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La Spatule blanche, une espèce emblématique des zones humides méditerranéennes

La Spatule blanche Platalea leucorodia est un grand échassier d’une longueur totale de 80 à 90 cm, pour un poids adulte de 1,7 à 2 kg. Son bec caractéristique long et noir en forme de cuillère rend son identification aisée, et permet de la différencier de tous les autres grands échassiers européens. Son plumage est totalement blanc, avec les pattes noires. Les jeunes, très ressemblants aux adultes, se distinguent par la pointe noire de leurs rémiges (grandes plumes des ailes). Les spatules sont des oiseaux typiquement inféodés aux zones humides et fréquentent préférentiellement les marais d’eau douce ou en arrière des littoraux, les lagunes et les estuaires.

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Une spatule blanche en pêche en Camargue © Thomas Galewski

Présente en Europe de l’Ouest où elle niche à partir du printemps en Espagne, en France, aux Pays-Bas et en Belgique, elle en migre à l’automne pour hiverner principalement dans le sud de l’Espagne, en Afrique du Nord, orientale ou occidentale. Des individus bagués en Camargue ont même déjà été observées au Sud-Soudan, témoignant des capacités de migration à longue distance des spatules (voir l’article [2] et la carte ci-dessous).

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Carte des voies migratoires de la Spatule blanche © J. Champagnon / Tour du Valat

L’espèce est considérée comme vulnérable en France, et classée comme telle (VU) sur la Liste rouge de l’UICN. Elle est également inscrite à l’annexe 1 de la directive européenne « Oiseaux », et bénéficie également depuis 2008 d’un plan d’action international (consultable ici [4]).

Les menaces qui pèsent sur les spatules sont assez variables selon les populations et la période de l’année. En période de reproduction, il s’agit principalement d’un problème d’accès aux sites ou de manque de sites de nidification (suite à des destructions d’habitats notamment), de la prédation, et des dérangements humains directs sur les sites de nidification ou d’alimentation.

Historique de la population de spatules en Camargue

Historiquement présente sur le littoral atlantique en France, la Spatule blanche était rare en Camargue durant la première moitié du 20ème siècle. Mayaud (1938) ne cite que deux observations en 1908 et 1936. L’espèce y est restée irrégulière durant les années 1950 (sept observations) et les années 1960 (neuf observations), puis est devenue régulière dans les années 1970, mais toujours en petit nombre (maximum de cinq individus) (Blanchon. T et al, 2010). L’espèce devient annuelle en Camargue à partir des années 1980, puis durant les années 1990 le nombre de mentions augmente de façon très importante (Blanchon. T et al, 2010), et la première preuve de reproduction camarguaise est notée en 1998 (Kayser et al, 2003). La population reproductrice a ensuite augmenté lentement au début  (deux couples en 1998 et 30 en 2005) avant de connaître une croissance plus forte par la suite (entre 64 et 78 couples en 2009, 130 en 2012). Aujourd’hui la population de spatules en Camargue semble être stabilisée autour des 300 couples (311 en 2017), qui nichent chaque année sur des îlots de l’étang du Vaccarès.

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Vol de spatules blanches en Camargue © Thomas Galewski

Les premières lectures de bagues effectuées en 2008-2010 sur la colonie camarguaise ont montré que des oiseaux originaires de populations en croissance à cette époque (aux Pays-Bas et en Europe de l’Est) étaient à l’origine de cette nouvelle population..

Le programme de baguage des spatules camarguaises par la Tour du Valat

Un programme sur la population de spatules blanches en Camargue a été mis en place à partir de 2008 par la Tour du Valat (voir le projet Dynamique des populations de spatules blanches [6]). Le suivi consiste en l’estimation annuelle de la population nicheuse, ainsi qu’à la capture et au baguage des jeunes avec des marques lisibles à distance.

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Opération de baguage des poussins de spatules en Camargue en mai 2017 © Jean Roché

Dans le cadre de ce programme de suivi, plus de 2931 poussins ont été bagués depuis 2008, entraînant plus de 4600 observations en Europe et Afrique issues des observateurs du monde entier. Tout ornithologue peut alimenter la base de données ainsi constituée en lisant une bague à distance (généralement avec l’aide d’un télescope) et envoyer ensuite l’information à la Tour du Valat (code, sens de lecture, lieu et date à transmettre par courrier électronique à Thomas Blanchon, technicien de recherche (e-mail [8])).

