nouvelles opportunités, telles que l’utilisation d’espèces envahissantes comme nouvelles sources de nourriture et l’utilisation de zones humides gérées pour des activités économiques et récréatives. Elle souligne également comment l’amélioration des performances (par exemple, la reproduction et la migration), avec l’âge et grâce aux signaux sociaux des congénères plus âgés, renforce la capacité de la spatule à prospérer dans des environnements changeants. Enfin, cette thèse examine la rapidité avec laquelle un scénario actuellement positif (affichés par les oiseaux d’eau) peut changer face à une grave dégradation des zones humides ou à un manque de souplesse d’adaptation aux changements mondiaux en cours.
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Hugo a également rédigé six articles dans sa thèse dont trois sont déjà publiés :
1) Ferreira HRS, Alves JA, Jiguet F, Duriez O, Blanchon T, Lok T, Champagnon J. 2024. Role of protected areas for a colonial-breeding waterbird in a fragmented landscape throughout its annual cycle. Landscape Ecology 40:6. https://doi.org/10.1007/s10980-024-02017-5 [2]> Plus d’info ici[3]
2) Ferreira HRS, Hadden AC, Champagnon J, Lok T, Vittecoq M, Alves JA. 2025. Presence and potential impact of anthropogenic nesting materials on a colonial breeding waterbird. Science of The Total Environment 964:178588. https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2025.178588[4].
Dans cette étude, nous avons quantifié la présence de matériaux de nidification anthropiques (plastiques) dans les nids de spatules. Plusieurs collectes d’informations ont été menées, la principale étant réalisée par photos pour limiter le dérangement. Les plastiques font partie principalement du linteau des nids de spatules, et sont principalement des feuilles de plastique. La proportion de plastiques augmente au fil de la saison. Aucun lien n’a été trouvé entre la proportion de plastiques et l’âge des reproducteur ou le succès de l’éclosion.
3) Ferreira HRS, Champagnon J, Alves JA, Lok T. 2024. Relationship between wintering site and survival in a migratory waterbird using different migration routes. Oecologia. https://doi.org/10.1007/s00442-024-05518-x[5].
Une étude a utilisé les données de baguage pour évaluer des différences de survie des spatules blanches en fonction des zones d’hivernage. Les migrateurs à longue distance ont le taux de survie le plus bas, indépendamment de la voie de migration empruntée. En outre, avec l’âge, les spatules semblent mieux faire face aux défis migratoires et aux conditions d’hivernage, car aucune différence de survie apparente entre les stratégies d’hivernage n’a été détectée au cours des années suivantes.
Il est encore temps de sauver les marais côtiers de Méditerranée
Jusqu’à 92% des marais côtiers de Méditerranée pourraient disparaître d’ici à 2100, selon une étude publiée dans la revue Nature Communications Earth & Environment, à laquelle ont contribué des chercheurs de la Tour du Valat. Selon les auteurs, des mesures de protection locales associées à une politique globale de ralentissement du changement climatique pourraient permettre de largement réduire ces pertes.
Les marais côtiers : des milieux essentiels
Les marais côtiers de Méditerranée sont des milieux uniques dont dépendent de nombreuses espèces, et où l’on retrouve une flore spécifique adaptée aux conditions saumâtres. La Camargue en France, le delta de l’Èbre en Espagne ou encore le delta du Nil en Égypte sont des espaces emblématiques de ce type d’écosystèmes.
Au-delà de constituer de véritables refuges pour la biodiversité, ces milieux fournissent également d’importants services écosystémiques aux sociétés humaines. Stockage du CO2 dans leurs sols, filtration des eaux ou encore barrière naturelle contre l’érosion côtière et les submersions marines : les marais côtiers contribuent largement à protéger notre qualité de vie, nos infrastructures, ainsi qu’à mitiger les effets du changement climatique.
Pourtant, ces écosystèmes font face à des pressions croissantes. Alors que la montée des eaux liée au changement climatique réduit progressivement leur superficie, la multiplication des barrages sur les grands fleuves a considérablement réduit l’apport de sédiments nécessaires à leur renouvellement naturel. Enfin, l’urbanisation des littoraux méditerranéens et la multiplication des infrastructures créent un phénomène de « compression côtière » qui empêche le processus naturel de migration des marais vers l’intérieur des terres, en réponse à la montée des eaux.
Vers une disparition des marais côtiers méditerranéens ?
Dans cette étude les chercheurs ont analysé l’impact potentiel de l’élévation du niveau de la mer sur ces écosystèmes à l’échelle de tout le bassin méditerranéen.
« En utilisant une approche de modélisation intégrée, nous avons analysé comment les marais des façades côtières méditerranéennes allaient être impactés à large échelle par l’élévation du niveau de la mer, la dynamique des sédiments, la gestion des côtes, conduisant, ainsi, à leur migration vers l’intérieur des terres, voire leur disparition totale », explique Olivier Boutron[6], l’un des auteurs de l’étude, chercheur en hydrologie à la Tour du Valat et coordinateur de l’équipe en charge des problématiques de gestion de l’eau en zone littorale. Cette méthodologie a permis de modéliser plusieurs scénarios à l’échelle du bassin méditerranéen, en fonction de trois trajectoires climatiques : optimiste, intermédiaire et pessimiste.
Les résultats sont alarmants, puisqu’ils révèlent que jusqu’à 92% des marais côtiers de la façade méditerranéenne pourraient disparaître d’ici 2100. Dans le scénario du maintien de la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre, la France, l’Égypte et l’Algérie pourraient ainsi voir la totalité des marais de leur façade côtière méditerranéenne disparaître d’ici la fin du siècle.
Des solutions sont possibles
Selon l’étude, la gestion actuelle des ouvrages de protection côtière ne permet pas d’enrayer cette disparition et ce, quel que soit le scénario climatique envisagé. Toutefois, une refonte stratégique de la gestion littorale couplée à un ralentissement global du changement climatique pourrait diviser par deux les pertes, à l’échelle méditerranéenne.
