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S’intéresser aux changements climatiques pour préserver les zones humides

Les zones humides méditerranéennes et leurs usages menacés

Les zones humides subissent un déclin marqué depuis plus d’un siècle, suite à de multiples pressions anthropiques auxquelles se sont rajoutés les changements climatiques plus récemment.

Cet état de fait est tout particulièrement prenant dans le bassin méditerranéen, déjà naturellement caractérisé par un déficit hydrique (perte d’eau par évapotranspiration supérieure au gain par précipitation) (voir le dernier rapport de l’Observatoire des zones humides méditerranéennes [1]).

Dans le cadre du projet européen Ecopotential [2], les chercheurs de la Tour du Valat se sont penchés sur le futur fonctionnement des zones humides méditerranéennes saisonnières avec végétation émergente, au regard des projections climatiques.

Ces écosystèmes, qui procurent gîte et couvert à de nombreuses espèces animales, contribuent également au bien-être des populations riveraines via la fourniture de matériaux (ex : chaume, jonc) et de gibier, la rétention des crues, le stockage et l’épuration de l’eau, et d’autres services écosystémiques [3].

Élevage dans les zones humides d’Aammiq, au Liban. La forte productivité de ces milieux en fait des zones privilégiées pour la production agricole. © L. Chazée / Tour du Valat

Une combinaison de modèles climatiques, hydrologiques et écologiques pour appréhender le devenir des zones humides

Grâce à une collaboration avec Elisa Palazzi et Silvia Terzago, chercheuses à l’Institut des Sciences Atmosphériques et du Climat du Conseil National de la Recherche en Italie (ISAC-CNR [4]), des projections climatiques pour 2050 et 2100 ont été estimées puis intégrées à Mar-O-Sel, un logiciel gratuit disponible sur internet (mar-o-sel.net [5]) précédemment développé par la Tour du Valat pour promouvoir l’usage rationnel des marais méditerranéens.

Les projections climatiques, basées sur deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre (RCP4.5 et RCP8.5), ont été obtenues à partir du modèle climatique régional RCA4 du Rossby Centre [6], puis extraites pour 229 localités autour de la Méditerranée.

Une zone humide virtuelle a d’abord été paramétrée pour chacune des localités sous les conditions climatiques actuelles dans Mar-O-Sel en sélectionnant de façon itérative la taille du bassin versant, le niveau de débordement et la profondeur de la nappe superficielle.

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Copie d’écran de l’outil Mar-O-Sel (cliquer pour agrandir)

L’impact des changements climatiques sur l’hydrologie de cette zone humide a ensuite été simulé, en utilisant l’évapotranspiration et les précipitations projetées pour 2050 et 2100.

L’évolution des zones humides (maintien, dégradation ou transition d’écosystème) a été estimée en s’appuyant sur des valeurs seuils préalablement définies en termes de durée et de fréquence d’inondation, sur la base de données et dires d’experts de la Tour du Valat. Par exemple, il est considéré qu’un marais méditerranéen avec végétation émergente doit être inondé pendant au moins six mois et asséché pendant au moins deux mois la plupart des années, pour être en bonne condition écologique.

D’un modèle climatique global à l’évaluation des impacts sur les zones humides

Les simulations réalisées dans le logiciel Mar-O-Sel montrent que le déficit hydrique va augmenter d’ici à 2100, et ce de façon hétérogène au sein du bassin méditerranéen (cf. tableau 1).

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Tableau 1. Déficit hydrique moyen des zones humides dans différents pays méditerranéens selon une stabilisation (RCP4.5) ou croissance continue (RCP8.5) des émissions de gaz à effet de serre.

Les conséquences de ce déficit hydrique accru sur les zones humides est illustré à la figure 1. Sur la base de nos simulations, 97 % des localités pourraient potentiellement abriter une zone humide saisonnière en bon état aujourd’hui. Sous l’hypothèse d’une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre (RCP 4.5), cette proportion diminuera à 81 % en 2050, puis à 52 % en 2100.

Si les émissions de gaz à effet de serre poursuivent leur croissance actuelle (RCP 8.5), c’est seulement 68 % et 27 % des zones humides qui se maintiendront en bon état en 2050 et 2100.

Le volume d’eau annuel moyen par hectare nécessaire pour préserver la biodiversité et les services rendus par ces zones humides variera d’un million (sites légèrement dégradés) à plus de 3,5 millions (sites en voie d’assèchement permanent) de litres d’eau. Les pays les plus à risque quant à la dégradation ou perte de zones humides sont l’Algérie, le Maroc, le Portugal et l’Espagne.

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Figure 1: Évolution probable des zones humides méditerranéennes à végétation émergente selon deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre aux horizons 2050 et 2100.

De l’évaluation des impacts sur la zone humide à la gestion proactive

De nombreuses études ont déjà abordé l’impact des changements climatiques sur le fonctionnement des écosystèmes ou la distribution géographique des espèces. Néanmoins les modèles sur les changements climatiques sont rarement incorporés à la planification territoriale, car ils sont développés à des échelles temporelles et spatiales différentes.

Le logiciel utilisé dans cette étude (Mar-O-Sel) est un outil de simulation facile d’emploi, qui peut être utilisé librement pour visualiser les effets de la variabilité climatique sur l’hydrologie d’une zone humide, et pour tester divers scénarios de gestion en fonction de la disponibilité de la ressource en eau à différentes périodes de l’année.

Avec l’intégration de projections climatiques régionalisées, Mar-O-Sel est devenu un outil inégalé pour explorer comment les changements climatiques affecteront les durées et fréquences d’inondation des zones humides, et dans quelle mesure ces changements pourront être atténués par des apports d’eau, par la restauration/préservation du bassin versant ou par la promotion d’une agriculture plus durable et plus économe en eau.

L’utilisation de Mar-O-Sel par les acteurs du territoire est donc fortement encouragée afin que les projections climatiques puissent être intégrées aux processus de décision dès aujourd’hui, et ainsi mieux préserver la biodiversité et les services que procurent ces écosystèmes.

Considérant les enjeux environnementaux et socio-économiques associés à ces zones humides en région méditerranéenne, adapter la gestion et la planification territoriale aux valeurs seuil de résilience identifiées dans cette étude devrait être une priorité à l’agenda politique.

Contact : Brigitte Poulin, chef du département Écosystèmes (e-mail [10])

Pour en savoir plus :