Ce programme de baguage est validé par l’organisme français de gestion du baguage des oiseaux du Muséum national d’histoire naturelle, le CRBPO [9]. Il poursuit les objectifs suivants :

En effet, pour ce qui concerne ce dernier point, une part des recherches menées actuellement vise à comprendre ce qui guide les spatules sur leur choix migratoire, alors que trois stratégies s’offrent à elles : 1) rester en Camargue, 2) hiverner en Espagne ou Mauritanie selon la voie de migration ouest-atlantique, ou 3) hiverner en Italie ou Tunisie, en empruntant la voie de migration centre-méditerranéenne (voir l’article [10]).

Les balises GPS, une avancée technologique majeure pour améliorer la connaissance des spatules

En plus du baguage régulier des oiseaux, six spatules camarguaises ont été équipées depuis 2016 de balises GPS qui émettent un signal régulier via le réseau GSM (voir l’article [11]). Grâce à ces nouvelles technologies, il a été possible de :

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Migration de la spatule baguée ATZF entre la Camargue et la Gambie de mai 2017 à avril 2018 (cliquer pour agrandir) © J. Rouchon / Tour du Valat

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En plus de l’objectif scientifique, l’utilisation des balises GPS a également permis de poursuivre un objectif pédagogique par la sensibilisation des enfants de l’école du Sambuc, village proche de la Tour du Valat et situé également au cœur de la Camargue, en leur montrant en temps réel les déplacements des individus équipés. Ce projet a été réalisé en 2017 en collaboration avec la Fondation Nature et Découvertes [16]. Une autre intervention a été réalisée à Villeurbanne (69), auprès d’un public d’enfants ayant grandi dans un milieu urbain. Tous ces enfants ont montré un grand intérêt pour cet oiseau emblématique. Cet intérêt des plus jeunes pour les espèces exceptionnelles qui les entourent, telles que la Spatule blanche, contribue directement à leur compréhension et à leur connaissance de la nature en général, et des zones humides en particulier.

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Jocelyn Champagnon, chargé de recherche à la Tour du Valat, devant les élèves de l’école du Sambuc en Camargue © Tour du Valat

Tenue du 9ème atelier international sur la Spatule blanche en novembre 2018 en Tunisie

Le programme de la Tour du Valat sur la Spatule blanche s’inscrit dans le cadre du groupe d’experts internationaux AEWA sur l’espèce, L’AEWA [18] (African-Eurasian Migratory Waterbird Agreement) est un accord international entre 77 pays d’Afrique et d’Europe, pour la conservation des oiseaux d’eau migrateurs.

Ce groupe d’experts sur la Spatule blanche dénommé ESIEG [19] (Eurasian Spoonbill International Expert Group), créé en 1991 pour endiguer le déclin de l’espèce, est coordonné par la Tour du Valat depuis 2016. Tous les trois ans, il organise un atelier pour évaluer les résultats et discuter des orientations du plan d’action international sur l’espèce (voir l’article sur le 8ème atelier en novembre 2015 à la Tour du Valat [20]).

Le 9ème atelier se tiendra à Djerba en Tunisie du 14 au 18 novembre 2018, en collaboration avec l’Association des Amis des Oiseaux [21], partenaire de Birdlife en Tunisie (plus d’informations [22] et lire l’interview d’Hichem Azafzaf [23], président de l’AAO).

En plus de la conservation de l’espèce et des zones humides associées, la réunion de ce groupe permet de faire émerger des leaders locaux pour la conservation des oiseaux d’eau dans chacun des pays où l’espèce est présente, en particulier dans les pays d’Afrique du Nord, des Balkans et du Moyen-Orient. L’atelier précédent avait eu lieu en 2015 à la Tour du Valat, et avait réuni 35 chercheurs et gestionnaires issus de 17 pays différents

Cette année, en plus d’une contribution par chaque participant sur la situation de l’espèce dans son pays, seront organisées des discussions pour :

Contacts :