Pour atteindre cet objectif, une stratégie doit être mise en place à deux niveaux : globalement, par la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’ampleur du changement climatique, ainsi que localement, par l’adoption de mesures d’adaptation permettant de préserver certains marais côtiers toujours existants en Méditerranée, en fonction des spécificités et possibilités locales, voire de restaurer une partie de ceux ayant été perdus et qui seront moins exposés au risque de submersion marine dans le futur.
Parmi les politiques locales à mettre en œuvre prioritairement figure la création de « zones tampons » à l’arrière des marais actuels. Cette mesure essentielle permettrait aux écosystèmes de migrer naturellement vers l’intérieur des terres en réponse à la montée des eaux. « Ce type de mesure seule ne suffit cependant pas, il faut également développer des projets de restauration active de ces milieux » souligne Anis Guelmami, [7]coordinateur de l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes[8] à la Tour du Valat et co-auteur de l’étude, et ajoute : « Il faut dès à présent engager le dialogue afin de trouver l’équilibre entre réduction de la compression côtière et maintien de systèmes de défense traditionnels pour protéger les enjeux économiques, là où c’est nécessaire. »
Schuerch, M., Kiesel, J., Boutron, O., Guelmami, A., Wolff, C., Cramer, W., Caiola, N., Ibáñez, C., Vafeidis, A. T. Large-scale loss of Mediterranean coastal marshes under rising sea levels by 2100. Commun Earth Environ6, 128 (2025). https://doi.org/10.1038/s43247-025-02099-2[9]
Contacts
Olivier Boutron[10], chargé de recherche et Coordinateur du Thème Dynamiques des zones humides et gestion de l’eau à la Tour du Valat
Face au manque de données sur les tourbières du delta du Rhône, la Tour du Valat a lancé fin 2024 un projet dédié à cartographier ces milieux humides particuliers, estimer leurs stocks de carbone et évaluer leur état. Ces informations essentielles seront intégrées à l’atlas national des tourbières, dont la publication est attendue fin 2025, afin de mieux orienter les actions de restauration et de conservation de ces réservoirs naturels de carbone menacés par les activités humaines.
Principal stock de carbone des sols, les tourbières sont menacées par les activités anthropiques
Caractérisées par un sol très riche en matière organique, les tourbières constituent, à l’échelle planétaire, le principal stock de carbone des sols[i][12]. Bien qu’elles ne couvrent que 3% de la surface des terres émergées[ii][13], elles stockent près de 30% du carbone total contenu dans les sols[iii][14], soit l’équivalent de 75% de la totalité du carbone présent dans l’atmosphère[iv][15].
Fruit d’une accumulation sur plusieurs millénaires, ce stock de carbone est aujourd’hui gravement menacé par les activités humaines, en particulier par l’assèchement des tourbières (drainage, abaissement des nappes phréatiques, pompages, changements climatiques). Ce phénomène entraîne la décomposition de la matière organique jusqu’alors préservée, libérant ainsi des gaz à effet de serre qui représenteraient environ 5 % des émissions mondiales[v][16].
A l’échelle française, le manque de données empêche pour l’instant l’intégration des émissions des tourbières au bilan carbone national. C’est notamment pour combler cette lacune que l’Université de Franche-Comté a lancé un projet d’inventaire national des tourbières, dont la parution est prévue fin 2025.
Les apports d’eau souterraine, clés de la présence de tourbières en région méditerranéenne
La présence de tourbières résulte de conditions d’engorgement en eau quasi permanent, limitant la dégradation de la matière organique. Or, le climat méditerranéen se caractérise par un fort déficit hydrique estival. Dès lors, à l’exception de certains secteurs bénéficiant de microclimats plus humides, comme en montagne, la présence de tourbières en région méditerranéenne ne peut s’expliquer que par des apports d’eau souterraine. Ainsi, d’importantes résurgences peuvent créer des conditions propices à la formation de tourbe.
Ces conditions sont notamment réunies en bordure du delta du Rhône, où la présence de sites tourbeux est bien attestée. Les traces d’une ancienne fosse d’exploitation de tourbe dans le marais des Chanoines et le risque d’enlisement des bêtes, bien connu des éleveurs locaux, en sont des témoignages directs. Des documents historiques confirment également l’existence de tourbières dans cette région, comme l’étude du gisement de Chanoines et Meyranne[vi][17], celle du Cougourlier[vii][18] ou encore des recherches palynologiques[viii][19].
Plus récemment, OSMOSE 2,[20] une étude pilotée par le SYMCRAU (Syndicat Mixte de gestion des nappes de la Crau) sur les liens entre la nappe de la Crau et les zones humides qui en dépendent, a permis de confirmer la présence de tourbe sur plusieurs sites[ix][12]. Cependant, les données disponibles demeurent incomplètes, et les tourbières du delta du Rhône n’étaient pas répertoriées dans l’Atlas national des tourbières[21] de 1949.
C’est pour pallier le manque de données sur les tourbières du delta du Rhône que la Tour du Valat a lancé un nouveau projet fin 2024 structuré autour de trois axes : cartographier précisément les zones tourbeuses du secteur, estimer les stocks de carbone, et évaluer l’état de ces milieux.
Une analyse croisée de diverses sources d’information disponibles a déjà permis d’établir une cartographie des zones à fort potentiel tourbeux (cf. carte ci-dessous). Cette première étape s’est appuyée sur plusieurs sources, notamment :
Les échanges avec les gestionnaires de sites du delta du Rhône et certains usagers;
L’étude d’articles scientifiques et de rapports;
L’exploitation des données pédologiques et géologiques disponibles, ainsi que des données floristiques (cartographies d’habitats, recensement d’espèces caractéristiques…).
Deux secteurs principaux se distinguent : majoritairement les sites situés à l’est du delta, en lien avec la nappe de la Crau, et ceux situés à l’ouest, alimentés par la nappe des Costières. Afin de confirmer la présence de tourbe sur ces sites, des sondages pédologiques seront réalisés sur le terrain.
