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Doñana, une zone humide d’exception en danger – La Tour du Valat se mobilise

Doñana, un site d’importance international pour les flamants roses, est menacé par les extractions d’eau souterraine pour l’agriculture. Des scientifiques et des ONG ont lancé un appel au parlement andalou pour qu’il revienne sur sa décision d’autoriser l’extension des surfaces irriguées pour l’agriculture intensive. Espérant, pour Doñana et les flamants roses que cet appel sera entendu.

La Tour du Valat, aux côtés de Living Rivers Europe [1], a cosigné une lettre envoyée au parlement européen en avril dernier afin de dénoncer publiquement la grave atteinte portée à cette zone humide.

Doñana @Orca_Production

 

Lynx ibérique (Lynx pardinus) © Pierre Mallet

Les zones humides, lagunes et mares temporaires de Doñana, à l’embouchure du Guadalquivir au sud de l’Andalousie, constituent un hotspot de biodiversité en Méditerranée. La région accueille plus d’oiseaux hivernants que partout ailleurs en Europe et abrite de nombreuses espèces mondialement menacées au niveau mondial, notamment la sarcelle marbrée (Marmaronetta angustirostris) et le fuligule milouin (Aythya ferina). Doñana est également célèbre pour ses grands prédateurs, dont l’aigle impérial espagnol (Aquila adalberti), espèce endémique de la péninsule ibérique et le lynx ibérique (Lynx pardinus), espèce très menacée.

 

 

 

Les flamants roses y nichent occasionnellement mais Doñana est surtout un extraordinaire site d’alimentation pour cette espèce qui niche de préférence à Fuente de Piedra (une lagune située à près de 100 km au nord). Durant la saison de reproduction les flamants nicheurs à Fuente de Piedra n’hésitent pas à parcourir des centaines de kilomètres pour aller s’alimenter dans les zones humides particulièrement riche du delta du Guadalquivir.

 

 

Doñana est devenue internationalement célèbre dans les années 1950, lorsque ses spectaculaires concentrations d’oiseaux étaient menacées par des plans de développement (par exemple, le drainage et la plantation d’eucalyptus exotiques pour la pâte à papier). Une campagne pionnière aux débuts du Fonds mondial pour la nature (WWF), avec Luc Hoffmann, fondateur de la Tour du Valat, a abouti à la déclaration initiale de d’une réserve naturelle d’environ 7 000 ha en 1964, principalement pour sauver les oiseaux. Aujourd’hui, la zone protégée d’origine a été étendue et déclarée Parc national, puis réserve de biosphère de l’UNESCO, et fait maintenant partie d’un espace naturel plus vaste, protégé par le réseau Natura 2000 et la convention de Ramsar. Malgré l’extraordinaire importance de la biodiversité de Doñana, son existence reste menacée par les activités humaines, en particulier l’expansion de l’agriculture intensive et l’extraction et la pollution des eaux souterraines qui en résultent. En effet, ces eaux souterraines, qui alimentent naturellement les marais et les étangs de Doñana, ont de longue date été convoitées par les agriculteurs qui ont développé un vaste complexe de serres maraîchères autour du parc, dans la plus grande zone de production de fraises d’Europe.

Malgré les demandes répétées de l’UNESCO de mettre fin à l’extraction illégale des eaux souterraines (1 000 forages illégaux inventoriés par le WWF), peu de choses ont été faites pour résoudre le problème. L’effet de l’exploitation de l’aquifère le plus évident est la disparition des mares des dunes côtières, qui dépendent directement de la nappe phréatique et abritent des espèces de plancton endémiques et de riches communautés d’amphibiens et de poissons. Mais c’est aussi quand l’aquifère se recharge qu’il déborde dans le système de marais qui abrite les oiseaux d’eau dont les flamants roses. Le remplissage de l’aquifère s’est cruellement dégradé du fait des forages illégaux. Pire, au lieu de s’attaquer au problème, le 9 février 2022, le parlement régional d’Andalousie a voté en faveur d’un projet visant à légaliser 1 500 ha de terres irriguées et de légitimer ainsi les activités des agriculteurs illégaux, et ce malgré l’opposition ouverte du gouvernement central espagnol, de l’UE, de l’UNESCO et de plusieurs ONG.

 

Barges à queue noire (Limosa limosa), Doñana @Stefan Rytz

Cet hiver (2021-2022), avec des précipitations bien en dessous de la moyenne, seulement 5% de la surface des zones humides de Doñana a été inondée, et le nombre d’oiseaux d’eau était excessivement faible par rapport aux années précédentes. De tels hivers secs ne sont pas inconnus à Doñana, mais leur effet sur la biodiversité des zones humides est intensifié par la perte des eaux souterraines. Il est attendu que les changements climatiques viennent diminuer encore les précipitations hivernales dans les années à venir et ce, combiné à une augmentation des températures (et donc de l’évaporation). Les forages ne feront donc qu’accentuer le problème dans une période pendant laquelle la nature aura besoin d’eau.

 

 


D’après l’article :

Camacho C., Negro J.J., Elmberg J., Fox A.D., Nagy S., Pain D.J., Green A.J. 2022. Groundwater extraction poses extreme threat to Doñana World Heritage Site. Nature Ecology and Evolution [cited 2022 Apr 26]. doi: 10.1038/s41559-022-01763-6 [2]