Jusqu’à 92% des marais côtiers de Méditerranée pourraient disparaître d’ici à 2100, selon une étude publiée dans la revue Nature Communications Earth & Environment, à laquelle ont contribué des chercheurs de la Tour du Valat. Selon les auteurs, des mesures de protection locales associées à une politique globale de ralentissement du changement climatique pourraient permettre de largement réduire ces pertes.
Les marais côtiers : des milieux essentiels
Les marais côtiers de Méditerranée sont des milieux uniques dont dépendent de nombreuses espèces, et où l’on retrouve une flore spécifique adaptée aux conditions saumâtres. La Camargue en France, le delta de l’Èbre en Espagne ou encore le delta du Nil en Égypte sont des espaces emblématiques de ce type d’écosystèmes.
Au-delà de constituer de véritables refuges pour la biodiversité, ces milieux fournissent également d’importants services écosystémiques aux sociétés humaines. Stockage du CO2 dans leurs sols, filtration des eaux ou encore barrière naturelle contre l’érosion côtière et les submersions marines : les marais côtiers contribuent largement à protéger notre qualité de vie, nos infrastructures, ainsi qu’à mitiger les effets du changement climatique.
Pourtant, ces écosystèmes font face à des pressions croissantes. Alors que la montée des eaux liée au changement climatique réduit progressivement leur superficie, la multiplication des barrages sur les grands fleuves a considérablement réduit l’apport de sédiments nécessaires à leur renouvellement naturel. Enfin, l’urbanisation des littoraux méditerranéens et la multiplication des infrastructures créent un phénomène de « compression côtière » qui empêche le processus naturel de migration des marais vers l’intérieur des terres, en réponse à la montée des eaux.
Vers une disparition des marais côtiers méditerranéens ?
Dans cette étude les chercheurs ont analysé l’impact potentiel de l’élévation du niveau de la mer sur ces écosystèmes à l’échelle de tout le bassin méditerranéen.
« En utilisant une approche de modélisation intégrée, nous avons analysé comment les marais des façades côtières méditerranéennes allaient être impactés à large échelle par l’élévation du niveau de la mer, la dynamique des sédiments, la gestion des côtes, conduisant, ainsi, à leur migration vers l’intérieur des terres, voire leur disparition totale », explique Olivier Boutron [1], l’un des auteurs de l’étude, chercheur en hydrologie à la Tour du Valat et coordinateur de l’équipe en charge des problématiques de gestion de l’eau en zone littorale. Cette méthodologie a permis de modéliser plusieurs scénarios à l’échelle du bassin méditerranéen, en fonction de trois trajectoires climatiques : optimiste, intermédiaire et pessimiste.
Les résultats sont alarmants, puisqu’ils révèlent que jusqu’à 92% des marais côtiers de la façade méditerranéenne pourraient disparaître d’ici 2100. Dans le scénario du maintien de la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre, la France, l’Égypte et l’Algérie pourraient ainsi voir la totalité des marais de leur façade côtière méditerranéenne disparaître d’ici la fin du siècle.
Des solutions sont possibles
Selon l’étude, la gestion actuelle des ouvrages de protection côtière ne permet pas d’enrayer cette disparition et ce, quel que soit le scénario climatique envisagé. Toutefois, une refonte stratégique de la gestion littorale couplée à un ralentissement global du changement climatique pourrait diviser par deux les pertes, à l’échelle méditerranéenne.
Pour atteindre cet objectif, une stratégie doit être mise en place à deux niveaux : globalement, par la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre pour limiter l’ampleur du changement climatique, ainsi que localement, par l’adoption de mesures d’adaptation permettant de préserver certains marais côtiers toujours existants en Méditerranée, en fonction des spécificités et possibilités locales, voire de restaurer une partie de ceux ayant été perdus et qui seront moins exposés au risque de submersion marine dans le futur.
Parmi les politiques locales à mettre en œuvre prioritairement figure la création de « zones tampons » à l’arrière des marais actuels. Cette mesure essentielle permettrait aux écosystèmes de migrer naturellement vers l’intérieur des terres en réponse à la montée des eaux. « Ce type de mesure seule ne suffit cependant pas, il faut également développer des projets de restauration active de ces milieux » souligne Anis Guelmami, [2]coordinateur de l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes [3] à la Tour du Valat et co-auteur de l’étude, et ajoute : « Il faut dès à présent engager le dialogue afin de trouver l’équilibre entre réduction de la compression côtière et maintien de systèmes de défense traditionnels pour protéger les enjeux économiques, là où c’est nécessaire. »
Schuerch, M., Kiesel, J., Boutron, O., Guelmami, A., Wolff, C., Cramer, W., Caiola, N., Ibáñez, C., Vafeidis, A. T. Large-scale loss of Mediterranean coastal marshes under rising sea levels by 2100. Commun Earth Environ 6, 128 (2025). https://doi.org/10.1038/s43247-025-02099-2 [4]
Contacts
Olivier Boutron [5], chargé de recherche et Coordinateur du Thème Dynamiques des zones humides et gestion de l’eau à la Tour du Valat
Anis Guelmami, [6]coordinateur de l’Observatoire des Zones Humides Méditerranéennes [3] à la Tour du Valat