Pour estimer les stocks de carbone des différents sites retenus, deux paramètres essentiels devront être mesurés : le volume du sol tourbeux et sa teneur en carbone.
Évaluer l’état de dégradation des tourbières du delta du Rhône pour guider les actions de conservation
La dernière étape du projet vise à évaluer l’état de dégradation des tourbières à travers deux approches complémentaires. D’une part, l’analyse de l’évolution de la végétation permettra d’identifier les changements floristiques au sein de ces milieux. D’autre part, la mesure des niveaux piézométriques[1][22] offrira un indicateur clé pour comprendre le rôle des tourbières dans le cycle du carbone. En effet, une tourbière drainée libère d’importantes quantités de gaz à effet de serre, dont principalement du CO₂, du méthane (CH₄) et de l’oxyde nitreux (N2O), tandis qu’un site où la nappe phréatique reste haute favorise le stockage du carbone. Ces analyses fourniront une meilleure compréhension du fonctionnement des différents sites de tourbières du delta et guideront les actions de conservation et de restauration.
Ce projet marque une première étape essentielle dans l’acquisition de connaissances sur les tourbières méditerranéennes et constitue un préalable indispensable au développement de programmes de recherche et de restauration écologique. Il représente également un premier jalon dans l’évaluation des émissions de gaz à effet de serre associées à ces milieux en climat méditerranéen, un sujet encore largement inexploré.
En outre, il contribuera à une meilleure reconnaissance de la nature tourbeuse des sols de certains sites et des implications qui en découlent en termes d’usages, de gestion hydraulique et écologique.
À plus long terme, ces travaux pourraient être prolongés afin d’affiner la compréhension du territoire du delta du Rhône et d’élargir l’étude à l’ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ou encore au littoral occitan du bassin Rhône-Méditerranée, où ces milieux naturels restent encore méconnus.
[1][23] c’est-à-dire la mesure de profondeur de la surface de la nappe d’eau souterraine
Bibliographie
[i][24] Parish, F, A Sirin, D Charman, Hans Joosten, T Minaeva, et M Silvius. 2008. Assessment on peatlands, biodiversity and climate change. Global Environment Centre, Kuala Lumpur and Wetlands International Wageningen.
[ii][25] Yu, Zicheng, Julie Loisel, Daniel P. Brosseau, David W. Beilman, et Stephanie J. Hunt. 2010. « Global Peatland Dynamics since the Last Glacial Maximum ». Geophysical Research Letters 37 (13). https://doi.org/10.1029/2010GL043584[26].
[iii][27] Scharlemann, Jörn PW, Edmund VJ Tanner, Roland Hiederer, et Valerie Kapos. 2014. « Global soil carbon: understanding and managing the largest terrestrial carbon pool ». Carbon Management 5 (1): 81‑91. https://doi.org/10.4155/cmt.13.77[28].
[iv][29] Janowiak, M., W. J. Connelly, K. Dante-Wood, G. M. Domke, C. Giardina, Z. Kayler, K. Marcinkowski, et al. 2017. « Considering Forest and Grassland Carbon in Land Management ». General Technical Report, Washington Office 95. https://doi.org/10.2737/WO-GTR-95[30].
[v][31] Joosten, H. 2016. « Peatlands across the globe ». In Peatland Restoration and Ecosystem Services: Science, Policy and Practice, 19‑43. https://doi.org/10.1017/CBO9781139177788.003[32].
[vi][33] Dellery, B, L. Damiani, G. Juncy, et G. Toro. 1987. « Etude sommaire des possibilités d’un gisement de tourbe dans les marais de Meyranne et des Chanoines Commune d’Arles (Bouches-du-Rhône) ». 87 SGN 179 PAC.
[vii][34] Eulry, M. 1983. « Recherches de gisements de tourbes en Languedoc-Roussillon – Sitologie et données économiques – Etude de quatre tourbières du plateau d’aubrac (Lozère) ». 83 SGN 851 LRO.
[viii][35] Triat-Laval, H. 1979. « Contribution pollenanalytique a l’histoire tardi et postglaciaire de la végétation de la basse valle du Rhône ».
[ix][24] Sicard N., T. Legay, J. Cuvelier, Pascal Fenart, Hervé Gomila, et Sébastien Chazot. 2023. « Etude des besoins d’alimentation en eau des zones humides de la Crau (OSMOSE 2) – rapport final ». A00772.
Contact
AntoineGazaix[36], chargé de recherche à la Tour du Valat
Vendredi 4 avril, les élèves de l’école de Gageron ont passé une journée sur le marais restauré de Petit Badon, dans le cadre du projet Educ’Lône du CPIE Rhône Pays d’Arles et en partenariat avec le projet Rest-Chir’Eau.
Accompagnés par l’équipe du CPIE Rhône Pays d’Arles, les élèves de l’école de Gagerons sont partis à la rencontre du marais restauré de Petit Badon[38]. Situé sur une parcelle de 14 hectares, le long de l’ancien Bras de fer du Rhône, ce marais est le fruit d’un projet de restauration d’une friche agricole. Initié en 2019, ce projet a permis la recréation d’un écosystème au fonctionnement proche de celui des marais temporaires méditerranéens naturels. En reconstituant des habitats favorables pour la biodiversité (flore, oiseaux d’eau, odonates, amphibiens, reptiles, chiroptères…), le projet de Petit Badon[38] vise également à étudier la dynamique de reconstitution de l’écosystème afin de mettre en place des actions de gestion adaptées.
Pour les enfants, la matinée a été dédiée à la présentation du site à travers des activités ludiques, organisées sur le terrain : lecture du paysage, étude de la présence de l’eau dans une zone humide, ou encore découverte des systèmes d’arrivée d’eau. L’après-midi, focus sur la biodiversité, et notamment sur la présence des chauves-souris sur le marais : Pauline Rocarpin et Lorenza Tarasco ont présenté le projet Rest-Chir’Eau, qui étudie l’activité des chauves-souris au sein des zones humides de ce secteur. Avec elles, les élèves sont partis sur les traces de présence de ces petits mammifères volants et ont pu assister à une démonstration de l’installation d’un dispositif de suivi des chauves-souris.
