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Questions à PEDRO M. ANASTACIO

PEDRO M. ANASTACIO, Professeur à l’Université d’Evora (Portugal) – Département des Paysages, de l’Environnement et de l’Urbanisme.

Pensez-vous que la population de cette écrevisse présente dans les zones humides européennes depuis plus de 30 ans a atteint un certain équilibre dans les écosystèmes envahis ?

Que cela nous plaise ou non, je dirais que cette espèce fait désormais partie intégrante de la plupart de nos écosystèmes d’eau douce et qu’il serait impossible aujourd’hui de l’éliminer complètement. Bien qu’elle ait un impact négatif dans plusieurs processus écologiques et économiques, P. clarkii est particulièrement importante dans les plans d’eau temporaire (ruisseaux, zones humides…). Dans ces milieux, elle représente une source alimentaire facile pour de nombreux prédateurs (loutre, héron, cigogne…) et il est possible qu’elle ait contribué à augmenter la densité de leurs populations. D’un autre côté, son impact négatif sur la biodiversité a été décrit et elle a été identifiée comme prédateur pour plusieurs espèces d’eau douce. En plus, elle est porteuse saine d’une maladie qui décime les populations d’écrevisses européennes autochtones. Il est difficile de parler d’équilibre, puisque dans certaines régions d’Europe cette espèce est présente depuis 30 ans, alors que dans d’autres régions (Italie, France) la colonisation se poursuit. Je dirais donc que cette espèce a atteint un état d’équilibre dynamique dans les milieux où elle s’est établie il y a longtemps, mais que ce point n’a pas encore été atteint sur les fronts d’invasion encore actifs.

Quelle est la situation actuelle des populations d’écrevisse de Louisiane au Portugal ?

Cette espèce est présente dans les bassins de toutes les rivières du Portugal, mais le front d’invasion continue à progresser dans quelques petits ruisseaux. Il est vrai qu’elle se consomme localement, mais ce n’est pas un mets très apprécié, car au Portugal il y a une tradition bien ancrée de manger plutôt des fruits de mer. Cela dit, cette espèce est exploitée, mais surtout pour satisfaire la demande espagnole. La législation portugaise permet d’attraper les écrevisses, mais étant considérée comme espèces invasives, il faut les tuer immédiatement. Un tel comportement réduirait largement la valeur commerciale de l’espèce; donc en général les pêcheurs locaux n’agissent pas ainsi. Je pense que nous devrions encourager l’exploitation d’écrevisses dans les milieux où elle est considérée comme étant nuisible. Ce serait une manière de réduire la densité d’écrevisses dans certaines zones. A mon avis, ce serait une perte d’argent d’essayer de les éliminer car notre système fluvial et celui de l’Espagne sont reliés et l’Espagne a une législation différente et un autre point de vue en ce qui concerne cette écrevisse.

Quels sont les impacts de l’écrevisse de Louisiane sur la culture du riz au Portugal ?

Plusieurs études ont été menées par notre équipe pour analyser l’impact d’écrevisses sur les rizières portugaises. Les résultats montrent qu’une densité d’un individu adulte par m2 est suffisante pour réduire la production de riz par 42 % et que lorsqu’il y a une densité de 3 individus par m2 aucun plant de riz ne survit. Nos études montrent que l’activité des écrevisses génère des changements dans la qualité de l’eau des rizières, mais que ces changements n’ont pas d’impact sur la production du riz. Elles montrent aussi que l’impact sur la production du riz est fonction de la consommation directe de graines et plants de riz. L’impact des écrevisses est plus important dans les premiers stades du développement (environ 6 jours), mais les écrevisses préfèrent les plants de riz de 12 jours (environ). Cette différence s’explique par le fait que la même quantité consommée de ces deux plants, aura plus d’impact sur le premier que sur le deuxième. Il faut aussi prendre en compte les effets dus aux galeries creusées par les écrevisses, notamment la perte d’eau. De nos jours, les riziculteurs ont adapté leurs pratiques de culture à la présence d’écrevisses, réduisant au minimum les dommages engendrés. Ainsi, les exploitants facilitent souvent l’accès des pêcheurs d’écrevisses aux canaux d’irrigation sur leurs exploitations.

Quels sont les avantages d’utiliser un modèle pour étudier les espèces exotiques ?

Les modèles sont des outils merveilleux pour tester des scénarios, ce qui nous permet de préparer des stratégies de gestion correspondant aux conditions hypothétiques à venir. Par ailleurs, grâce aux modèles nous pouvons étudier préalablement les propriétés d’un système sans être obligés de le manipuler physiquement. Néanmoins, à mon avis, nous devrions éviter de tomber dans le piège de construire des modèles entièrement théoriques. Le calibrage et la validation de modèles utilisant des données réelles sont des étapes importantes dans le processus de modélisation écologique. Dans le cas de P. clarkii en particulier, nous utilisons des modèles statiques à la fois dynamiques et spatiaux. Les modèles dynamiques que nous avons construits permettent d’analyser la dynamique des populations dans les rizières, et ainsi de prévoir les meilleures approches pour réduire les dommages qui en résultent. Nos travaux plus récents utilisant des modèles statiques nous ont permis d’identifier les zones les plus propices pour l’invasion de cette espèce au niveau mondial. En outre, nous sommes arrivés à établir des courbes de consensus d’adaptation de plusieurs espèces envahissantes grâce à nos approches de modélisation. Ces courbes montrent la capacité de ces espèces à s’adapter à l’environnement en fonction de l’évolution de variables environnementaux. Les valeurs n’ont pas été obtenues en utilisant un seul modèle, mais en se basant sur les résultats de plusieurs approches de modélisation différentes.

Contact http://home.uevora.pt/~anast/ [1]