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L’impact des munitions au plomb dans les zones humides enfin reconnu au niveau européen – Même le microbiome des flamants roses est affecté !

Depuis de nombreuses années les scientifiques alertent sur la toxicité et l’impact des munitions au plomb sur les zones humides et le cortège des espèces animales inféodées à ces milieux. Le 25 novembre dernier, le parlement européen a voté l’interdiction de ces munitions s’engageant pour que « dans un délai de 24 mois, toutes les munitions utilisées à proximité des zones humides de l’Union européenne [soient] exemptes de plomb ».

40 ans d’études sur le saturnisme

Depuis plus de 40 ans la Tour du Valat, institut de recherche pour la conservation des zones humides, conduit de nombreuses recherches scientifiques sur le saturnisme causé chez les oiseaux par les grenailles de plomb. Ces études de renommée internationale ont contribué à soutenir la proposition originale de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ; elles ont été menées en Camargue et indiquent des niveaux élevés de mortalité et une survie réduite chez les oiseaux d’eau atteints de saturnisme après ingestion de plombs de chasse. Il existe un consensus scientifique sur les risques liés au plomb dans les munitions comme sur les solutions à ce problème. En 2018 et encore cette année, des dizaines de scientifiques européens – dont la Tour du Valat – ainsi que des professionnels de la santé humaine et vétérinaire, ont adressé à la Commission européenne une lettre pour appeler à l’action [1].

Des résultats récents démontrent des impacts sur les flamants roses

On estime que le saturnisme, principalement dû à l’ingestion de munitions de plomb, tue plus d’un million d’oiseaux sauvages par an en Europe et provoque l’intoxication sub-létale de plus de 3 millions. Une récente étude de la Tour du Valat, parue in « Science of the Total Environment » démontre d’ailleurs l’impact du plomb sur les flamants roses, mesurable sur l’état corporel des poussins et leur microbiome intestinal.

Les oiseaux sont les sentinelles idéales de leur environnement puisqu’ils se trouvent généralement à un niveau élevé de la chaîne alimentaire. En outre, la concentration en éléments traces métalliques, autrefois dénommés « métaux lourds », peut être facilement évaluée chez les oiseaux sans leur nuire en analysant leurs plumes. Le flamant rose (Phoenicopterus roseus), une espèce qui fréquente des zones humides souvent polluées, constitue un modèle idéal pour étudier les effets des éléments traces métalliques sur la santé.

Une étude inédite sur les effets de la bioaccumulation

Les preuves des effets néfastes d’une exposition toxique sur la faune sont largement répandues, mais les éléments traces métalliques se trouvent généralement à des niveaux très faibles et sub-létaux. Néanmoins, ces éléments ont tendance à s’accumuler à des concentrations plus élevées au sommet de la chaîne alimentaire dans un processus connu sous le nom de bioaccumulation, dont les effets sur la santé des populations naturelles ont été jusqu’alors peu étudiés.

En étroite collaboration avec la Tour du Valat, le Dr Mark Gillingham a échantillonné des poussins de flamants roses dans trois sites du bassin méditerranéen : les marais de l’Odiel, la lagune de Fuente de Piedra et les salins d’Aigues-Mortes. Les marais d’Odiel sont l’un des sites les plus pollués au monde par les éléments traces métalliques (en raison d’une exploitation minière historique remontant à 3000 avant J.-C.). Les auteurs ont ensuite utilisé une nouvelle méthode pour détecter la bioaccumulation de dix éléments traces dans les plumes [cadmium (Cd), chrome (Cr), cuivre (Cu), mercure (Hg), plomb (Pb), nickel (Ni), sélénium (Se), étain (Sn) et zinc (Zn)]. Cela a fourni le cadre idéal pour examiner l’effet de la bioaccumulation des éléments traces métalliques sur deux paramètres clés de la santé : l’état corporel et le microbiome intestinal. Deux éléments sont apparus comme particulièrement préoccupants, le plomb et le sélénium.

Les chercheurs ont découvert que la bioaccumulation du plomb et du sélénium (principalement détectée dans les marais d’Odiel) avait un effet négatif sur la condition corporelle, un premier indicateur des effets néfastes de ces éléments. Ils ont surtout constaté que le plomb entraînait une forte réduction et forte variation du nombre de souches bactériennes présentes dans le microbiote intestinal. Cela suggère que le plomb a affecté négativement le microbiote intestinal de chaque individu de manière imprévisible et chaotique entre les individus, déstabilisant le microbiote intestinal de son état sain et équilibré. Ce microbiote est impliqué dans une grande diversité de fonctions cruciales chez les animaux, du système immunitaire à l’absorption des nutriments et au métabolisme. En outre, on pense que le microbiote intestinal joue un rôle essentiel dans la protection des animaux hôtes contre les effets néfastes des toxines. Si la bioaccumulation chronique d’éléments traces métalliques a un effet néfaste sur le microbiote intestinal, cela aura des répercussions sur la santé de son hôte.

Autre résultat intéressant, la bioaccumulation du sélénium a eu un effet différent sur le microbiote intestinal en augmentant l’abondance d’une souche bactérienne spécifique (Bacteroides plebeius) connue pour être associée à la dégradation des microalgues, un élément du régime alimentaire des flamants. Il est important de noter que les poussins en mauvaise condition physique avaient une plus grande abondance de cette même souche bactérienne. Comme les microalgues sont connues pour être très efficaces dans le métabolisme du sélénium, les auteurs concluent qu’un régime alimentaire riche en microalgues entraîne une bioaccumulation plus importante de cet élément, ce qui se traduisait par une condition physique moins bonne.

Pris ensemble, ces résultats suggèrent que même une exposition chronique sub-létale aux éléments traces métalliques chez les poussins de flamants roses a un effet négatif sur la santé de cette espèce emblématique. Étant donné l’importance des zones humides pour la biodiversité dans les écosystèmes, ces résultats confirment l’urgence de surveiller et de gérer la pollution afin d’éviter des effets délétères sur les espèces qui en dépendent.

 

Référence bibliographique : Mark A.F. Gillingham, Fabrizio Borghesi, B. Karina Montero, Francesca Migani, Arnaud Béchet, Manuel Rendón-Martos, Juan A. Amat, Enrico Dinelli, Simone Sommer. 2020. Bioaccumulation of trace elements affects chick body condition and gut microbiome in greater flamingos. Science of The Total Environment. 2020, 143250, ISSN 0048-9697, https://doi.org/10.1016/j.scitotenv.2020.143250 [2]

 

Liste de nos publications sur l’impact du plomb sur les oiseaux [3]

 

Contact : Dr Arnaud Béchet [4] – chargé de recherche, chef du département Espèces & responsable du programme Flamant rose