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Dossier : l’implication de la Tour du Valat dans la conservation des flamants roses en Camargue

Hommage à Alan Johnson (1941-2014) et perspectives pour la reproduction des flamants

Alan Johnson en 2014 en Camargue, à l’occasion des 10 ans de l’association des Marais du Verdier (© J. Jalbert)

Alan Johnson s’est éteint le soir de noël 2014 en Camargue où il résidait depuis plusieurs décennies.

Alan a initié dans les années 1970 un programme d’étude et de conservation des flamants roses (Phoenicopterus roseus) qui constitue aujourd’hui une des plus remarquables études à long terme sur les oiseaux d’eau. La plus grande partie de ce que nous savons de la biologie de cette espèce provient, de près ou de loin, du programme de baguage qu’il a mis en place en Camargue. À travers le soutien enthousiaste qu’il a apporté à plusieurs générations d’étudiants et de passionnés, Alan aura ainsi exercé une influence immense sur l’étude et la conservation des différentes espèces de flamants à travers le monde.

Un programme de conservation exemplaire

Arrivé du Royaume-Uni en Camargue en 1962 à l’âge de 21 ans pour un stage de quelques mois, Alan est alors accueilli dans la petite équipe de naturalistes de la toute jeune station biologique de la Tour du Valat, créée et dirigée par Luc Hoffmann en 1954. À la fin des années 60 ce dernier lui demande de s’intéresser aux  flamants roses, qui ne parviennent plus à nicher dans le delta du Rhône. L’espèce n’est en effet présente à l’époque qu’en faible effectif dans l’Ouest de la Méditerranée, et il n’existe alors plus que deux sites de reproduction réguliers, la Camargue et Fuente de Piedra en Andalousie.

Alan Johnson et Luc Hoffmann à la Tour du Valat en novembre 2014, à l’occasion de la remise à Alan de son prix décerné par le Flamingo Specialist Group de l’UICN

Après quelques années d’observations, Alan Johnson conclut que les flamants subissent le dérangement et la prédation de renards ou de sangliers sur des îlots trop rapidement accessibles suite à l’assèchement estival. Par ailleurs les dérangements aériens incessants dus aux vols d’essais de la base militaire aérienne d’Istres, située à proximité, semblent également contribuer à l’absence de reproduction de l’espèce.

Alan entreprit d’abord de convaincre le groupe des Salins du Midi, propriétaire de vastes terrains dans la partie sud de la Camargue, de construire un îlot artificiel dans l’étang du Fangassier ; puis il se fit l’avocat des flamants auprès des responsables de l’armée de l’air, menant un plaidoyer pour la mise en place d’un couloir aérien permettant d’éviter le survol de la colonie. Ses efforts portèrent leurs fruits et en quelques années les flamants s’installèrent de nouveau de façon stable sur l’étang du Fangassier qui, mis en eau chaque année pour la production salinière, accueillit rapidement une moyenne de 10 000 couples nicheurs chaque saison.

La Camargue est ainsi devenue, depuis cette époque, le seul site de reproduction du Flamant rose dans l’hexagone, et un des sites majeurs à l’échelle de la Méditerranée et de son aire de distribution.

Des flamants roses bagués sur l’étang du Fangassier afin de pouvoir suivre leurs déplacements (© Hellio – Van Ingen)

Si ces actions concrètes mises en place il y a près d’un demi-siècle constituent aujourd’hui encore un modèle pour la conservation, son originalité tient à ce qu’Alan en a profité pour initier un programme de recherche poussé sur la biologie de cette espèce.

En couronnement de cette carrière aussi passionnée qu’exemplaire, Alan Johnson s’est vu décerner en novembre 2014 par les experts du Flamingo Specialist Group de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et Wetlands International réunis à San Diego (Californie), un prix pour son engagement d’une vie à l’étude et à la conservation des flamants.

Par ailleurs, afin que la vie et le parcours d’Alan continuent d’être une source d’inspiration, la Tour du Valat a décidé de créer un « Prix Alan Johnson » qui viendra désormais récompenser les travaux de jeunes chercheurs en sciences de la conservation actifs dans le bassin méditerranéen, mobilisant des recherches de grande qualité et nourrissant des actions de conservation de terrain. Ce prix sera décerné tous les deux ans, lors de la Conférence jeunes chercheurs que la Tour du Valat organise en partenariat avec le Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive (CEFE) de Montpellier et l’Institut méditerranéenne de biologie et d’écologie (IMBE).

Le début d’une nouvelle ère à partir de 2008

En 2008, après une parenthèse salicole qui aura duré moins de 50 ans, l’étang du Fangassier a été vendu au Conservatoire du littoral (CdL). Durant les deux premières années suivant cette vente, il a été encore possible de pomper de l’eau de mer vers l’étang afin d’y assurer la reproduction des flamants. Puis en 2010, le Fangassier a été intégré à un vaste ensemble de 6000 ha de terrains vendu par le groupe SALINS au Conservatoire du littoral, désormais dénommé « Étangs et marais des salins de Camargue », dont la gestion a été confiée au Parc naturel régional de Camargue ainsi qu’à la Tour du Valat et la Société Nationale de Protection de la Nature (SNPN). Une nouvelle ère a débuté.

La colonie de flamants roses sur l’étang du Fangassier (© Hellio – Van Ingen)

Suite au démantèlement des stations de pompage, consécutif à ce transfert de propriété, des apports d’eau issue du canal de drainage du Versadou ont été réalisés afin de compenser le déficit hydrique dans le Fangassier. S’ils ont permis les premières années de maintenir un niveau d’eau favorable et un succès de reproduction satisfaisant des flamants, la décision a été prise de ne plus utiliser ces eaux de drainage à partir de 2013, suite au constat d’une forte contamination par les pesticides.

En conséquence, les variations de niveau d’eau sont devenues beaucoup plus aléatoires et en 2014 les oiseaux ont abandonné l’îlot en début de saison, après les visites répétées d’au moins un renard. Cet abandon a cependant stimulé le report d’une partie des oiseaux vers les salins d’Aigues-Mortes, où pour la première fois depuis 1951 une colonie a niché avec succès.

Des perspectives positives pour la conservation de l’espèce grâce à des aménagements en cours

Dans le cadre du projet européen Life+ MC Salt [1], 2015 verra l’aménagement d’un nouvel îlot pour les flamants dans le Fangassier, ainsi que la réalisation de travaux hydrauliques visant à améliorer les apports d’eau gravitaires dans l’étang grâce à la connexion avec la mer. L’objectif de ces différents chantiers est de maintenir, au moins certaines années, des conditions favorables à la reproduction des flamants au Fangassier.

Si le succès de la reproduction a été relativement faible ces dernières années, cela ne doit cependant pas nous préoccuper outre mesure du point de vue de la conservation de l’espèce. En effet, grâce aux efforts conjoints d’Alan Johnson et des différents gestionnaires de sites protégés, on compte maintenant près de 12 sites de nidification régulièrement utilisés par cette espèce en Méditerranée. De plus, les études ont démontrées que la forte longévité de l’espèce (près de 40 ans dans la nature) lui permet de supporter de longues interruptions de reproduction avant que la population ne commence à diminuer.

Farewell Alan ! Souhaitons que ton œuvre continue d’inspirer le travail de ceux qui s’attachent à promouvoir la conservation des zones humides et des oiseaux d’eau à travers le monde.

Soutenir le programme flamants : les personnes qui le souhaitent peuvent soutenir financièrement la poursuite du programme Flamants initié par Alan ; pour cela ils peuvent choisir de parrainer un flamant rose [2] ou bien faire un don [3] au programme Flamants.