De nouvelles recherches montrent que les populations de dizaines d’espèces d’oiseaux d’eau et d’oiseaux marins ont décliné depuis bien plus longtemps qu’on ne le pensait en Europe. L’article « Shifting the baseline for waterbird and seabird conservation in Europe, risk assessment over one century » démontre que faire abstraction d’un siècle d’histoire conduit à fixer des objectifs trop modestes pour restaurer la biodiversité.

En Europe, d’importants efforts de conservation et de suivi des oiseaux ont été mis en place à partir des années 1970, à la suite de la dégradation de leurs habitats et de leurs populations. Le suivi des espèces renseigne avec une grande précision l’état de santé de leurs populations. Mais oublier ce qui a précédé ces suivis, c’est potentiellement sous-estimer l’ampleur réelle des déclins.
Une étude menée par la Tour du Valat (France) et l’Université de Turku (Finlande), publiée dans Biodiversity and Conservation, a analysé plus d’un siècle de données (1900–2018) sur 170 espèces d’oiseaux d’eau et marins. Ses conclusions sont sans appel : ignorer les déclins historiques fausse nos références pour au moins 40% des espèces évaluées. Les chercheurs montrent que prendre les années 1970 comme point de référence revient à normaliser un état déjà gravement dégradé. « Restaurer les populations d’oiseaux tels qu’ils étaient dans les années 1970 ne suffit pas : leur déclin avait commencé bien avant », avertit Thomas Galewski (Directeur de recherche à la Tour du Valat). Les politiques de restauration devraient donc s’appuyer sur une perspective d’au moins un siècle pour être réellement ambitieuses.

Plus inquiétant encore, certaines espèces ont décliné sans interruption depuis plus d’un siècle. C’est le cas de la guifette noire ou du râle des genêts.
« Ces espèces devraient être replacées au centre des efforts de conservation », alerte Élie Gaget (Tour du Valat), premier auteur de l’étude.
Depuis les années 1970, conventions internationales et directives européennes ont été adoptées pour protéger oiseaux et habitats. Pourtant, les résultats restent insuffisants : 61 espèces sur 170 continuent de décliner. Les causes – destruction des zones humides, intensification des pratiques agricoles, surpêche, pollution, chasse illégale ou non-durable – restent puissantes et insuffisamment contrôlées. Le changement climatique agit comme un facteur aggravant, accentuant les pressions existantes et bouleversant les équilibres écologiques.

Le Flamant rose, quasiment disparu d’Europe occidentale dans les années 1960, a spectaculairement recolonisé le bassin méditerranéen grâce à la protection de ses sites de reproduction, d’abord en Camargue, puis sur d’autres zones humides d’Espagne, d’Italie ou de Turquie. Après des décennies de persécutions qui l’avaient presque fait disparaitre, le Grand Cormoran est redevenu un oiseau familier de nos côtes et de nos zones humides. Mais ces succès de protection ne doivent pas masquer la réalité : de nombreuses espèces ont perdu une grande partie de leur aire de répartition historique, et certaines n’ont jamais retrouvé les effectifs du début du XXe siècle.
« Les suivis à long terme, comme les dénombrements, sont notre meilleure arme contre l’amnésie générationnelle. Sans mémoire collective, nous risquons de normaliser un monde déjà appauvri », conclut Thomas Galewski.
Référence
Gaget, E., Brommer, J.E., Galewski, T. (2025). Shifting the baseline for waterbird and seabird conservation in Europe, risk assessment over one century. https://doi.org/10.1007/s10531-025-03155-1 [1]
Contacts presse
Coralie Hermeloup, Tour du Valat – [email protected]
Thomas Galewski, Tour du Valat — [email protected] [2]