Organisée dans le cadre du projet Educ’Lône, porté par le CPIE Rhône Pays d’Arles, cette sortie a permis aux enfants d’être sensibilisés aux enjeux de conservation zones humides du Bras de fer, ainsi que de la biodiversité qu’elles abritent.
Jeudi 3 avril, les élèves de l’école primaire du Sambuc ont enfourché leurs vélos pour partir à la recherche des traces de présence des chauves-souris.
Accompagnés par Pauline Rocarpin, coordinatrice du projet Rest-Chir’Eau[39], les élèves de l’école primaire du Sambuc ont parcouru les rues du village à la recherche d’indices de présences laissés par les chiroptères. Car si les chauves-souris sortent la nuit, un œil averti saura deviner leur présence à la lumière du jour : présence de guano autour d’une fissure présente dans un mur, coulures visibles en dessous d’un trou situé dans un arbre ou encore identification de zones de chasse potentielles… D’observation en observation, l’enquête a mené la classe jusqu’au sein des marais du Verdier[40], où les enfants ont pu assister à la pose d’un dispositif de suivi passif des chauves-souris au milieu du marais.
Les élèves ont également pu découvrir le programme de sciences participatives du projet, et notamment l’enquête « Wanted, avez-vous vu des chauves-souris en Camargue ?[41]« . Ouverte jusqu’en automne 2025, cette enquête permet aux habitant·es de Camargue ainsi qu’à toute personne de passage de partager leurs observations de chauves-souris réalisées sur ce territoire, à l’aide d’un questionnaire simple et intuitif permettant de recenser les indices de présence que les enfants ont appris à reconnaître durant cette sortie.
Cet après-midi d’observation a permis aux élèves de se familiariser avec la présence des chiroptères en milieu urbain et en milieu naturel et de mieux connaître ces espèces mystérieuses mais essentielles à la biodiversité.
Près de 20 ans après leur interdiction, les munitions au plomb restent une menace persistante pour la santé des humains et des oiseaux
La Camargue, une zone humide de 85 000 hectares située dans le delta du Rhône, est un site d’importance internationale au titre de la convention de Ramsar sur les zones humides. Pendant l’hiver, elle accueille des centaines de milliers d’oiseaux d’eau, dont la plupart migrent ensuite vers les zones de reproduction d’Europe du Nord. Les concentrations spectaculaires d’oiseaux en font un espace très fréquenté pour les ornithologues et les chasseurs de gibier.
En dépit de l’interdiction en France de chasser avec des munitions au plomb dans les zones humides depuis 2006, les oiseaux d’eau sont toujours contaminés par les billes de plomb. C’est ce que démontre une nouvelle étude scientifique publiée dans la revue Conservation Science and Practice.
L’analyse de plus de 2000 gésiers collectés avec l’aide d’un réseau de 38 chasseurs partenaires montre que les canards continuent d’ingérer des billes de plomb qu’ils utilisent pour broyer les aliments. Un oiseau sur huit analysés était affecté, un taux qui est resté le même avant et après l’interdiction. Le nombre de billes de plomb par gésier ne diminue pas non plus au cours du temps.
Cette contamination témoigne de l’utilisation persistante par nombre de chasseurs de munitions au plomb. Si le taux de munitions toxiques a diminué depuis 2006, la collecte de près de 4000 douilles de cartouches tirées en Camargue montre qu’aujourd’hui encore 50% des douilles retrouvées avaient contenu de la grenaille de plomb.
Selon Arnaud Béchet, directeur de recherche à la Tour du Valat et premier auteur de l’étude, « c’est plutôt frustrant qu’après 60 ans de travaux à la Tour du Valat qui ne laissent aucun doute sur les effets néfastes des munitions au plomb, nous constatons que la loi de 2006 n’a presque pas eu d’effet sur la contamination des oiseaux de Camargue ».
Les résultats de cette nouvelle étude montrent que la contamination reste notamment très élevée pour certaines espèces comme le Canard colvert et le Canard pilet avec plus d’un oiseau sur quatre contaminé par au moins une bille de plomb. Il suffit d’une seule bille de plomb dans le gésier pour augmenter de 20% la mortalité d’un canard d’une année sur l’autre. « En Camargue nous avons retrouvé plus de 100 billes dans un seul gésier de colvert» note Anthony Olivier, ingénieur à la Tour du Valat et co-auteur de l’étude. Les canards hivernant en Camargue continuent donc de mourir du saturnisme. Mais cette contamination fait aussi peser un risque sur la santé humaine, notamment pour celles et ceux qui consomment régulièrement du gibier.
Alors qu’il a été éliminé des peintures et des carburants, 44 000 tonnes de plomb sont déversées chaque année dans la nature en Europe par la chasse et la pêche. Pourtant des alternatives existent. En ce qui concerne la chasse, les munitions non toxiques sont maintenant accessibles à des prix rivalisant avec ceux des munitions au plomb et il a été montré que les performances des billes d’acier sont équivalentes à celles de plomb pour un tir à moins de 30 mètres. « Même si de nombreux chasseurs utilisent maintenant des munitions non toxiques, ça reste visiblement compliqué pour d’autres de changer leurs habitudes », déduit Anthony Olivier.
La réglementation actuelle est très difficile à faire respecter car elle interdit de chasser dans les zones humides avec des munitions au plomb mais autorise le port du plomb et la chasse au plomb pour le gibier terrestre. D’après Jean Jalbert, directeur général de la Tour du Valat : « Le Danemark, qui a totalement interdit les munitions au plomb, est le seul pays où la contamination des oiseaux d’eau a drastiquement diminué. Il faudrait que la France et les autres pays de l’Europe suivent leur exemple si nous voulons vraiment arrêter de contaminer nos espaces naturels et de mettre en danger la santé humaine ».
