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Le Rapport Méditerranée Vivante

Grâce au travail minutieux réalisé par  une équipe de la Tour du Valat, le rapport « Méditerranée Vivante » [1] présente la synthèse la plus complète jamais réalisée sur l’évolution de la biodiversité d’animaux vertébrés de Méditerranée depuis 1993. Les principaux résultats de ce rapport sont présentés ici.

 

Le bassin méditerranéen, un point chaud de biodiversité

Couvrant une superficie de plus de 2 millions de kilomètres carrés le bassin méditerranéen est une région vaste qui abrite une biodiversité exceptionnelle. Cette richesse spécifique et son taux d’endémisme élevé en fait le deuxième plus grand point chaud de biodiversité dans le monde. Cette biodiversité représente des ressources naturelles à la base de la prospérité des sociétés humaines en Méditerranée depuis des millénaires ; mais au cours des dernières décennies le rythme et l’ampleur de l’activité humaine a eu des impacts dévastateurs sur les écosystèmes de la région.

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Collecter des données pour renseigner les tendances de biodiversité

Afin de déterminer l’état de la biodiversité en Méditerranée des recherches approfondies ont été menées sur les suivis de populations de vertébrés – oiseaux, poissons, mammifères, reptiles et amphibiens – dans la région. Au total plus de 80 000 suivis de populations animales menés depuis 1993 ont été rassemblés, concernant 775 espèces de vertébrés, soit 26% de toutes les espèces de ces groupes taxonomiques du bassin méditerranéen. Cette base de donnée est, à ce jour, sans doute la source la mieux documentée sur les tendances des populations d’animaux vertébrés disponible pour la Méditerranée.

À partir de ce volume important de données, l’Indice Planète Vivante (IPV) [3]  a pu être calculé pour la région méditerranéenne. L’IPV est un indicateur qui permet de détecter les changements dans l’abondance des populations animales au cours du temps.  Cet indice d’abondance nous informe ainsi sur l’évolution de la biodiversité méditerranéenne depuis l’année 1993 – année qui suit le Sommet de la Terre à Rio où un grand nombre d’Etats ont convenu de s’engager en faveur de la conservation de la biodiversité.

Les résultats – La biodiversité en déclin

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Malheureusement, près de 30 ans plus tard, les résultats sont alarmants. L’IPV indique une baisse de 20 % de l’abondance des espèces de vertébrés en Méditerranée entre 1993 et 2016. Ce résultat est une moyenne : certaines populations animales augmentent sur cette période, d’autres déclinent mais, in fine, les déclins surpassent largement les augmentations.

L’IPV a aussi été calculé pour les trois grands biomes afin d’avoir une vision plus approfondie de l’état de la biodiversité dans les différents écosystèmes de la région.

[5]Écosystèmes d’eau douce

Les écosystèmes d’eau douce indiquent une baisse des populations de 28%. À l’exception des oiseaux d’eau tous les groupes taxonomiques présentent une forte baisse de leurs effectifs.

 

 

[6]Écosystèmes marins

L’écosystème qui indique le déclin le plus dramatique, 52% des populations marines étant en déclin, notamment les populations de poissons dans les zones côtières et pélagiques.

 

 

 

[7]Écosystèmes terrestres

Les écosystèmes terrestres sont les seuls écosystèmes à indiquer une tendance positive avec une augmentation de 46% des populations de vertébrés. Cependant moins de données ont été collectées pour les milieux terrestres, en particulier dans le sud et l’est du bassin méditerranéen. Il est donc nécessaire de faire des recherches plus approfondies sur tous les taxons terrestres sur l’ensemble du territoire méditerranéen si nous voulons avoir une vision claire de l’état de la biodiversité dans ces milieux.

[8]Tendance préoccupante pour les espèces endémiques du bassin méditerranéen

Plus d’un tiers des espèces sont endémiques, c’est-à-dire qu’elles sont présentes dans le bassin méditerranéen et nulle part ailleurs dans le monde. L’IPV indique qu’en moyenne les populations d’espèces endémiques sont en forte diminution (-37%) et que les populations d’amphibiens endémiques sont particulièrement touchées.

Les pressions directes qui pèsent sur les espèces

Les principales menaces pesant sur les espèces méditerranéennes ont été évaluées grâce à un autre indicateur de l’état de la biodiversité – la liste Rouge de L’UICN. Les activités humaines qui contribuent à la dégradation de l’état de la biodiversité sont classifiées en tant que pressions directes. Les pressions directes qui ont le plus d’impact en Méditerranée ont été regroupées selon le schéma de classification des menaces de l’UICN (version 3.2 ; UICN, 2020) :

L’agriculture intensive

Entraine une augmentation de la pollution et la disparition des paysages culturels de la région, comme les oliveraies ou dehesas[1] [9] traditionnelles, riches en biodiversité.

Impacte 28 % des espèces terrestres.

L’urbanisation

Détruit, fragmente ou réduit la qualité des habitats pour les espèces et augmente la pollution de l’air et de l’eau.

Impacte environ 20 % de toutes les espèces dans tous les biomes.

