Dans les eaux fraîches et transparentes du haut bassin de la Soča, une région préservée de Slovénie, vit paisiblement la truite marbrée Salmo marmoratus, une espèce endémique du bassin de l’Adriatique. Cette espèce a failli disparaître de la Soča en raison de son hybridation avec la truite commune Salmo trutta. Celle-ci était régulièrement alvinée, c’est-à-dire relâchée, jusqu’à la mise en place d’un plan de conservation par la Tour du Valat, l’association de pêche de Tolmin et le WWF, dans les années 1990.
Isolées par des barrières physiques infranchissables (des cascades), seules quelques populations génétiquement pures (9 dont 2 créées artificiellement) ont persisté jusqu’à aujourd’hui, tout en amont de ce bassin. Mais pour combien d’années encore ?

Un suivi sur plus de 25 ans
Afin de mieux comprendre l’impact du changement climatique sur les écosystèmes aquatiques, et plus particulièrement sur les différentes espèces de truites présentes dans la région — la truite marbrée (Salmo marmoratus) et la truite commune (Salmo trutta) —, des scientifiques suivent depuis plus de 25 ans la température de plusieurs rivières du bassin supérieur de la Soča, en Slovénie.
A travers ce suivi multi-sites sur le long terme, ils ont dressé un panorama précis des conditions thermiques des trois rivières principales – la Soča, la Bača et l’Idrijca – ainsi que de plusieurs petits cours d’eau en amont. Ils ont ensuite analysé l’évolution des températures au fil du temps et examiné les conséquences possibles pour les deux espèces de truites.
![]() La truite marbrée, une espèce sensible au réchauffementLa truite marbrée (Salmo marmoratus) est une espèce endémique du bassin adriatique, présente uniquement dans certaines rivières de Slovénie et d’Italie. Comme tous les salmonidés, elle est sténotherme : elle ne tolère que de faibles variations de température et a besoin d’eau froide et oxygénée pour survivre. |

Des résultats révélateurs du réchauffement des eaux
Basée sur le suivi de 25 sites , l’analyse des données collectées entre 1996 et 2022 révèle une tendance claire : les eaux se réchauffent (+0.04°C/an), surtout en été, avec une augmentation moyenne de 0,1 °C par an sur 19 sites. Même si les températures restent actuellement favorables à la reproduction et à la croissance des salmonidés, les périodes où l’eau dépasse 15 °C, seuil critique pour la truite marbrée, se font de plus en plus fréquentes.

« La fenêtre de températures optimales pour la truite marbrée et la truite commune s’étend de 5 °C à 15°C. »
- Un contexte hydrobiologique qui aggrave le phénomène : à la hausse progressive des températures s’ajoute une diminution des débits en été. Ce qui rend les ruisseaux plus sensibles aux chaleurs locales.
- Les événements extrêmes fragilisent les populations : au-delà de la température, les scientifiques soulignent que l’intensification des événements extrêmes comme les crues éclairs et les épisodes de sécheresse compliquent encore la vie des salmonidés.
L’importance d’un suivi à long terme
Cette étude met en lumière l’importance d’un suivi à long terme et sur plusieurs sites pour anticiper et cibler les habitats aquatiques sensibles à protéger. Elle rappelle que les rivières, même dans des régions montagneuses et préservées, ne sont pas à l’abri des effets du changement climatique. Comprendre, surveiller et préserver ces habitats, limiter les interventions humaines qui augmentent le réchauffement saisonnier et protéger les zones refuges devient essentiel pour assurer l’avenir de la truite marbrée et des écosystèmes fluviaux.
Contact
Delphine Nicolas [1], Chargée de recherche, Tour du Valat
Référence de la publication
Nicolas D., Testi B., Jesenšek D., Leban K., Crivelli A.J. 2025. Effects of the global change on the thermal habitat quality for Salmonids within the Upper Soča watershed in Slovenia. Ecohydrology & Hydrobiology:100705. doi: 10.1016/j.ecohyd.2025.100705 [2]