Une pétition[42] visant à encourager l’Union Européenne à suivre la recommandation de l’agence européenne des produits chimiques (ECHA[43]) allant dans ce sens a été lancée par Birdlife international et est relayée en France par la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO) : disponibleici[44].
DOI : Béchet, A., Olivier, A., Cavallo, F., Sauvajon, L., Champagnon, J., du Rau, P. D., & Mondain-Monval, J.-Y. (2025). Persistent lead poisoning of waterfowl in the Camargue (southern France) 10 years after the ban on the use of lead ammunition in wetlands. Conservation Science and Practice, e70045. https://doi.org/10.1111/csp2.70045[45]
La Tour du Valat
La Tour du Valat est un institut de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes créé il y a 70 ans par Luc Hoffmann, qui a développé ses activités de recherche pour la conservation des zones humides méditerranéennes avec le souci constant de réconcilier l’humain et la nature. Convaincue que la préservation des zones humides ne sera possible que si activités humaines et protection du patrimoine naturel vont de pair, la Tour du Valat développe depuis de nombreuses années des programmes de recherche et de gestion intégrée qui favorisent les échanges entre utilisateurs et scientifiques des zones humides, mobilise une communauté d’acteurs et promeut les bénéfices des zones humides auprès des décideurs et des acteurs socio-économiques.
Une étude menée en Camargue révèle que les spatules blanches utilisent aussi bien les zones humides modérément protégées que celles fortement protégées. La complémentarité des modes de gestion en Camargue semble profiter à l’espèce, en particulier la gestion des marais chassés et des réserves naturelles protégées selon le cycle annuel.
La fragmentation des paysages représente un défi majeur pour la conservation des espèces mobiles et spécialisées comme les oiseaux d’eau. Face à cette problématique, les zones protégées jouent un rôle essentiel pour la préservation de la biodiversité. Une récente étude menée en Camargue sur la spatule blanche (Platalea leucorodia) révèle que cette espèce parvient à bénéficier des changements globaux actuels grâce à sa capacité à exploiter des habitats appropriés, qu’ils soient gérés de façon plus ou moins interventionniste. Le suivi de 91 spatules équipées de balises GPS entre 2016 et 2023, met en évidence des différences significatives dans l’utilisation spatiale du territoire selon l’âge des individus, tout en soulevant la question de la dépendance des espèces à des espaces naturelles fortement gérés par l’humain.
Des préférences spatiales liées à l’âge
L’analyse des données de géolocalisation démontre que les spatules blanches juvéniles et immatures ont tendance à plus fréquenter les zones au statut de protection modéré que les zones fortement protégées, contrairement aux adultes qui ne montrent pas de préférence marquée et utilisent aussi bien ces zones. De fait, les jeunes spatules adoptent également un comportement plus exploratoire que les adultes, en utilisant un plus grand nombre de sites différents tout au long de l’année.
Selon Hugo Ferreira, premier auteur de l’étude : « Ce comportement différencié entre les jeunes et les adultes pourrait s’expliquer de plusieurs manières, potentiellement cumulables : comme une stratégie d’évitement de la compétition pour la nourriture avec des adultes plus expérimentés, comme une phase d’exploration nécessaire à l’acquisition de connaissances sur leur environnement, ou tout simplement comme un manque d’expérience pour l’identification des zones les plus favorables. »
Espaces naturels privés et zones fortement protégées : une complémentarité fonctionnelle
Parmi les zones protégées plébiscitées par les jeunes spatules blanches et également fréquentées régulièrement par les adultes, on retrouve de nombreuses zones humides gérées par le secteur privé, notamment pour la chasse. A travers des pratiques comme l’inondation en été et le maintien des niveaux d’eau, leur gestion vise à augmenter l’attractivité de ces zones humides pour le gibier d’eau, ce qui favorise indirectement la présence de nourriture en abondance pour les spatules.
Dans un contexte de fragmentation des paysages et de dégradation globale des zones humides, ces espaces naturels, bien que moins protégés, jouent un rôle important pour des populations d’espèces non chassées telles que les spatules blanches mais potentiellement aussi comme les ibis falcinelle, les barges à queue noire ou autres limicoles. Car si les zones de protection forte garantissent un taux de dérangement minimum pour les spatules blanches, leur mode de gestion vise souvent à permettre à l’écosystème de persister dans son rythme naturel méditerranéen avec des assecs prolongés en fin d’été, ce qui peut réduire l’abondance de nourriture disponible à certaines périodes de l’année pour les oiseaux d’eau.
Conclusion
Cette étude illustre comment la Spatule blanche, une espèce modérément spécialiste, parvient à bénéficier des changements globaux actuels grâce à sa capacité à exploiter des habitats appropriés au sein de paysages fragmentés.
Cependant, Jocelyn Champagnon, Directeur de recherche à la Tour du Valat et co-auteur de l’étude pointe que « le rôle des espaces protégés avec une priorisation des enjeux de biodiversité visant la conservation d’espèces prioritaires souvent plus spécialistes du climat méditerranéen joue un rôle irremplaçable, non seulement pour ces espèces, mais également pour celles moins spécialisées comme les spatules. En effet, leur statut et la mise en place de plans de gestion dédiés sur 5 à 10 ans permet de garantir à l’ensemble des espèces patrimoniales un accès à des espaces stables au sein de paysages fragmentés et sujets à de rapides transformations. »
Ferreira, H.R.S., Alves, J.A., Jiguet, F. et al. Role of protected areas for a colonial-breeding waterbird in a fragmented landscape throughout its annual cycle. Landsc Ecol 40, 6 (2025). https://doi.org/10.1007/s10980-024-02017-5[2]
Eoldist : une application web pour éviter les collisions des oiseaux avec les éoliennes
La transition énergétique s’accompagne d’une expansion significative des parcs éoliens, soulevant des enjeux environnementaux majeurs, notamment la protection de la biodiversité. Une nouvelle publication, à laquelle la Tour du Valat a pris part, présente Eoldist, une application web conçue pour estimer les distances de détection nécessaires des systèmes de détection automatiques des oiseaux à l’approche des éoliennes afin de limiter les collisions.