La surexploitation d’espèces

Réduit les populations naturelles des espèces chassées, pêchées ou cueillies. Cela inclut les espèces qui sont tuées accidentellement comme les prises accessoires dans les filets de pêche.

C’est la plus grande menace pour les écosystèmes marins, menaçant 45% des espèces marines.

Les barrages et les prélèvements excessifs des ressources en eau


Ces menaces modifient les écosystèmes aquatiques et ripariens, bloquent le déplacement des espèces et réduisent la disponibilité en eau pour les zones humides.

Impactent essentiellement les espèces des écosystèmes d’eau douce (33 % des espèces).

Les espèces envahissantes


Introduites intentionnellement ou accidentellement par l’homme, ces espèces perturbent les écosystèmes naturels parmi lesquelles elles s’établissent. Elles entrent en concurrence avec les espèces indigènes pour les ressources, véhiculent de nouveaux parasites et pathogènes etc.

Impactent entre 5% et 11% des espèces en fonction du biome.

Le changement climatique

Augmentation des températures, sécheresses, événements météorologiques extrêmes, montée du niveau de mer…

20% des toutes les espèces dans tous les biomes sont menacées par les changements climatiques en cours.  Mais l’ampleur des impacts va s’accroître dans les prochaines décennies et davantage d’espèces seront menacées. Les espèces endémiques du bassin méditerranéen sont particulièrement concernées car elles ont des aires de répartition restreintes et donc moins d’amplitude pour s’adapter aux nouvelles conditions.

[1] Dehesas :  pâturages extensifs où les arbres n’ont pas été coupés. Le bétail entretient un sous-bois très clair mais profite de l’ombrage permettant en même temps aux humains d’exploiter les arbres ou les plantes sauvages.

Les causes profondes du déclin de la biodiversité

Alors que les pressions directes ont un impact évident sur la perte de biodiversité, les forces motrices à l’origine ces pressions, nommés pressions indirectes, ne sont pas toujours aussi visibles. Elles sont notamment liées à nos modèles institutionnels et socio-économiques, insuffisamment respectueux de notre environnement.

Dans le bassin méditerranéen, certaines de ces pressions sont d’ordre démographique, car avec 500 millions de résidents auxquels s’ajoutent 360 millions de touristes annuels, la région est densément peuplée. 70% de cette population est urbaine et se concentre près des côtes et des grands fleuves. Les pays méditerranéens ont également majoritairement investi dans des secteurs économiques à fort impact environnemental : tourisme de masse, agriculture intensive, transports maritimes etc… Il en résulte des émissions de gaz à effet de serre supérieures à la moyenne mondiale, une forte pollution marine et une surexploitation des ressources en eau. Malheureusement une situation économique très contrastée entre rives nord et sud et des crises politiques endémiques expliquent en partie le manque d’investissements et de législation en matière de protection de la nature.

Des solutions possibles ?

Le Pélican frisé (Pelecanus crispus) est un oiseau emblématique des zones humides de l’est du bassin méditerranéen. Grâce à des actions de conservation le Pélicans frisé n’est plus une espèce vulnérable. © T. Galewski

Malgré une tendance générale à la baisse de la biodiversité au cours des dernières décennies, il est encore possible d’infléchir la courbe de la perte de biodiversité en Méditerranée. La désignation d’aires protégées, la restauration des écosystèmes dégradés, le contrôle de prélèvements d’espèces animales ou végétales, la gestion intégrée des territoires ou des cours d’eau, les réintroductions pour renforcer les effectifs d’espèces menacées…  Ces mesures de conservation ont déjà fait leurs preuves – des cas comme le Pélican frisé, le Thon rouge, la Tortue caouanne, le Faucon pèlerin et le Bouquetin des Alpes montrent qu’il est possible de sauver des espèces de l’extinction et même de les faire prospérer à nouveau.  Le renforcement de ces mesures ainsi qu’une évolution de nos modèles socio-économiques sont des leviers à actionner rapidement pour sauvegarder la biodiversité du bassin méditerranéen. Il est donc de notre responsabilité, décideurs politiques, secteur privé, société civile, scientifiques et citoyens de mettre en œuvre des solutions pour préserver ce patrimoine exceptionnel.

Augmentation des tendances des populations de Tortue de caouanne, Pélican frisée et de Bouquetin des Alpes

 


Le rapport « Méditerranée vivante » est disponible en téléchargement. [1]

Il a été réalisé grâce au soutien du Ministère de la Transition écologique (France), de la TotalEnergies Foundation et de la Fondation MAVA, en partenariat avec le Centre de Coopération pour la Méditerranée de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), le Fonds Mondial pour la Nature (WWF), le Réseau des Aires Marines protégées de Méditerranée (MedPAN), l’Initiative pour les zones humides de Méditerranée (MedWet), le Centre d’écologie appliquée de l’Université de Lisbonne et la Société zoologique de Londres.

 

Contact  : Thomas Galewski [10], chargé de recherche, responsable du Thème Interfaces Science & Société, coordinateur du rapport « Méditerranée vivante »– [email protected] [11]