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Questions à… Jim KUSHLAN

Jim KUSHLAN, Expert en biologie de la conservation des oiseaux d’eau coloniaux. Il est cofondateur du « Groupe de spécialistes des hérons de l’UICN », fondateur du partenariat « Conservation des oiseaux d’eaux pour les Amériques » et ancien président de la « Société des oiseaux d’eau » et de « l’Union des ornithologues américains ».

Quel est l’intérêt du suivi à long terme des hérons ?

es hérons sont parmi les oiseaux les plus accessibles et faciles à observer. Ainsi, contrairement à d’autres espèces, leur dénombrement et leur suivi sont relativement aisés. Nous effectuons ces opérations à la fois pour la conservation des oiseaux et de leur milieu. En effet suite à la perte historique des zones humides dans toute l’Europe, les habitats des hérons sont devenus plus rares et donc plus précieux à conserver. Grâce au suivi du nombre et de la répartition des hérons dans ces quelques endroits bien spécifiques, comme la Camargue, nous pouvons évaluer le rôle de soutien joué par ces habitats et les actions possibles de gestion. Par ailleurs, comme les hérons sont des prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire nécessitant des conditions particulières en termes d’eau, d’habitat et de proie, ils sont de bons indicateurs de la qualité de leur environnement. Beaucoup de hérons vivent dans des milieux gérés par l’Homme tels que les rizières, les marais, les roselières, et les retenues d’eau artificielle. Leur nombre et leur évolution peuvent renseigner les gestionnaires de site sur la réussite ou non de leurs efforts à conserver un habitat adapté.

A la Tour du Valat, les hérons pourprés et les butors étoilés sont d’excellents exemples, chacun étant très sensible aux perturbations de leur milieu, les roselières. Plusieurs générations de scientifiques à la Tour du Valat ont mis au point des méthodes de suivi pour le comptage et pour déterminer les besoins écologiques de ces espèces. Ils ont ainsi pu proposer des conseils pour la gestion des roselières non seulement pour y conserver la biodiversité mais aussi pour permettre la continuation d’activités humaines.

La recherche scientifique est-elle importante pour la conservation des hérons ?

Le suivi et la recherche vont de pair. La recherche est importante pour mettre en place des méthodes de suivi standardisées permettant des analyses statistiques et l’interprétation des tendances observées. Une fois le processus de suivi en cours, les bases de données à long terme deviennent des outils essentiels à la formulation de questions scientifiques fondamentales. Au fur et à mesure que les années passent, ces bases de données nous permettent de poser des questions inimaginables au démarrage du suivi. Par exemple, au moment où le suivi des hérons en Camargue a démarré, les questions liées aux changements climatiques ne se posaient pas, car la dimension de ces processus n’avait pas encore été révélée. Mais une fois l’importance de ces questions mise en lumière, ces séries de données à long terme ont commencé à servir de base pour des analyses sophistiquées et largement applicables. On peut en dire autant des questions de démographie. La complexité des analyses démographiques augmentent de manière exponentielle à mesure que le domaine d’étude se développe. Les séries de données à long terme permettent de traiter des questions démographiques et de tester des modèles. Une base de données contenant des informations de suivi sur dix, vingt ou trente ans fournit des informations permettant de répondre à des questions scientifiques auxquelles il aurait été impossible de répondre autrement. La Tour du Valat dispose de séries de données uniques au monde sur les hérons.

Au-delà de l’exploitation des données de suivi, les recherches sur les hérons ont invariablement permis une meilleure compréhension de leurs besoins écologiques et des approches de conservation possibles. Démarré par notre regretté Dr. Heinz Hafner dès 1967, le programme de recherche sur les hérons à la Tour du Valat et ses résultats arrivent de loin en tête au niveau mondial. Une grande partie de nos connaissances de base sur l’écologie alimentaire, la nidification et la survie des hérons a été découverte ou confirmée par les études de Dr. Hafner et de plusieurs générations de ses élèves-collaborateurs. En effet, bien des questions ont été résolues de manière tellement définitive qu’il n’est même plus nécessaire de les étudier. Néanmoins, les bases de données à long terme développées dans ce programme pourront servir à la prochaine génération de biologistes pour poser des questions d’intérêt scientifique actuel (démographie, changements climatiques, parasitologie, génétique…).

Quelle est la situation générale en ce qui concerne la conservation des hérons au niveau mondial ?

L’adaptabilité des hérons les rend très utiles en tant que système de suivi et outil de conservation. Malgré la perte d’habitats naturels, beaucoup d’espèces résistent et certaines profitent des milieux gérés par l’Homme. Le Héron cendré fait partie des oiseaux d’eau de grande taille le plus souvent observé en Europe. Beaucoup considèrent que les hérons sont emblématiques de ce qui reste de sauvage à la campagne. Bien entendu, certaines espèces ne se développent pas aussi bien dans un environnement humain et particulièrement en Asie quelques-unes sont en danger critique d’extinction, parfois réduites à quelques dizaines ou centaines d’individus. Le peu connu Bihoreau superbe et le Héron impérial font partie de ces espèces très menacées. Le premier a seulement quelques rares zones de nidification dans le sud de la Chine et le deuxième persiste surtout au Bhoutan, où son habitat est sur le point d’être transformé de manière irréversible par des projets hydroélectriques. Ces espèces sont menacées d’extinction à cause de la modification de leur habitat, notamment par le déboisement. La modification de l’habitat est le défi quasi universel auquel les populations d’hérons sont confrontées. D’un autre côté, cette modification a été bénéfique au Héron garde-bœuf qui a profité de l’extension et de l’amélioration des pâturages pour s’implanter presque partout dans le monde tout au long de ce dernier millénaire. L’impact humain est lié aux besoins des espèces. Beaucoup d’autres espèces se trouvent au milieu de cette échelle de possibles et bénéficient de la mise à disposition d’habitats en zone humides pour leur nidification et alimentation, même si des activités humaines s’y pratiquent également.

Au niveau mondial, c’est le Groupe CSE/UICN de spécialistes des hérons qui mène les études de conservation et de suivi sur les hérons. Le Groupe a été co-créé à la Tour du Valat par Heinz Hafner et anime des activités en faveur de la conservation des hérons depuis plus de 30 ans. La recherche scientifique, les études de gestion sur le terrain et les synthèses menées depuis longtemps par la Tour du Valat constituent une partie importante de la base d’information européenne et nord américaine du Groupe des spécialistes. Le Plan d’action international pour la conservation des hérons, publié par la Tour du Valat, précise les activités de base nécessaires pour la conservation des hérons au niveau mondial. Ce qui a été initié au niveau local par une poignée de visionnaires, en tant que projet de recherche et de suivi, informe et influe sur la conservation des hérons à travers le monde entier.