Les systèmes de détection automatique (ADS) sont de plus en plus utilisés pour limiter l’impact des éoliennes sur l’avifaune. Cependant, il est crucial de déterminer à quelle distance ces systèmes doivent détecter les oiseaux pour permettre un arrêt efficace des turbines avant l’arrivée des oiseaux. Eoldist répond à cette problématique en fournissant une estimation de la distance de détection à prévoir à partir de plusieurs paramètres :
La vitesse de vol des oiseaux,
Le temps nécessaire pour arrêter ou ralentir une turbine,
Les caractéristiques spécifiques des espèces concernées.
Une base de données scientifique approfondie
L’application s’appuie sur une base de données complète comprenant les vitesses de vol de 168 espèces d’oiseaux du Paléarctique occidental, collectées à partir de publications scientifiques et de données GPS inédites. Pour estimer le temps d’arrêt des turbines, des essais de terrain réalisés dans sept parcs éoliens ont permis de déterminer que le temps moyen nécessaire pour ralentir les turbines à un seuil de rotation de 3 ou 2 tours par minute, était respectivement de 32,2 et 38,8 secondes en moyenne.
Un outil utile pour les acteurs de l’éolien
Eoldist permet à l’utilisateur de sélectionner une espèce dans la base de données, les caractéristiques de l’éolienne et un seuil de rotation (3 ou 2 tours par minute) ; il calcule ensuite le temps nécessaire pour atteindre le seuil sélectionné et fournit une courbe de distribution pour la distance de détection nécessaire pour éviter la collision. Cette application est disponible gratuitement et devrait aider l’industrie de l’énergie éolienne, les fournisseurs d’ADS et les agences environnementales à définir des exigences en matière de détection des oiseaux par ADS qui soient compatibles avec la biologie des espèces ciblées.
Cette approche vise à contribuer à une meilleure cohabitation entre le développement des énergies renouvelables et la préservation de la biodiversité.
En savoir plus
Pour plus d’informations, consultez la publication complète sur pure.knaw.nl[49].
Citation
Fluhr J., Duriez O., Blary C., Chambert T., Almasi B., Byholm P., Buitendijk N.H., Champagnon J., Dagys M., Fiedler W., Francesiaz C., Jiguet F., Lee S., Millon A., Monti F., Morcelet L., Nathan R., Nolet B.A., Nuijten R., Pilard P., Ponchon C., Roulin A., Santos C.D., Spiegel O., Schalcher K., De Seynes A., Spanoghe G., Wikelski M., Žydelis R., Besnard A. 2025. Eoldist, a Web Application for Estimating Cautionary Detection Distance of Birds by Automatic Detection Systems to Reduce Collisions With Wind Turbines. Wind Energy 28:e2971. doi: 10.1002/we.2971[50]
3 questions à … Gaëtan Ploteau, chargé de mission des sites Natura 2000 « Trois Marais », au Parc naturel régional de Camargue
Gaëtan Ploteau, chargé de mission au Parc Naturel Régional de Camargue répond à nos questions sur le site des « Trois marais », qui englobe les zones humides situées entre les Alpilles, la Crau et le Grand Rhône, ainsi que sur les missions d’un chargé de mission Natura 2000 dans un projet tel que l’Atlas des Tourbières.
1. Le site des « Trois marais », dont vous êtes le chargé de mission Natura 2000, est actuellement impliqué dans le projet d’Atlas des Tourbières. Pouvez-vous nous en dire plus sur les spécificités de ce territoire ?
Les sites Natura 2000 des Trois Marais sont situés à l’est du Grand Rhône, entre la Camargue, la Crau et les Alpilles. Contrairement à la Camargue insulaire, alimentée en eau douce par le Rhône, ces sites dépendent principalement des eaux en provenance de la Durance.
La coexistence de deux régimes hydrologiques distincts favorise une grande diversité d’habitats et d’espèces, dont certains sont uniques en Méditerranée. D’une part, une eau acheminée par les canaux d’irrigation agricole, riche en éléments nutritifs, alimente les zones humides et crée un fonctionnement similaire à celui de la Camargue. Cette eau favorise le développement d’habitats tels que les roselières et les prés salés.
D’autre part, une eau issue des remontées de la nappe phréatique de la Crau, plus pure et fraîche, permet l’émergence d’habitats rares en Méditerranée, comme les prairies humides et les marais à Marisques. Cette nappe est alimentée à 70 % par l’irrigation gravitaire nécessaire à la culture du foin de Crau, une activité essentielle à la préservation des marais de Crau, tout comme la riziculture l’est pour la Camargue insulaire. Ces marais abritent les principaux habitats potentiellement tourbeux. Sur les Trois Marais, la tourbe a pu s’accumuler dans les prairies humides méditerranéennes, les marais à marisques et, dans certains cas, les roselières.
2. Selon votre expérience, quel est le rôle d’un chargé de mission Natura 2000 ? Quelle plus-value dans ce projet d’Atlas des tourbières ?
Être chargé de mission Natura 2000, c’est avant tout jouer un rôle de médiateur entre les politiques publiques en faveur de la biodiversité et les acteurs du territoire. Ma mission consiste à faciliter le dialogue territorial en établissant des passerelles entre les enjeux environnementaux et les réalités des différents intervenants locaux.
Sur les Trois Marais, mon rôle est de préserver les habitats et les espèces d’intérêt communautaire, tout en accompagnant les acteurs locaux dans cette démarche. Mon approche repose sur l’identification des besoins spécifiques du territoire, afin de concilier la préservation de la biodiversité avec les activités socio-économiques, telles que la chasse ou l’agriculture. Il est essentiel d’appréhender ces enjeux à travers le regard des acteurs eux-mêmes. Nous ne sommes pas toujours en accord, mais il ne faut pas perdre de vue que ce sont eux qui façonnent le territoire et que leur expérience est précieuse. Ce n’est pas moi qui passe le gyrobroyeur en plein hiver ou qui installe les clôtures dans le marais : ce sont eux qui agissent concrètement sur le terrain. Il est essentiel de rechercher des solutions ensemble sans imposer unilatéralement des contraintes. Seule une approche consensuelle et respectueuse permettra d’obtenir des résultats durables en matière de protection de la biodiversité.
Un bon exemple de cette collaboration est la gestion de l’embroussaillement. Nous avons réussi à nous accorder avec les chasseurs et les manadiers sur un objectif commun. Depuis quelques années, la prolifération des frênes entraîne la fermeture progressive des milieux naturels. Grâce à un financement du Fonds vert obtenu en partenariat avec la commune de Port-Saint-Louis, nous avons mis en place un chantier de gyrobroyage pour enlever ces frênes, avec pour objectif de restaurer un habitat d’intérêt communautaire : la prairie humide méditerranéenne. Cette action, validée par tous, bénéficie aussi bien aux chasseurs, qui gagnent en surface de chasse, qu’au manadier, qui récupère des espaces de pâturage. Ce projet illustre bien notre démarche : une action impulsée par les acteurs du territoire et construite ensemble.
Dans mes fonctions d’animateur territorial, j’ai eu l’opportunité de rencontrer de nombreux agriculteurs et propriétaires privés des sites des Trois Marais. Mon rôle, dans le cadre du projet d’Atlas des tourbières, est d’agir en tant qu’intermédiaire et facilitateur pour établir un premier contact avec les différents acteurs qui participent au projet. Bien que nous ayons essuyé quelques refus, la majorité des propriétaires se montre réceptive à cette démarche. Beaucoup connaissent parfaitement leurs terres et leurs marais, et leur expertise de terrain constitue un atout précieux : elle nous permet de mieux comprendre le territoire, d’affiner notre réflexion et de gagner du temps sur le terrain.
Concernant les milieux tourbeux, l’enjeu principal aujourd’hui est de préserver ce qui subsiste. Ces écosystèmes jouent un rôle fondamental en tant que puits de carbone. D’ailleurs, les premiers retours de terrain suggèrent qu’il existe encore des tourbières actives sur le territoire. Au-delà de la préservation de ces habitats remarquables, nous constatons que les pratiques agricoles respectueuses, maintenues depuis des décennies, ont contribué à leur conservation. Sensibiliser à cet aspect, tant auprès des agriculteurs que des pouvoirs publics, pourrait favoriser une meilleure prise de conscience des liens entre agriculture, préservation des habitats et stockage du carbone.
Par ailleurs, parmi les propriétaires des terrains des Trois Marais, on compte aussi des gestionnaires publics. Il serait pertinent de créer un réseau réunissant ces différents acteurs, publics et privés, afin d’encourager le partage d’expériences, l’échange de connaissances et la diffusion des bonnes pratiques en matière de gestion des prairies humides et des cladiaies.
3. En tant que chargé de mission Natura 2000, quel est pour vous l’avantage de vous associer à ce projet ?
Le PNR de Camargue porte actuellement le projet de préfiguration d’un plan de gestion stratégique des zones humides (PGSZH) à l’échelle du territoire du delta Camargue. Son objectif est d’avoir une vision globale de l’état des zones humides, de leurs fonctions et également des pressions exercées sur ces dernières. La préfiguration de ce plan de gestion est prévue pour fin 2025. Dans cette optique, il nous apparaît intéressant d’y intégrer de nouveaux enjeux de protection qui n’ont pas été mis en lumière jusqu’ici. Concernant les sites des Trois marais, l’enjeu « tourbière » apparaît crucial.
Situés dans des zones industrialisées et à l’intersection d’enjeux agricoles et environnementaux (projet de canal d’EDF et de lignes à très haute tension…), ces sites présentent un intérêt écologique majeur. Contrairement à la Camargue insulaire très souvent mise en avant, les sites « Trois Marais » sont moins ancrés dans l’imaginaire collectif. Ils n’ont pourtant rien à lui envier en termes de « patrimoine naturel ». À l’inverse, dans la continuité du Grand Port maritime de Marseille, les marais de Crau ont souvent été impactés par les grands projets de développement, en dépit de la biodiversité exceptionnelle qu’ils accueillent. La prise en compte de cette fonction de stockage du carbone des tourbières, dans une conjoncture où la décarbonation des industries semble être une priorité des pouvoirs publics, pourrait permettre de mieux prendre en compte ce territoire, voire de débloquer des financements pour des projets de préservation.
Thèse de doctorat I Croissance de l’anguille européenne en milieu lagunaire méditerranéen
Amélie Hoste, doctorante à la Tour du Valat, a soutenu sa thèse avec succès le 16 décembre 2024, intitulée :
« Croissance de l’anguille européenne en milieu lagunaire méditerranéen : comparaison inter-habitats de la démographie, des tactiques d’utilisation de l’habitat et de la condition des futurs géniteurs »
Amélie a réalisé son doctorat sous la direction de Jean-Christophe POGGIALE, professeur à Aix-Marseille Université, ECOMAD et en co-encadrement par Delphine NICOLAS[51], chargée de recherche à la Tour du Valat.
Résumé :
L’anguille européenne (Anguilla anguilla) est une espèce migratrice au cycle de vie complexe, se reproduisant en mer et grandissant dans les eaux continentales, sur une vaste zone allant des côtes nord-africaines au nord de l’Europe. Elle est classée en danger critique d’extinction dans la liste rouge de l’IUCN, avec une chute de son recrutement de plus de 95 % depuis les années 1980. Bien que des efforts aient été faits pour restaurer ses populations, la compréhension de sa croissance durant sa phase continentale est cruciale pour la gestion de l’espèce. L’anguille, colonisant une diversité d’habitats d’eau douce, saumâtre et salée, a une croissance variable (pouvant durer entre 2 et 30 ans) selon plusieurs paramètres biotiques et abiotiques telles que les conditions environnementales
Cette thèse s’est concentrée sur la croissance de l’anguille dans le delta du Rhône (France), un complexe lagunaire méditerranéen, en étudiant l’influence du type d’habitat sur la production d’anguilles argentées, en termes de quantité et de qualité, et en examinant les tactiques d’utilisation de l’habitat par l’anguille durant sa croissance. Ces travaux se sont basés sur une variété de méthodes dont la modélisation, la sclérochronologie, les quantifications microchimiques, et les analyses écotoxicologiques et épidémiologiques. Cette approche multidisciplinaire a montré l’existence de sous-populations distinctes en termes d’abondance, de sex-ratio et de traits d’histoire de vie, avec une forte variabilité entre et au sein des sites étudiés.
Des différences de traits d’histoire de vie ont été observées entre des anguilles capturées dans un milieu saumâtre, l’étang du Vaccarès et celles provenant de son principal apport d’eau douce, le canal du Fumemorte. L’étang du Vaccarès, un habitat mésohalin à euhalin, semble offrir les meilleures conditions pour la production d’anguilles argentées, avec un taux de croissance élevé et une abondance de mâles. En revanche, les anguilles du canal d’eau douce du Fumemorte montrent une croissance plus faible, mais un sex-ratio en faveur des femelles.
Les résultats soulignent l’importance de la diversité des habitats pour maintenir la variabilité des traits d’histoire de vie de l’anguille et la nécessité d’améliorer la qualité de l’eau. L’étude sur la qualité des anguilles a montré une plus forte contamination des anguilles au niveau des sites les plus pollués (c.-à-d., l’étang du Vaccarès et le canal du Fumemorte). Les connaissances acquises offrent une base de référence pour envisager des actions visant à améliorer la production d’anguilles en bonne condition corporelle et sanitaire, tout en tenant compte des spécificités d’habitat.
⬇️Télécharger la thèse en bas de page
En Camargue, les anguilles révèlent la qualité de leur habitat
Espèce emblématique des estuaires et des lagunes, l’anguille européenne est un animal surprenant : ainsi, son tout premier voyage, effectué à l’état larvaire, couvre plusieurs milliers de kilomètres pour atteindre le continent européen depuis la mer des Sargasses. Là, elle grandira pendant plusieurs années avant de faire le chemin inverse pour se reproduire. L’anguille est une espèce amphihaline, c’est-à-dire qu’elle est capable de vivre tant en eau salée qu’en eau douce. Mais cette espèce fascinante est en danger critique d’extinction : victime, entre autres, de la perte des zones humides et de la surpêche, elle est également fortement touchée par la contamination et le parasitisme.
Une équipe de chercheurs a évalué la qualité d’une soixantaine d’anguilles capturées sur trois sites différents, à l’intérieur du complexe lagunaire méditerranéen de la Camargue. Cette évaluation a été menée d’un point de vue écotoxicologique (quantification de polluants organiques persistants – POPs – et d’éléments traces – TEs) et épidémiologique (infestation par le parasite Anguillicola crassus), tout en tenant compte des caractéristiques individuelles des anguilles (longueur, âge, taux de croissance et sexe).
Des contaminations variables selon les sites
Leurs résultats, publiés dans la revue Environmental Science and Pollution Research, démontrent que la qualité des anguilles diminue de manière globale avec l’âge. La contamination des anguilles par les POPs et les TEs varient en fonction du site où elles ont été capturées. Ainsi, elle est plus forte dans un canal qui draine des terres agricoles, ainsi que dans le grand étang du Vaccarès, que dans un bassin moins exposé aux intrants d’origine agricole. Selon Amélie Hoste, première autrice de l’article, doctorante au M.I.O. d’Aix-Marseille Université et à la Tour du Valat : « La variabilité spatiale que révèle cette étude suggère que diminuer la pollution industrielle et agricole entraîne une amélioration de la qualité des anguilles européennes présentes dans ces milieux. »
Sensibilité au parasite A. crassus
Du côté parasitaire, les taux d’infestation par le nématode A. crassus augmentaient également avec l’âge de l’anguille. Pourtant, ce parasite est connu moins bien survivre dans les eaux saumâtres comme celles de l’étang du Vaccarès. Pour Delphine Nicolas, chargée de recherche biologie de la conservation des poissons à la Tour du Valat : « Il a été observé que dans certains cas la contamination aux POPs pouvait affaiblir le système immunitaire des anguilles, augmentant ainsi leur sensibilité aux maladies infectieuses et aux parasites. Par exemple, dans l’étang du Vaccarès, les anguilles qui sont contaminées par les POPs seraient plus vulnérables au parasitisme par le nématode A. crassus, malgré leur plus faible prévalence. »
La contamination des anguilles reflète celle de leurs habitats
Les mêmes contaminants que ceux retrouvés dans les sédiments prélevés sur les sites de capture ont été détectés dans les anguilles. De plus, les analyses des anguilles ont révélé la présence d’autres contaminants non détectés dans les sédiments comme les PCBs. Delphine Nicolas, chargée de recherche biologie de la conservation des poissons à la Tour du Valat, conclut : « Il est difficile de déterminer l’impact de l’ensemble des contaminants sur la biologie de l’anguille, surtout qu’il peut y avoir des effets « cocktails ». Il est urgent de limiter les apports chimiques dans les milieux aquatiques, en particulier ceux déjà clairement identifiés comme dangereux. »
Hoste A., Lagarde R., Amilhat E., Bouchard C., Bustamante P., Covaci A., Faliex E., Migne E., Poma G., Tetrel C., Verbrugghe K., Vey Payre H., Nicolas D. 2025. Investigating the quality of European silver eels by quantifying contaminants and parasite infestation in a French Mediterranean lagoon complex. Environ Sci Pollut Res [Internet] [cited 2025 Jan 27]. doi: 10.1007/s11356-024-35815-0[52]